Название | Au soleil de juillet (1829-1830) |
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Автор произведения | Paul Adam |
Жанр | Языкознание |
Серия | |
Издательство | Языкознание |
Год выпуска | 0 |
isbn | 4064066082222 |
—Votre père et le mien, le colonel et le major, n'ont-ils pas accompli tout ce qui est possible à l'homme pour conduire au triomphe les dangereuses rêveries des philosophes et de la Révolution. Mais, combien de fois ma mère n'a-t-elle pas déploré, devant moi, les suites funestes de cet égarement sublime? Combien de fois a-t-elle pleuré sur les malheurs qui désolèrent, vingt ans, l'Europe, sur tant de héros moissonnés dans les champs d'Allemagne et de Russie, pour qu'en fin de compte les frères du Roi-Martyr revinssent prendre place sur leur trône. Combien de fois l'ai-je entendu supplier un époux trop courageux de renoncer à des entreprises que Dieu n'aide point, et qui ne servent qu'à ensanglanter le monde, qu'à faire pleurer des veuves, des orphelins dans toutes les chaumières...
—C'est le sentiment de Mme Gresloup. Mais le vôtre, Elvire?
—Une fille de mon âge et de ma condition peut-elle penser d'autre façon qu'une sainte mère qu'elle adore?...
—Voilà donc pourquoi vous vous résignez. Les ruines de la Révolution et de l'Empire vous effrayent. Comme ma mère, et comme la vôtre, vous ne voyez que les morts, les deuils, la chute de ces grands espoirs, ce dont notre enfance a connu seulement la détresse... Vous êtes donc, Elvire, la sœur de ces anges assis, enveloppés de leurs ailes closes, sur la marche d'un tombeau, et qui laissent le sablier du temps tomber de leur main, sans vouloir arrêter l'effusion du sable.
—Peut-être vous semblé-je ainsi... Ce n'est point le fait d'une jeune personne frivole, comme vous les aimez, apparemment.
—Qui vous dit que j'aime les personnes frivoles?
Elle détournait la tête.
Omer jugea bon de marquer du dépit, et ne parla plus. D'ailleurs, il nourrissait du ressentiment contre la générale et son amie, pour leurs vilaines médisances. Lors de son retour à Paris, fier du secours que son éloquence avait pu fournir au ministère Martignac et au libéralisme constitutionnel près des électeurs flamands, il avait, en lui-même, abdiqué toute prétention sur Elvire. Les soins nécessités par l'installation de Mme Héricourt, les devoirs de l'avocat que les plaideurs attendaient depuis de longues semaines, et les démarches du carbonaro chargé de missions secrètes, mille affaires diverses n'avaient permis que deux visites à Meudon. Elvire l'avait reçu froidement, bien qu'il rapportât de Rome, pour ces dames, quelques bibelots de piété rares et bénits par le pape. Il avait trouvé la jeune fille plus chipie que naguère. Sans doute attendait-elle qu'il s'excusât des fautes par elle imaginées. A la voir hostile, Omer n'avait plus douté que Mme Héricourt, Denise et Dolorès n'eussent deviné juste. Mme Gresloup éludait un mariage immédiat pour sa fille; et celle-ci ne s'entichait pas d'un jeune homme trop lâche pour affronter sa vertu, ou trop volage pour se lier par des fiançailles immédiates. Le major avait alors entraîné facilement son disciple dans la bibliothèque. Le poussant contre un buste de Cicéron, il avait, la pipe à la main, proclamé les mérites du papisme industriel, comme à l'ordinaire, vanté le caractère de La Fayette, les inventions de M. Niepce, les idées sociales de M. Enfantin et l'esprit excellent de la loge «Ardente-Amitié». Au retour de Meudon, les deux fois, le jeune homme, s'était rendu chez sa sœur, afin que Dolorès Alviña lui fit la cour. Maintenant elle composait un poème épique, à l'exemple de lord Byron; elle lisait des vers d'ailleurs fort passables. Omer se reconnût sous la figure d'un fils de héros mort pour la liberté de sa patrie, et qu'aimait, dans l'orage, une nonne sacrilège. Ces vers n'amusaient pas moins que la scène dramatique jouée par Mlle Alviña, lorsqu'elle avait revu le voyageur dans le vestibule de l'hôtel Héricourt: «Omer, souffrez que je me retire, s'était-elle écriée. Je ne puis supporter de telles émotions...» Et portant son mouchoir à ses yeux, elle avait disparu jusqu'à l'heure du dîner. Lui se plaisait à ces manèges comme à ceux des actrices, encore qu'il l'estimât sincère. Elle n'avait pu se substituer toute à l'image d'Elvire, cependant. Il regrettait le temps où la pure Eloa promettait à Lucifer de le sauver; il regrettait sa belle illusion quand, à Rome, il l'avait désirée pareille à la matrone de marbre, mère du monde latin. Et voici qu'après une collation arrangée par Mme Gresloup, dans sa campagne de Meudon, en l'honneur de Mme Héricourt, il écoutait soudain Elvire se désoler, telle une amante jalouse et malheureuse.
