Au soleil de juillet (1829-1830). Paul Adam

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Название Au soleil de juillet (1829-1830)
Автор произведения Paul Adam
Жанр Языкознание
Серия
Издательство Языкознание
Год выпуска 0
isbn 4064066082222



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betterave et de le faire cristalliser, au temps où, par suite du blocus continental, le sucre de canne n'arrivait plus en France. Bien que les gens n'eussent point apprécié d'abord le nouveau produit, la tante Caroline, associée avec Crespel, n'avait pas omis de songer à des perfectionnements. Instruit autrefois par M. Claës pendant les dernières vacances du collège, l'étudiant se flattait de découvrir une amélioration notable dans le raffinage. Il expliqua sa méthode à l'alchimiste, qui l'approuvait avec le ton d'un homme condescendant à féliciter son voisin sur la santé d'un parent octogénaire et mal connu de tous deux.

      Les ombres du crépuscule envahissaient la salle aux nombreux recoins que la nuit déjà comblait. Par l'œil de bœuf, les clartés suprêmes illuminaient une capsule de porcelaine où parvenaient deux fils verts engagés dans l'armature supérieure de la cloche pneumatique qui recouvrait le tout. Balthazar Claës s'était rassis. Flattant les os de ses mains, il contemplait une luisance du soir double sur la porcelaine de la capsule, sur le verre de la cloche. Peut-être écoutait-il l'abbé de Praxi-Blassans développer avec adresse et précautions oratoires, sa thèse du miracle. La voix mélodieuse du jeune prédicateur ne tarissait pas. Il parlait de Dieu quand il revêt la forme du mystérieux ternaire, du Trismegiste, du Grand Trois adoré par les prêtres savants de la Grèce. Son langage étrange confondait presque Dieu le Père avec le Fixe, la substance, le carbone; et le Saint Esprit avec le Volatil, les gaz, les fluides. Il préconisait la combinaison parfaite du Fixe et du Volatil, d'où procède la pierre philosophale, celle en quoi se concentre le germe absolu, cause de la Nature et de ses transformations, de la Nature naturante et de la Nature naturée. D'ailleurs, Jésus n'est-il pas engendré par la Vierge-mère, c'est-à-dire par deux contraires assemblés dans une même apparence: ils produisent l'Absolu, ce qui dépasse la négation et l'affirmation, ce qui dépasse notre esprit encore incapable de concevoir l'Idée en dehors de ces deux formes...

      —Parbleu! ricana le vieux Claës de façon stridente; mais quelles sont donc les deux substances, les deux gaz, les deux fluides ou les deux forces qui correspondent à la négation stérile Vierge et à l'affirmation féconde Mère?... Moi, j'ai cru longtemps que le sulfure de carbone participait aux deux expressions, et qu'en combinant avec eux le Volatil, ce que vous appelez le Saint-Esprit, le courant électrique, par exemple, alors naîtrait l'Absolu, le germe. Le Christ, le diamant Pur... C'était aussi l'opinion de cet officier polonais, M. Adam de Wierzchownia, qui vint loger ici, en 1809, porteur d'une recommandation signée par le colonel Héricourt, par votre père, Monsieur! Ils s'étaient, en 1806, rencontrés à Lübeck, après la campagne d'Iéna. Dieudonné n'ignore pas que, dès la visite de cet homme éminent, mais contraint par la misère au métier des armes, j'ai repris les travaux délaissés depuis ma jeunesse. Hélas! quelques millions furent consumés vainement... mais non pas sans bonheur pour moi. Lorsque je dus m'absenter cinq ans, pour remplir en Bretagne des fonctions officielles, je laissai dans cette capsule une petite quantité de sulfure de carbone. Au retour, je trouvai le fameux diamant que j'ai donné à ma fille, à Mme de Solis... Pendant les cinq années de mon absence, et sans que j'aie pu, par un guignon sans pareil, surveiller l'expérience, le carbone s'était cristallisé au pôle négatif... Incontinent, je remis les éléments primordiaux en présence dans la même capsule, traversée par les mêmes fils de la même pile voltaïque... Depuis février 1825, j'attends une preuve de cristallisation nouvelle. Nous sommes au milieu de septembre 1828. Rien ne s'est encore produit... Alors je doute que le sulfure de carbone correspond à la négation Vierge et à l'affirmation Mère de la chrysopée chrétienne...

      —Le Christ ne ressuscite pas d'entre les morts... parce que nous connaissons trop mal le Saint-Esprit. Le volatil ne se dégage pas suffisamment de notre ignorance... Il faut adorer davantage le Saint-Esprit...

      —Sans doute. Des gaz et des fluides, peu nous révèlent leurs qualités et leurs quantités...

