Aventures du Capitaine Hatteras. Jules Verne

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Название Aventures du Capitaine Hatteras
Автор произведения Jules Verne
Жанр Языкознание
Серия
Издательство Языкознание
Год выпуска 0
isbn 4064066089689



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où se trouvait Shandon de constater la direction du navire au milieu de ces points changeants, qui se déplaçaient et n'offraient aucune perspective stable.

      Les hommes de l'équipage furent divisés en deux bordées de tribord et de bâbord; chacun d'eux, armé d'une longue perche garnie d'une pointe de fer, repoussait les glaçons trop menaçants. Bientôt le Forward entra dans une passe si étroite, entre deux blocs élevés, que l'extrémité de ses vergues froissa ces murailles aussi dures que le roc; peu à peu il s'engagea dans une vallée sinueuse remplie du tourbillon des neiges, tandis que les glaces flottantes se heurtaient et se brisaient avec de sinistres craquements.

      Mais il fut bientôt constant que cette gorge était sans issue; un énorme bloc, engagé dans ce chenal, dérivait rapidement sur le Forward; il parut impossible de l'éviter, impossible également de revenir en arrière sur un chemin déjà obstrué.

      Shandon, Johnson, debout à l'avant du brick, considéraient leur position. Shandon, de la main droite, indiquait au timonier la direction à suivre, et de la main gauche il transmettait à James Wall, posté près de l'ingénieur, ses ordres pour manoeuvrer la machine.

      «Comment cela va-t-il finir? demanda le docteur à Johnson.

      —Comme il plaira à Dieu,» répondit le maître d'équipage.

      Le bloc de glace, haut de cent pieds, ne se trouvait plus qu'à une encablure du Forward, et menaçait de le broyer sous lui.

      «Malheur et malédiction! s'écria Pen avec un effroyable juron.

      —Silence!» s'écria une voix qu'il fut impossible de distinguer au milieu de l'ouragan.

      Le bloc parut se précipiter sur le brick, et il y eut un indéfinissable moment d'angoisses; les hommes, abandonnant leurs perches, refluèrent sur l'arrière en dépit des ordres de Shandon.

      Soudain un bruit effroyable se fit entendre; une véritable trombe d'eau tomba sur le pont du navire, que soulevait une vague énorme. L'équipage jeta un cri de terreur, tandis que Garry, ferme à sa barre, maintint le Forward en bonne voie, malgré son effrayante embardée.

      Et lorsque les regards épouvantés se portèrent vers la montagne de glace, celle-ci avait disparu; la passe était libre, et au delà, un long canal, éclairé par les rayons obliques du soleil, permettait au brick de poursuivre sa route.

      «Eh bien, monsieur Clawbonny, dit Johnson, m'expliquerez-vous ce phénomène?

      —Il est bien simple, mon ami, répondit le docteur, et il se reproduit souvent; lorsque ces masses flottantes se détachent les unes des autres à l'époque du dégel, elles voguent isolées et dans un équilibre parfait; mais peu à peu, elles arrivent vers le sud, où l'eau est relativement plus chaude; leur base, ébranlée par le choc des autres glaçons, commence à fondre, à se miner; il vient donc un moment où le centre de gravité de ces masses se trouve déplacé, et alors elles se culbutent. Seulement, si cet ice-berg se fût retourné deux minutes plus tard, il se précipitait sur le brick et l'écrasait dans sa chute.»

       Table des matières

      UNE NOUVELLE LETTRE.

      Le cercle polaire était enfin franchi; le Forward passait le 30 avril, à midi, par le travers d'Holsteinborg; des montagnes pittoresques s'élevèrent dans l'horizon de l'est. La mer paraissait pour ainsi dire libre de glaces, ou plutôt ces glaces pouvaient être facilement évitées. Le vent sauta dans le sud-est, et le brick, sous sa misaine, sa brigantine, ses huniers et ses perroquets, remonta la mer de Baffin.

      Cette journée fut particulièrement calme, et l'équipage put prendre un peu de repos; de nombreux oiseaux nageaient et voltigeaient autour du navire; le docteur remarqua, entre autres, des alca-alla, presque semblables à la sarcelle, avec le cou, les ailes et le dos noirs et la poitrine blanche; ils plongeaient avec vivacité, et leur immersion se prolongeait souvent au delà de quarante secondes.

      Cette journée n'eût été marquée par aucun incident nouveau, si le fait suivant, quelque extraordinaire qu'il paraisse, ne se fût pas produit à bord.

      Le matin, à six heures, en rentrant dans sa cabine après son quart,

       Richard Shandon trouva sur sa table une lettre avec cette suscription:

      «Au commandant Richard Shandon, à bord du Forward.

      «Mer de Baffin.»

      Shandon ne put en croire ses yeux; mais avant de prendre connaissance de cette étrange correspondance, il fit appeler le docteur, James Wall, le maître d'équipage, et il leur montra cette lettre.

      «Cela devient particulier, fit Johnson.

      —C'est charmant! pensa le docteur.

      —Enfin, s'écria Shandon, nous connaîtrons donc ce secret…»

      D'une main rapide, il déchira l'enveloppe, et lut ce qui suit:

      «Commandant,

      «Le capitaine du Forward est content du sang-froid, de l'habileté et du courage que vos hommes, vos officiers et vous, vous avez montré dans les dernières circonstances; il vous prie d'en témoigner sa reconnaissance à l'équipage.

      «Veuillez vous diriger droit au nord vers la baie Melville, et de là vous tenterez de pénétrer dans le détroit de Smith.

      «Le capitaine du Forward,

      «K.-Z.

      «Ce lundi, 30 avril, par le travers du cap Walsingham.»

      «Et c'est tout? s'écria le docteur.

      —C'est tout,» répondit Shandon.

      La lettre lui tomba des mains.

      «Eh bien, dit Wall, ce capitaine chimérique ne parle même plus de venir à bord; j'en conclus qu'il n'y viendra jamais.

      —Mais cette lettre, fit Johnson, comment est-elle arrivée?»

      Shandon se taisait.

      «Monsieur Wall a raison, répondit le docteur, qui, ayant ramassé la lettre, la retournait dans tous les sens; le capitaine ne viendra pas à bord, par une excellente raison…

      —Et laquelle? demanda vivement Shandon.

      —C'est qu'il y est déjà, répondit simplement le docteur.

      —Déjà! s'écria Shandon; que voulez-vous dire?

      —Comment expliquer sans cela l'arrivée de cette lettre?»

      Johnson hochait la tête en signe d'approbation.

      «Ce n'est pas possible! fit Shandon avec énergie, je connais tous les hommes de l'équipage; il faudrait donc supposer qu'il se trouvât parmi eux depuis le départ du navire? Ce n'est pas possible, vous dis-je! Depuis plus de deux ans, il n'en est pas un que je n'aie vu cent fois à Liverpool; votre supposition, docteur, est inadmissible!

      —Alors, qu'admettez-vous, Shandon?

      —Tout, excepté cela. J'admets que ce capitaine, ou un homme à lui, que sais-je? a pu profiter de l'obscurité, du brouillard, de tout ce que vous voudrez, pour se glisser à bord; nous ne sommes pas éloignés de la terre; il y a des kaïaks d'Esquimaux qui passent inaperçus entre les glaçons; on peut donc être venu jusqu'au navire, avoir remis cette lettre… le brouillard a été assez intense pour favoriser ce plan…

      —Et pour empêcher de voir le brick, répondit le docteur; si nous n'avons pas vu, nous, un intrus se glisser à bord, comment, lui, aurait-il pu découvrir le Forward au milieu du brouillard?

      —C'est