Название | Au soleil de juillet (1829-1830) |
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Автор произведения | Paul Adam |
Жанр | Языкознание |
Серия | |
Издательство | Языкознание |
Год выпуска | 0 |
isbn | 4064066082222 |
—Omer, aimez-vous l'eau? dit-elle. Comme mes songes, elle est silencieuse et changeante. Tous les poètes ont écrit qu'à son image, la vie passe entre les rives de la nature plus éternelle. Voyez, cet étang même! Un courant l'anime. Cessez de ramer. La barque dérivera... L'eau demeure active en elle-même, quel que soit son repos apparent. Ainsi de mon âme. Quand j'aperçois mon visage reflété dans le visage de l'eau, je ne sais plus lequel m'appartient en propre... Dans mon âme, aussi, la nature paraît, tremble, luit, triomphe et se dissipe, comme les roseaux et les arbres de la rive paraissent, tremblent, luisent, triomphent, et se dissipent dans le reflet du courant mystérieux que suit notre esquif.
—Voyez, Elvire, le jour baisse encore... et plus je considère l'étang s'obscurcir, plus il ressemble à votre visage. Vos teints sont presque pareils. La même lueur de soleil verte et dorée vous farde l'un et l'autre... Votre front si pur entre les bandeaux reproduit le dessin même de l'onde qui pénètre l'anse finale ombragée par les saules sombres et roux... Tout l'ovale de l'étang reflète votre face et la nuance de vos regards mélancoliques... Mon ange aux doux yeux! Je vous vois seule... J'oublie la terre... J'oublie les cieux... Ils sont en vous confondus...
Il ramait mollement. Le sein modeste d'Elvire s'agitait sous l'armure de la robe plate. Il sentit en lui-même cet émoi frémir. A supputer le bonheur de la jeune fille, il le goûtait aussi. «Elle pleure de joie en m'aimant, et je ne suis pas éloigné de répandre des larmes parce qu'elle pleure!»
A la poupe, les deux mères jasaient. Elles ne s'occupaient guère des amants éperdus. Omer ne guida plus le bateau qu'avec une seule rame, très lentement. Sa main droite, libre, effleura les ongles d'Elvire. Il lui prit les doigts. Ils étaient frais et langoureux. Ils s'abandonnèrent à la pression timide. Un grand frisson traversa la jeune fille, sans qu'elle voulût cesser sa contemplation de l'eau, comme si la défaite de sa vertu ne devait pas être vue par sa pudeur.
—Que la nature est muette, ce soir... reprit-elle en murmurant.
—Elle se recueille; elle est attentive; elle fait silence pour nous mieux voir.
—Il fait beau! reprit-elle encore... Il fait éternel...
Omer eut peur que cela répondît à une vérité lointaine, inconnaissable et sûre. L'esquif glissait sur le froissis de la surface qui se moirait légèrement. Elvire, à la proue, regardait le bonheur imprécis de l'avenir... Ce fut une longue communion entre l'univers et son âme. Le jeune homme, un instant, pensa devenir jaloux du crépuscule pers et or, transparu dans les branches basses des saules.
Sans qu'il parlât, Elvire l'entendit craindre. Elle exprima leur idée secrète.
—La cadence de votre rame, Omer, divise en vain cet instant; il me semble qu'il ne peut être interrompu ni limité; il me semble qu'il va durer toujours, comme le temps que le balancier de l'horloge divise en vain... par ses bruits réguliers?...
—Oh! pourquoi ne durerait-il pas toujours, au moins dans mon cœur, cet instant... jusqu'à la mort?...
—Hélas! il y a la mort... Nous ne nous sauverons pas de la mort...
—Les enfants sauvent de la mort les sentiments de leurs mères, et il les continuent, ils les transmettent à leur descendance... Le principal de nous-mêmes échappe ainsi à la fatalité de la destruction. Tout renaît de soi, chère Elvire. La branche d'acacia fleurit aux interstices du tombeau. Il suffit d'aimer pour que, de nous, le meilleur refleurisse...
Les doigts d'Elvire se crispèrent un peu dans la main du jeune homme. Il répéta:
—L'amour sauve de la mort... Elvire. L'amour sauve de la mort...
—Croyez-vous?