      —Aussi, vais-je fonder, si Dieu le veut, une abbaye, sous l'invocation du Paraclet. Là, mes religieux s'occuperont de recherches scientifiques de cet ordre... Et je venais vous demander, monsieur, s'il ne vous déplairait point d'y venir donner des lumières à mes pauvres Jésuites...

      —Je suis bien vieux.

      —Il faut cependant ressusciter le Christ, l'Absolu réengendré dans les intelligences et dans les cœurs! Ou bien le doute tuera la pensée créatrice de l'homme: sa critique préalable l'empêchera de toute action. Il retombera dans les enfers, dans la vie inférieure de la bestialité originelle... Songez-y, Monsieur: il faut exterminer ce doute. Et c'est le devoir de la science... Quand le Christ eut ressuscité, la pierre philosophale un seul instant, rayonna parmi les apôtres assemblés, le jour de la Pentecôte, afin de célébrer la date où Moïse, avait enseigné la Loi, afin de célébrer la date où la planète s'offre en communion à ses fils, par les prémices de la moisson mûrie... Or, dès que la pierre du Saint-Esprit eut rayonné, le monde apprit la puissance des faibles, des humbles, la fraternité chrétienne. La loi, l'Agriculture, la Fraternité..., ce furent trois quartiers de l'anoblissement humain... Sans eux les hordes ne se fussent pas assemblées; et les villes, cerveaux de l'humanité, n'eussent pas fleuri sur le monde, autour des temples. Le Christ doit ressusciter encore parmi les miracles...

      L'abbé de Praxi-Blassans s'était lentement levé de sa chaise. Il évoquait tout de sa voix assourdie mais riche en retentissements possibles, en échos virtuels. Autour de lui, comme une cathédrale invisible était présente, avec, au ciel, ses voûtes sonores couvrant la forêt des pilastres, les branches des ogives, les bocages des chapelles, tout le bois sacré des druides, et le dolmen de l'autel.

      —Oui, oui, grommelait le vieillard, ressusciter l'Absolu, le produit du Fixe et du Volatil... de l'Elémité et du Mouvement. Car Dieu! Oh, Dieu!... C'est ça... C'est l'ensemble... C'est l'addition... C'est le cercle indéfini qui contient...

      —C'est l'hostie ronde... La croix: un diamètre, et une corde géométrique: image de l'homme, les bras étendus pour embrasser le cercle. L'Homme-Dieu!

      —Pourquoi non? Si on Le conçoit au total, Le Cercle, on est Lui-Même... après tout...

      —Et si on communie de Sa Substance, on est Lui-Même... «Prenez: ceci est ma chair. Ceci est mon sang... Le pain de la terre est ma chair universelle. Le vin, fils du soleil, est mon sang universel...»

      —Ce qui équivaut à: «Je suis le principe de la terre et le principe de la lumière, autre Fixe, autre Volatil».

      —Le Père et le Saint-Esprit. La Vierge stérile et la Mère fécondée...

      L'un en face de l'autre, le vieillard et le jeune prêtre, parlaient en regardant leurs idées plutôt que l'interlocuteur.

      —Morbleu, grogna Claës, en fronçant ses sourcils blancs, nous voilà revenus au point de départ... Lequel de nos moyens est la Vierge négative; lequel est la Mère affirmative? Tirez-nous de là, monsieur l'abbé?... Tirez-nous de là... Notre miracle est là-dessous, monsieur!

      Il surgit de son fauteuil et recommença de parcourir la salle à grands pas, de ranger ses minéraux et ses métaux; il gesticulait; il lançait des rires stridents:

      —Dieu!... Dieu!... Dieu! Je le tiens là sous ma cloche pneumatique! Ce mot vide c'est une supercherie pour dissimuler notre ignorance des causes!...

      —Mais cet Inconnu crée tout. Sa puissance nous écrase... Ses mystères nous aveuglent... Sa volonté régit la terre comme le ciel. Sa chaleur donne le pain quotidien. Il nous appartient de sanctifier son nom en l'expliquant... Il importe de ne pas succomber à la tentation d'ignorer. En adorant l'Inconnu, en priant Dieu, nous tâcherons fatalement de le mieux savoir.

      —Peste, monsieur l'abbé, on n'a point aisément le dernier avec vous!...

      —Monsieur, ne pensez-vous pas que trente hommes intelligents, retranchés du monde, et qui vivraient dans un laboratoire, près de vous, à la recherche de l'Absolu, qui se soumettraient à vos ordres, qui les exécuteraient...; ne pensez-vous pas qu'ils hâteraient l'avènement de votre découverte...

      —Je ne dis pas non...