Peut-être craignait-elle de l'avoir fâché trop. Elle eut peur du silence. Pour deviner les réflexions du jeune homme, elle leva les yeux sur lui. Mais il détourna presque ses regards, et se prit à louer la belle mine de Mme Gresloup qui brodait assise devant le perron avec Mme Héricourt. Ensuite il vanta l'ordonnance de cet ancien pavillon de chasse, qu'on restaurait encore. Les échelles des couvreurs s'accotaient aux murailles nues. Il s'en inquiéta longuement, comme s'il se décidait à ne vouloir plus discourir sur les âmes. Elvire répondit par des mots brefs et sourds. Puis elle parut faire un grand effort de vaincue qui se soumet à loi du maître pour reprendre, d'elle-même, la conversation sentimentale.
—Omer..., dit-elle..., je ne me passe point d'être si peu curieuse de ces choses. Maman me tance beaucoup là-dessus. Mais je ne puis pas. Les forces de mon esprit se refusent à veiller sur l'ordre de la maison, sur les travaux des tapissiers et de l'architecte, sur les mille petites misères de la vie domestique. Je ne me plais que dans un rêve flottant. Ma fatigue s'y calme. C'est un sommeil bienfaisant, qui me repose; j'ai les yeux ouverts, mais sans rien distinguer.
Elle s'arrêta, surprise d'être franche ainsi. La rougeur subite de son visage, l'effarement du «ciel et de la mer», derrière les cils qui battaient, dirent assez le triomphe du jeune homme. Mlle Gresloup se promettait à lui. Comme Dolorès montrait les trésors charnels de sa gorge en levant les bras pour rajuster sa coiffure, Elvire dévoilait à demi le nu de son âme, afin de le séduire. C'était le même geste de vierges près d'offrir le plus précieux de soi; l'une son corps sensuel; l'autre son esprit riche de chimères amoureuses. Transporté par les joies du triomphe, Omer, du regard adora l'Elvire qui se donnait.
—Chère Elvire!... murmura-t-il... Avouez toute votre âme...
Elle sourit un peu; elle enroulait le fil du tricot autour du peloton, sans mot dire. Elle tressaillit. Ses épaules frissonnèrent. Ayant remis son ouvrage dans la poche de son tablier en soie puce, elle darda ses regards durs, ses regards d'ange dédaigneux à la face d'Omer. Il en soutint malaisément l'éclat et la franchise.
—Méritez-vous que je vous découvre mon âme?
—Pourquoi non?
—J'aime que l'on me comprenne sans que je parle. Si je vous disais comment je songe, ce serait là, savez-vous un grand sacrifice en votre faveur, monsieur!... Enfin, puisque vous êtes un vieil ami de quinze ans... (elle éclata de rire). Oui, oui, vous vous prévalez de ce que vous avez construit mes premiers tas de sable pour vous rire de moi!... N'importe. Je ne vous cèlerai pas davantage qu'il m'arriva de penser à des amis qui voyagaient au loin dans les pays antiques. Moi, qui reste au gîte, je fais comme le lièvre du bon La Fontaine, et je laisse la folle du logis arranger son théâtre à l'intérieur de mon cerveau. Elle peint très vite un décor. Elle dirige ses petits acteurs improvisés le mieux du monde. Ils jouent alors mille scènes plaisantes ou sinistres. Tout engourdie, je la regarde faire. Elle m'amuse. C'est très bon. Je me repose infiniment. J'ai la même conscience du repos qu'aux instants où commence le sommeil, lorsqu'on apprécie combien il va être agréable de dormir. Ma faiblesse de petite fille jouit de la sécurité... Le monde disparaît s'il me gêne, à moins qu'il ne se transforme au gré de mes inventions. Tenez, hier, au fond de cette pelouse, devant les marronniers, j'ai vu la balustrade et les marches d'un grand château, pendant deux ou trois heures; tous nos amis entraient, sortaient par là. Ils m'annonçaient qu'ils étaient devenus tels que je les souhaite. Le général du Bourg était en grâce près du Roi, et il portait un uniforme splendide. De beaux cheveux bruns ombrageaient le front de mon père, qui était mince comme sur la miniature du salon. Il avait le costume des dragons. Il revenait de la guerre. Un soldat retenait leurs coursiers au bas des marches. Lui gravissait lestement le bel escalier de marbre, j'entendais le bruit du sabre et des éperons.