Au soleil de juillet (1829-1830). Paul Adam

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Название Au soleil de juillet (1829-1830)
Автор произведения Paul Adam
Жанр Языкознание
Серия
Издательство Языкознание
Год выпуска 0
isbn 4064066082222



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devait pas agir, ici-bas, autrement qu'avec les facultés d'un homme. Donc, nous pouvons aussi bien marcher sur les eaux, ressusciter le cadavre dans le sépulcre, faire jaillir l'eau du rocher, ou changer en diamant un peu de poussière dans la main tendue d'un loqueteux.

      —A merveille! tu composes le manuel des mille et une recettes à l'usage des Messies à venir.

      —J'entends frapper l'esprit des foules par un fait indéniable et surprenant, de telle sorte qu'elles gagnent la foi, qu'elles m'écoutent et soient persuadées... J'étudie dans les cliniques et dans les hôpitaux l'art des thaumaturges; et dans les laboratoires, celui des magiciens.

      —Au diable les fainéants qui bavardent, tandis que je me morfonds à les attendre! cria Dieudonné, assis dans un petit char-à-bancs verni.

      Il contenait l'impatience de gros chevaux blancs chargés de colliers monumentaux qu'agrémentaient des sonnailles et des pompons bleus.

      —Oui! oui! je montrerai aux fidèles jusqu'où va l'omnipotence de Dieu, jusqu'à changer la poussière en joyau dans la paume du mendiant. Que le Seigneur daigne accorder cette grâce à son prêtre!...

      —Et celle de se hâter davantage quand on l'appelle!... Retrousse ta soutane, ma fille. Hé! on voit ton mollet.

      Lestement, Édouard bondit sur la voiture, et d'une formidable claque heurta l'épaule de l'étudiant, qui lâcha deux jurons, qui se vengea du fouet contre les flancs de ses magnifiques boulonnais. Leurs croupes se contractèrent, pendant qu'ils se cabraient dans les rênes.

      —Voilà des coursiers dignes d'un char antique, remarquait Omer.

      Les poings écartés par l'ampleur de sa bedaine, Dieudonné Cavrois maintint solidement l'attelage pour sortir entre les bornes ferrées qui protégeaient le porche des Moulins-Héricourt. Massifs, fringants, coiffés de crinières épaisses et flottantes, parés de longues queues jusqu'aux sabots, les bêtes blanches emportèrent le véhicule, et les trois cousins rirent sous la voûte de la bâche verte.

      Devant leur moulin de Saint-Nicolas, qui était une construction de briques, aux fenêtres enfarinées, le meunier cessa de pomper l'eau pour saluer, et il fit taire le petit chien roux.

      -Ah! voilà nos maîtres!... Monsieur Dieudonné, nous avons, comme ça, cent cinquante sacs en réserve... Faut-il les charrier aux bateaux?... Le petit bidet a la gourme... L'artiste est revenu ce matin. Pour guérir, il pense que ça guérira... Mais ce sera du long... ah oui, ce sera du long, à ce qu'il dit. Il n'y aura plus de grains à moudre vers les jeudi... Madame Cavrois n'en a point promis... On attend les bateaux de Gibraltar...? Ça m'embarrasse. Bah! je mettrai le temps à profit pour faire gratter les meules. Il y a un engrenage qui se décrinque, et puis la vanne ne va plus grand'ment!... C'est ça, on se mettra à la réparation... La petite Louisette est accouchée de deux jumeaux, la nuit dernière... Il travaille bien, ch'tiot Pierre! On a trinqué un bon coup, ce matin... C'est-y vrai que vous êtes parrain? A la bonne heure... On fera un fameux baptême... avec de la tarte... Et puis vous nous direz des chansons, à c't'heure! Un baptême sans vous, c'est plus triste qu'un enterrement... Mais quand vous y êtes, on prend du plaisir pour tout l'an... Monsieur l'abbé Édouard il le baptisera bien? Il est si brave à l'ouvrage, ch'tiot Pierre! Ah bien, je cours lui annoncer ça... Ce qu'il va être faraud!... Bonsoir, nos maîtres!

      L'homme aux jambes brèves, au large torse agita son bonnet de coton bleu, sans ôter l'autre main du gousset. Par toutes ses têtes rondes et hâlées, une bande de filles en camisoles blanches rit au salut qu'en patoisant Dieudonné leur cria. Les arbalétriers, dans le jardin de l'auberge, rivalisaient d'adresse. Un colosse visait la cible de paille, avec l'arme des ancêtres vaincus à Crécy et Azincourt. Sous le chaume roussi, les façades blanches s'ornaient de capucines et de houblon. Vêtues de noir et cassées par les travaux des champs, les vieilles fumaient leurs pipes, les mains derrière le dos, sous la pointe du madras bien épinglé. Des chats savouraient leur quiétude. Habit bas, les joueurs de boules s'excitaient par mille bravades dont se gaussaient les spectateurs en pantalons courts et en vestes de drap. Plus loin, le curé, fier de sa corpulence, pérorait au milieu d'un groupe de vieillards immobiles sur leurs culottes et leurs bas chinés. Deux ou trois portaient encore la queue de cheveux noué d'un petit ruban gris. Dans un chariot dételé, les gamins défendaient cette forteresse contre des ennemis à collerettes, et armés de branches.

