Название | Au soleil de juillet (1829-1830) |
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Автор произведения | Paul Adam |
Жанр | Языкознание |
Серия | |
Издательство | Языкознание |
Год выпуска | 0 |
isbn | 4064066082222 |
—La sagesse me sera commode. J'avoue avoir oublié beaucoup «mon Élodie» pendant le voyage... Et puisque la Providence veille sur sa fortune dans la personne d'un pair de France, il me reste uniquement un gracieux souvenir.
—Voilà qui est bien...
Le comte acheva de bon appétit toute sa confiture de coing, qu'il étalait maintenant sur la brioche, avec la spatule de vermeil.
—Au fait, reprit-il, je vous célerai point davantage que vous me vexeriez en allant chez cette jolie fille; car je fréquente chez elle, puisque les affaires de l'État m'obligent à me tenir dans les meilleurs termes avec mon collègue de la Chambre des pairs. Jugez combien il serait malséant de nous rencontrer là...
—Je me garderai bien, mon oncle, d'en courir le risque...
—Je n'attendais pas moins de vous!... J'ai votre parole, et m'y fie. Vous ne la reverrez point?
—Assurément!
—Par ma foi, je ne ruserai pas avec vous. Et je n'aime point que vous teniez d'un autre ce que j'aurais la mine de dissimuler devant mon neveu... Apprenez donc qu'Élodie est avec moi du dernier bien...
—Vous seriez ce pair de France?...
—Lui-même!
—Ah, mon oncle! La plaisante aventure...
Omer feignit de rire gaiement, bien que son cœur souffrît à prévoir que la belle créature supporterait les colères de ce vieillard et ses embrassements, qu'elle lui prodiguerait les caresses, les postures et les pâmoisons.
—Ne faites point le sot à vous moquer... Loin de moi la prétention d'être aimé, et peut m'en chaut! Il suffit qu'on me serve de la gentillesse, qu'on me traite de nièce à oncle et qu'on me laisse prendre des privautés pour mon argent. Je m'arrange parfaitement de complaisances qui sont le résultat de la politesse, voire du marché. Que la boutiquière se montre avenante et docile, qu'elle se prête à mes caprices, sans faire la moue, qu'elle mette son corps à la disposition du locataire, avec un sourire courtois, et des manières d'hôtesse accorte, c'est là tout ce que j'exige... Élodie, là-dessus, me gâte. Jamais fillette ne se feignit plus joyeuse de jeter bas ses cotillons pour faire honneur à un vieux gentilhomme heureux de toucher un sein frais et de respirer une haleine légère. Elle paraît contente de me procurer ces plaisirs; son cœur compatit aux besoins de ma verdeur, le plus gracieusement du monde. Que dis-je: elle s'étudie tout le jour à lire les contes de M. de Sade, pour me les débiter, ensuite, à la manière d'une actrice qui sait jouer au naturel. Elle remplace les Elle par Je. Aline et Justine, elle l'est tour à tour quand elle me dit leurs aventures, de mémoire, en prenant le ton et les gestes d'une femme sincère en sa confidence. Le divin marquis n'y tiendrait pas, s'il ressuscitait à nos soupers... En vérité, notre Élodie est la meilleure fille que j'ai connue!... Topez-là, mon compère!
—Alors mon oncle, vous n'avez plus de prévention contre la roture des Gresloup; et une alliance de cette sorte pour le neveu des Praxi-Blassans ne vous semble plus choquante... Vous m'y chambrez fort allègrement... oserai-je dire.
—Fi donc, perfide!... Ah le perfide!
Le comte riait de toute sa franchise en s'époussetant la cravate et les broderies d'argent. Blessé de cette moquerie, le jeune homme voyait, dans cette permission de mariage, un simple moyen de l'écarter de la belle créature. L'honneur social du neveu, le comte le sacrifiait au bénéfice de sa débauche. Mais il se hâta de protester.
—Que non, grand Dieu! Que non! n'êtes-vous pas au fait des variations politiques. La stupide arrogance des ultras faillit perdre la monarchie! Ils couraient au gouffre. Voici que M. de Martignac et son ministère renforcent, par la demi-sagesse des libéraux, le bon ordre. Ni M. de Châteaubriand, ni moi, ne nous soucions d'y contredire par des manières d'antan. J'acceptai, l'autre jeudi, de dîner dans une maison tierce avec M. le marquis de Lafayette, qui nous a déclaré les opinions les plus raisonnables. Des unions comme celle en cause ne peuvent que fortifier notre parti. J'incline vers les manies du major Gresloup et du général-comte du Bourg-Butler. Il se peut que vous me voyez, certain jour, ajouter à mes ridicules en acceptant le poignard du carbonaro... C'est comme j'ai l'honneur de vous le dire, monsieur mon neveu.