IV
Depuis que le comte Dubourg avait vendu la vieille demeure de ses aïeux, au capitaine Lyrisse et aux Héricourt, contre une rente viagère, il continuait d'y vivre dans un petit corps de logis pour lequel il payait location. Ainsi n'était-il pas déchu de ses habitudes un peu seigneuriales. Mme Héricourt le priait souvent à dîner. L'oncle Edme le ramenait sans cesse de leurs courses mystérieuses jusqu'au salon du Régent, ainsi nommé parce que ce personnage y avait écrit, d'après le conseil de son écuyer le comte Dubourg, la renonciation aux visées sur le trône d'Espagne, acte exigé par Louis XIV. Le mobilier fort simple d'ailleurs et sévère était demeuré tel, sauf les réparations indispensables. Un portrait de Jean-Jacques Rousseau; un autre de d'Alembert méditaient là. Mme Héricourt se recueillait au fond d'un large fauteuil reposant sur quatre pieds de bouc en chêne ciré. Les candélabres d'argent, qui avaient éclairé la scène historique, occupaient encore les angles de la cheminée en pierre tendre.
A l'ordinaire les deux amis entreprenaient le jeune avocat pour l'intéresser aux chicanes des Francs-Maçons, ceux de leur Loge «Ardente-Amitié». L'oncle marchait de long en large, les mains dans le pont de sa culotte et penchait, en discourant, son corps maigre. Il plaignait le F.·. Roulon d'avoir perdu son procès contre un maître couvreur. Ne devait-on pas malgré l'avis d'Omer, aller en appel? L'imprimeur des carbonari, Pied-de-Jacinthe, n'avait pas encore obtenu la diminution de ses amendes: il entendait seulement s'acquitter en partie. Contre un voisin, le F.·. Rambourg plaidait pour une servitude qui permettait à ses chevaux de traverser une cour mitoyenne; ce voisin refusait indûment ce passage. Comment pouvait s'y prendre le tailleur Durtot, afin de recouvrer une créance sur Maxime de Trailles, sans le faire interner à Sainte-Pélagie, où il eût fallu payer l'entretien du débiteur?
L'avocat ne savait que répondre. Son oncle n'admettait point que la jeunesse d'Omer le privât d'influence auprès des juges qui, pourtant, l'estimaient trop heureux d'être déjà notable, envié par tous ses collègues du barreau. Dubourg reprochait cette inaction. On ne pouvait conduire les hommes qu'en les alliant par des moyens matériels aux grands desseins des chefs. Durant les guerres de Vendée qu'il avait faites, avant d'être le prisonnier converti à la Révolution par Bernadotte, il avait obtenu de ses chouans l'héroïsme, à condition d'autoriser le pillage des fermes et des maisons appartenant aux bourgeois républicains des villes.
Il rappelait alors mille traits de bravoure particuliers aux compagnons de Charette et de La Rochejacquelein. Continués à table, de pareils récits toujours miraculeux séduisaient Mme Héricourt. Car le général était adroit, bien que vindicatif et hargneux. A côté d'elle, il affectait de la religion par politesse. Il disait comment il avait vu l'hostie devenir sanglante à l'élévation, un jour, entre les mains d'un inconnu tonsuré que ses Vendéens avaient découvert dans un village conquis sur les Bleus, et qu'ils avaient contraint de dire immédiatement la messe. L'épouvantable miracle affola les paysans. Ils accusèrent le prêtre. Il lui fallut reconnaître qu'il était assermenté. Les chouans avaient cloué le sacrilège, les bras en croix contre une grande porte, et l'avaient criblé de balles... Une autre fois, sa bande avait aperçu, dans le ciel, sainte Anne qui faisait signe de courir sus à l'ennemi. Bien qu'ils tombassent en grand nombre frappés par la mitraille, les chouans atteignirent la batterie et y entrèrent dix-sept sur deux cents hommes; les autres gisaient dans les prairies, morts, et tous les mains jointes.
Ses yeux en extase, la veuve écoutait cela. Elle enviait la foi de ces rustres qui leur avait valu la présence du miracle. Quels saints étaient-ils donc? Malgré sa dévotion, elle n'espérait pas que jamais la grâce pût toucher son cœur d'une manière si parfaite. Évidemment, elle restait loin de cet état de piété. Que tenter pour y parvenir?