Название | L'Écuyère |
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Автор произведения | Paul Bourget |
Жанр | Языкознание |
Серия | |
Издательство | Языкознание |
Год выпуска | 0 |
isbn | 4064066081218 |
—«Dear old boy... You jolly chap... You silly monkey...»
Et les «chers vieux garçons», les «gais compagnons», les «stupides singes» allongeaient leur tête, chacun hors de son box. Où était-on? à Paris ou à Londres? Les portes vertes de ces box, ouvertes dans leur partie supérieure, donnaient sur une large cour au fond de laquelle se dressait une petite maison en briques rouges, avec des fenêtres étroites, très pareille, sous son revêtement de vigne vierge, à quelque demeure bourgeoise de Kensington. Cette ressemblance était encore accrue par une espèce de renflement vitré ménagé au premier étage, et où l'architecte avait essayé de reproduire le bow-window classique. La maison, enfin, montrait ce nom sur sa porte, laquelle était en bois peint et d'un seul battant: Epsom lodge. C'était probablement la seule de tout ce quartier, si exotique pourtant, qui fût baptisée ainsi, comme un cottage anglais. Avec cela, tous les garçons d'écurie étaient Anglais, les couvertures des chevaux anglaises, les licols anglais, les brides anglaises, les selles anglaises!...
Pour achever cette impression, d'un pittoresque singulier, une jeune fille allait et venait dans cette cour, caressant, elle aussi, les têtes des chevaux, leur donnant du sucre, prononçant, de la pointe de ses dents blanches, les sacramentels: «Dear old boy... You jolly chap...» et autres douceurs; et cette enfant de vingt-deux ans avait le plus idéal visage de miss blonde qui ait jamais illustré le vélin d'un Keepsake. Son teint délicat offrait au regard cette transparence blanche et rosé où l'on voit l'ondée d'un sang jeune et riche courir sous la peau. Elle avait le nez droit et coupé assez court, les lèvres bien ourlées, le menton un peu long, carré et frappé d'une fossette, les joues minces, la tête petite, tout cet ensemble qui donne souvent, aux jeunes filles anglaises, ce caractère d'une beauté si saine, si robuste, qu'elle est, par moments, presque masculine. Certaines statues de jeunes Grecques montrent un charme pareil, ainsi cette Electre du musée de Naples qui s'appuie de la main sur l'épaule d'Oreste, fille virginale des gymnastes, aussi grande que son frère et qui, pourtant, se distingue de lui par la grâce dans la force, par la pudeur dans l'énergie. Ce charmant et ferme visage de Mlle Hilda Campbell—car l' «Electre archaïsante» de la rue de Pomereu était tout prosaïquement la fille du marchand de chevaux—s'éclairait de deux yeux bleus, ceux de son père, mais qui prenaient, sous les sourcils et entre les cils d'or, une fraîcheur de pétale de pervenche. Une épaisse chevelure d'un fauve presque roux couronnait le front, qui n'était pas très haut, mais dans la coupe duquel un phrénologue eût retrouvé le signe de la volonté déjà révélée par le menton.