      Après, ce fut la campagne onduleuse, au loin étendue, ses rideaux de peupliers au bord des ruisseaux invisibles dans les creux des prairies, ses éteules blondes montant au ciel nuageux, ses premiers labours, les sillons de terre brune où s'abattaient les cohortes de corbeaux picorant les vers.

      Les chevaux brûlèrent le pavé du Roi, escaladèrent les côtes, descendirent les pentes. Le bruit du grand trot attirait les buveurs sur le seuil du cabaret solitaire à la fourche de la route et du chemin qui conduit, par le travers des champs, jusqu'aux vergers du prochain village. Là-bas le cornet à piston règle la mesure des danses rustiques. Les pigeons tournent dans l'air. Le clocher d'ardoises et de pierres grises veille sur les horizons bleuâtres et sur l'océan des terres, sur la proue d'un soc abandonné entre les mottes. A la crête du talus, le saule étronçonné chante par cent voix de passereaux turbulents.

      Le spectacle de la belle campagne vaste et déserte, en ce jour de repos dominical, les flonflons des bals champêtres qu'apportait parfois le vent, la silhouette d'un couple amoureux qui s'égarait dans la venelle, tout entretenait Omer de son infortune sentimentale. Elvire ne l'aimait point assez, pour qu'il la pût ravir à la sollicitude des parents. S'ils reculaient l'union vers l'époque où l'enfant serait majeure, cinq ans passeraient avant qu'il s'affranchît de toutes les tutelles. Hélas, Mme Héricourt exposait de trop justes raisons. Elvire n'aimait pas encore assez. Lui-même était un sot d'avoir cru le contraire. A qui la faute? N'avait-il pas redouté, pour les ruses de ses vices, la forte intelligence de la jeune fille? Ne l'avait-il pas froissée par ses tergiversations et ses dérobades. N'avait-il pas eu peur de cette vertu sévère? Il voulut interroger ses cousins sur les Gresloup. Une discussion scientifique les accaparait. Édouard éparpillait sur les épaules de sa soutane, la poudre de sa chevelure, tant il remuait sa tête éloquente et colérique, en tapant, du poing son bréviaire, en repoussant vers sa nuque son tricorne. Il accusait Thénard et Gay-Lussac de s'être attribué la découverte de Davy, relative au «radical de l'acide borique». Dieudonné poursuivit la défense des chimistes français. Sans réserves il vanta les travaux de son professeur, M. Dulong, qui, aidé par Thénard, avait définitivement établi l'analogie entre la combustion du carbone contenu dans le sang, lorsqu'il se transforme en acide carbonique sous l'action de l'oxygène respiré, et l'inflammation d'un mélange d'hydrogène et d'oxygène mis en présence du platine en éponge. Le jeune chimiste espérait tout des études entreprises sur les rapports constants entre les chaleurs spécifiques des gaz considérés sous le même volume et sous la même pression. D'ailleurs, il assistait Dulong occupé à construire les appareils pour déterminer la force élastique de la vapeur d'eau à des températures élevées. Et c'était son triomphe d'avoir été choisi comme collaborateur, à Paris, par le maître de la Faculté des Sciences.

      Édouard tint pour la chimie anglaise. Ils dissertaient indéfiniment sur la combinaison du phosphore avec l'oxygène, sur les lois qui régissent la transmission de la chaleur, sur la propriété qu'ont les matières salines de rendre les tissus incombustibles, sur les vertus du fulminate d'argent et de l'acide phosphorique, sur le rôle du kermès dans les affections de poitrine. Déjà l'abbé, sans rien découvrir de sa ruse, avait guéri un pieux malade délaissé par les médecins: puis avait attribué à Dieu l'intervention salutaire, car il administrait la drogue dans le pain bénit.

      Omer ne put placer un mot de ses inquiétudes. Des phrases brèves le rejetaient hors du débat. Accoutumée à tenir compte de l'écho dans les églises, la voix mélodieuse et retentissante d'Édouard étouffait les intrusions de langage étrangères à la thaumaturgie. Adapter l'usage des nouvelles conquêtes scientifiques à la démonstration de la foi, c'était son but. Il regrettait qu'un évêque intelligent n'eût pas lancé sur les eaux de son diocèse, le premier bateau à vapeur! Au P. Ronsin, il avait déjà remis plusieurs mémoires