Le comte était redevenu grave. Il frappa dans ses mains. Le valet de chambre reparut, long, maigre, adroit et souple. En une seconde, il eût emporté le plateau, les pièces du nécessaire; puis déposé sur le guéridon chinois l'épée à fourreau de parchemin et à garde d'acier, le bicorne à plumes et les gants. La conversation s'égara. Des anecdotes politiques furent rappelées, entre des souvenirs concernant le marquis de Sade, que le comte avait bien connu, devant qu'il fût enfermé à Charenton, sur l'ordre de Bonaparte, pour avoir écrit le pamphlet de Zoloë, contre les débordements de Joséphine.
—C'était l'homme le mieux fait pour inspirer de la passion aux femmes. La sienne l'adora...
A l'approche de la soixantaine, le comte de Praxis-Blassans paraissait friand de goûter mieux aux plaisirs de la débauche. Omer ne l'avait point jusqu'alors connu sous ce travestissement. L'oncle s'efforça d'être amical, et d'amollir la sécheresse de son fausset. Voulait-il que le neveu s'attendrît, et lui épargnât de le tromper avec la grisette? Apparemment. La mine inquiète, parfois, du gentilhomme suppliait que son bonheur fragile ne lui fût point ravi.
Omer eut pitié de cette intelligence orgueilleuse auparavant, et faible, alors, devant une jeune vigueur. Il eut la sensation de pardonner au vaincu qu'était ce diplomate, ce pair de France, ce fils des rois de Rascie, qui avait, de 1799 à 1815, dicté ses vues secrètes à Talleyrand, manié, par ce fourbe, l'Europe, leurré Alexandre, et abattu l'empereur. Cet homme-là tremblait qu'Omer ne voulût revoir Élodie, et la reconquérir. Cet habile ambitieux offrait de compromettre sa situation en faisant donner un secrétariat d'ambassade au carbonaro, complice des Conosséi.
«Mon cœur sensible et mon intérêt s'accordent, pensait l'avocat, pour me conseiller de ne pas nuire à ses amours. Sa reconnaissance peut m'aider à gravir promptement les degrés difficiles de l'échelle sociale. Je ne reverrai pas Élodie... Mais, Elvire, elle, me semble perdue. Denise, afin de me marier à Dolorès après l'avortement de mes desseins, le comte, afin de me faire morigéner sur ma liaison avec Élodie, ont, l'un et l'autre, averti Mme Gresloup de mes péchés, sournoisement et trop adroitement pour que je réussisse à me justifier, en un temps où rien n'engage la fille du major et moi, sinon quelques œillades, et quelques tendresses enfantines... Et cependant, il faut que j'échappe à ma mère par ces fiançailles... La tâche est rude!»
Ainsi, mesurait-il les conjonctures, durant les bavardages du comte. Puis, la tante Caroline entra. Quel beau temps pour la procession! Ni chaleur, ni froid. Un vent léger. Un soleil pâle et clair qui serait, à midi, heure de la cérémonie, juste assez tiède. Elle s'en félicitait dans sa robe de moire roide. Sur le ventre bombé, l'agrafe de l'aumônière, aux mailles d'or, enchâssait un monstrueux grenat taillé en manière de croix grecque à quatre branches; cela se léguait, depuis le seizième siècle, dans la famille Cavrois. Caroline y avait joint un sac de velours pailleté, contenant ses clefs et son mouchoir. Par-dessus la coiffe de malines épinglée d'or, elle comptait mettre une capote de velours marron, lors pendue au coude par les brides, ainsi qu'une écharpe de fine soie bleue à longs effilés:
—Qu'en pensez-vous, ce matin, Gaëtan?... Le Turk arrêtera-t-il le reste du blé russe dans le Bosphore, maintenant que nos navires quittent Gibraltar?
—Mon courrier ne m'apporte que des balivernes, Caroline, des balivernes. Au reste, les nouvelles volent lentement.