Aventures du Capitaine Hatteras. Jules Verne

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Название Aventures du Capitaine Hatteras
Автор произведения Jules Verne
Жанр Языкознание
Серия
Издательство Языкознание
Год выпуска 0
isbn 4064066089689



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même pas, et qui veut déjà lui chercher dispute!

      —Qui ne le connaît pas, répliqua Clifton de l'air d'un homme qui en sait long; c'est à savoir, s'il ne le connaît pas!

      —Que diable veux-tu dire? demanda Gripper.

      —Je m'entends.

      —Mais nous ne t'entendons pas!

      —Eh bien, est-ce que Pen n'a pas eu déjà des désagréments avec lui?

      —Avec le capitaine?

      —Oui, le dog-captain; car c'est exactement la même chose.»

      Les matelots se regardèrent sans trop oser répondre. «Homme ou chien, fit Pen entre ses dents, je vous affirme que cet animal-là aura son compte un de ces jours.

      —Voyons, Clifton, demanda sérieusement Bolton, prétends-tu, comme l'a dit Johnson en se moquant, que ce chien-là est le vrai capitaine?

      —Certes, répondit Clifton avec conviction; et si vous étiez des observateurs comme moi, vous auriez remarqué les allures étranges de cet animal.

      —Lesquelles? voyons, parle!

      —Est-ce que vous n'avez pas vu la façon dont il se promène sur là dunette avec un air d'autorité, regardant la voilure du navire, comme s'il était de quart?

      —C'est vrai, fit Gripper; et même un soir je l'ai positivement surpris les pattes appuyées sur la roue du gouvernail.

      —Pas possible! fit Bolton.

      —Et maintenant, reprit Clifton, est-ce que, la nuit, il ne quitte pas le bord pour aller se promener seul sur les champs de glace, sans se soucier ni des ours ni du froid?

      —C'est toujours vrai, fit Bolton.

      —Est-ce que vous voyez cet animal-là, comme un honnête chien, rechercher la compagnie des hommes, rôder du côté de la cuisine, et couver des yeux maître Strong quand il apporte quelque bon morceau au commandant? Est-ce que vous ne l'entendez pas, la nuit, quand il s'en va à deux ou trois milles du navire, hurler de façon à vous donner froid dans le dos, ce qui n'est pourtant pas facile à ressentir par une pareille température? Enfin, est-ce que vous avez jamais vu ce chien-là se nourrir? Il ne prend rien de personne; sa pâtée est toujours intacte, et, à moins qu'une main ne le nourrisse secrètement à bord, j'ai le droit de dire que cet animal vit sans manger, Or, si celui-là n'est pas fantastique, je ne suis qu'une bête.

      —Ma foi, répondit Bell le charpentier, qui avait entendu toute l'argumentation de Clifton, ma foi, cela pourrait bien être!»

      Cependant les autres matelots se taisaient.

      «Eh bien, moi, reprit Clifton, je vous dis que si vous faites les incrédules, il y a à bord des gens plus savants que vous qui ne paraissent pas si rassurés.

      —Veux-tu parler du commandant? demanda Bolton.

      —Oui, du commandant et du docteur.

      —Et tu prétends qu'ils sont de ton avis?

      —Je les ai entendus discuter la chose, et j'affirme qu'ils n'y comprenaient rien; ils faisaient mille suppositions qui ne les avançaient guère.

      —Et ils parlaient du chien comme tu le fais, Clifton? demanda le charpentier.

      —S'ils ne parlaient pas du chien, répondit Clifton mis au pied du mur, ils parlaient du capitaine, ce qui est la même chose, et ils avouaient que tout cela n'est pas naturel.

      —Eh bien, mes amis, reprit Bell, voulez-vous avoir mon opinion?

      —Parlez! parlez! fit-on de toutes parts.

      —C'est qu'il n'y a pas et qu'il n'y aura pas d'autre capitaine que

       Richard Shandon.

      —Et la lettre? fit Clifton.