Le contraste entre ces témoignages d'une décision toute virile et la tendresse émue, la rêverie enfantine des prunelles, achevait de donner à cette physionomie une grâce singulière, et plus encore un autre contraste, qui tenait du fantastique, celui de cette beauté d'héroïne de Tennyson avec la profession qu'elle exerçait et dont elle portait le costume. Le commerce de Campbell consistait, d'abord, en chevaux de chasse. C'est seulement par exception qu'il vendait des bêtes d'attelage. Ces chevaux de selle, il fallait bien les «mettre». Un de ses neveux, John Corbin, dit plus familièrement le grand Jack, se chargeait d'une partie de ce dressage. Il faisait l'éducation des montures d'hommes. Celle des montures de dames ressortissait à Hilda. De dix heures du matin jusqu'à six ou sept heures du soir, la jolie créature n'avait d'autre occupation que de se tenir en selle sur le dos de chevaux qui, bien souvent, n'avaient jamais senti une jupe frôler leur flanc. Ses belles tresses rousses massées sous son petit chapeau rond de feutre noir, une fleur à sa boutonnière et son joli buste serré dans le corsage sombre qui moulait ses fines épaules musclées, sa jambe prise dans la molletière de cuir jaune, l'éperon au talon, elle passait sa vie à manœuvrer de la rue de Pomereu à la porte du Bois, puis le long de l'allée des Poteaux et de la Reine-Marguerite, un des dear old boys ramenés, par son père, de quelque marché anglais. A pied, elle paraissait de taille moyenne. Sitôt en selle, à cause de son buste un peu long, elle semblait plus grande. Ses doigts gantés maniaient les rênes de bride et celles de filet avec cette sûreté légère qui traite les barres d'un cheval comme un virtuose les touches d'un piano. Ce petit tableau-là aussi, je le revois comme si c'était hier. L'animal danse et s'encapuchonne, il se traverse, il essaie de se dresser sur ses membres postérieurs, en tournant sur lui-même, pour jeter à bas cet insolite fardeau. La jeune fille ne bouge qu'à peine. On dirait qu'une magie émane d'elle. La souplesse de ses mouvements, le jeu de sa main, celui de sa jambe, rassurent le cheval. Il part, effaré au passage d'une automobile qui le frôle,—elles ne foisonnaient pas alors,—affolé au sifflement d'un train qui sort du tunnel de la Porte-Dauphine. L'écuyère le calme d'un mot, d'un geste, d'une caresse. Voici le Bois. Il jette son feu dans un temps de galop qu'elle lui permet... Une heure plus tard, quand elle rentre dans la cour de la rue de Pomereu, c'est au petit trot bien réglé de sa monture assagie, et elle saute à terre toute seule, sans que cette bataille avec la bête ait dérangé un seul des fils d'or fauve de sa chevelure, ni chiffonné la toile piquée de son col droit, ni froissé la basque de sa longue jaquette. Ses joues ont seulement rosi à l'air vif et dans l'ardeur de la course. Ses lèvres s'ouvrent sur ses fines dents blanches pour une respiration plus profonde, et un rien d'orgueil se lit dans ses yeux, tandis qu'elle flatte de la main le garrot fumant de son élève, lequel creuse le sol du sabot avec un dernier reste de révolte,—mais d'une révolte pourtant soumise.
Quand la jeune et jolie dompteuse de chevaux rentrait ainsi de ses périlleuses séances de dressage, un homme était là, dans le yard, qui la regardait avec une admiration muette. Cet homme, d'ailleurs,—un autre type d'Anglais aussi bizarre que l'endroit lui-même,—était un personnage de peu de paroles. Quand il en émettait une, elle consistait, généralement, en un guttural monosyllabe. Ce personnage, dont les anciens habitués d'Epsom lodge ne mentionnent jamais le nom sans que la conversation se prolonge sur ses excentricités indéfiniment, s'appelait donc Jack Corbin. Il était le fils du frère de la feue Mrs. Campbell et le factotum de l'écurie. L'oncle Bob, quand il perdit sa femme, en 1898, quatre ans avant l'époque où commence ce récit, aurait certainement vendu à l'encan tous ses chevaux et renoncé à son fructueux commerce, si Jack ne s'était trouvé là. Il faut ajouter que la mère de Hilda avait été emportée dans des circonstances particulièrement tragiques de soudaineté. Elle était allée au «service», comme cette famille de fidèles anglicans fait tous les dimanches, au temple national de la rue d'Aguesseau. C'était au mois de décembre. Elle prit froid dans le «tonneau» qui la ramenait à la maison, les principes du marchand de chevaux lui interdisant la voiture fermée, quelle que fût la saison. Une pneumonie double se déclara, qui emporta la pauvre femme en quarante-huit heures. Campbell et Hilda furent comme fous pendant plusieurs semaines durant. Il est vrai que, fidèles à la grande règle de l'éducation britannique: dont show your feeling (ne montrez pas vos sentiments), ils n'ont jamais rien exprimé de ce qu'ils sentaient, même dans cette première heure de leur désespoir. Mais on ne les a pas vus, de tout un mois, dans l'écurie. Il fallait, cependant, aller en Angleterre chercher des chevaux,—Jack y est allé,—surveiller le foin et l'avoine de ceux de Paris, leur pansement, la quantité d'exercice à leur donner, répondre aux clients, essayer les bêtes nouvelles, confirmer les anciennes, expédier les vendues, débattre les prix. Ce grand garçon à mine de clown, qui, lui, savait à peine le