      —La lettre existe réellement, répondit Bell; il est parfaitement exact qu'un inconnu a armé le Forward pour un voyage dans les glaces; mais le navire une fois parti, personne ne viendra plus à bord.

      —Enfin, demanda Bolton, où ira-t-il, le navire?

      —Je n'en sais rien; à un moment donné, Richard Shandon recevra le complément de ses instructions.

      —Mais par qui?

      —Par qui?

      —Oui, comment? dit Bolton qui devenait pressant.

      —Allons, Bell, une réponse, dirent les autres matelots.

      —Par qui? comment? Eh! je n'en sais rien, répliqua le charpentier, embarrassé à son tour.

      —Eh, par le captain-dog! s'écria Clifton. Il a déjà écrit une première fois, il peut bien écrire une seconde. Oh! si je savais seulement la moitié de ce que sait cet animal-là, je ne serais pas embarrassé d'être premier lord de l'Amirauté.

      —Ainsi, reprit Bolton pour conclure, tu t'en tiens à ton dire, que ce chien-là est le capitaine?

      —Oui, comme je l'ai dit.

      —Eh bien, dit Pen d'une voix sourde, si cet animal-là ne veut pas crever dans la peau d'un chien, il n'a qu'à se dépêcher de devenir un homme; car, foi de Pen, je lui ferai son affaire.

      —Et pourquoi cela? demanda Garry.

      —Parce que cela me plaît, répondit brutalement Pen; et je n'ai de compte à rendre à personne.

      —Assez causé, les enfants, cria maître Johnson en intervenant au moment où la conversation semblait devoir mal tourner; à l'ouvrage, et que ces scies soient installées plus vite que cela! Il faut franchir la banquise!

      —Bon! un vendredi! répondit Clifton en haussant les épaules. Vous verrez qu'on ne passe pas si facilement le cercle polaire!»

      Quoi qu'il en soit, les efforts de l'équipage furent à peu près impuissants pendant cette journée. Le Forward, lancé à toute vapeur contre les ice-fields, ne parvint pas à les séparer; on fut obligé de s'ancrer pendant la nuit.

      Le samedi, la température s'abaissa encore sous l'influence d'un vent de l'est; le temps se mit au clair, et le regard put s'étendre au loin sur ces plaines blanches que la réflexion des rayons solaires rendait éblouissantes. A sept heures du matin, le thermomètre accusait huit degrés au-dessus de zéro (-22° centig.).

      Le docteur était tenté de rester tranquillement dans sa cabine à relire des voyages arctiques; mais il se demanda, suivant son habitude, ce qu'il lui serait le plus désagréable à faire en ce moment. Il se répondit que monter sur le pont par cette température, et aider les hommes dans la manoeuvre, n'avait rien de très-réjouissant. Donc, fidèle à sa règle de conduite, il quitta sa cabine si bien chauffée et vint contribuer au halage du navire. Il avait bonne figure avec les lunettes vertes au moyen desquelles il préservait ses yeux contre la morsure des rayons réfléchis, et dans ses observations futures il eut toujours soin de se servir de snow-spectacles[1] pour éviter les ophthalmies très-fréquentes sous cette latitude élevée.

      [1] Lunettes à neige.

      Vers le soir, le Forward avait gagné plusieurs milles dans le nord, grâce à l'activité des hommes et à l'habileté de Shandon, adroit à profiter de toutes les circonstances favorables; à minuit, il dépassait le soixante-sixième parallèle, et la sonde ayant rapporté vingt-trois brasses de profondeur, Shandon reconnut qu'il se trouvait sur le bas-fond où toucha le Victory, vaisseau de Sa Majesté. La terre s'approchait à trente milles dans l'est.

      Mais alors la masse des glaces, immobile jusqu'alors, se divisa et se mit en mouvement; les ice-bergs semblaient surgir de tous les points de l'horizon; le brick se trouvait engagé dans une série d'écueils mouvants dont la force d'écrasement est irrésistible; la manoeuvre devint assez difficile pour que Garry, le meilleur timonier, prît la barre; les