Kurze Formen in der Sprache / Formes brèves de la langue. Anne-Laure Daux-Combaudon

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Название Kurze Formen in der Sprache / Formes brèves de la langue
Автор произведения Anne-Laure Daux-Combaudon
Жанр Документальная литература
Серия
Издательство Документальная литература
Год выпуска 0
isbn 9783823302469



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resserrant de façon pragmatiquement efficace ce que disait le long discours du prédicateur : en réduisant la leçon divine à l’essentiel, par ex. au châtiment, il confrontait l’auditeur à un message d’autant plus violent. L’exemplum a un « effet-nouvelle », condensant et parachevant une histoire par une chute tantôt dramatique, tantôt scandaleuse. Il repose sur la conviction d’une saisie globale par intuition avant que n’intervienne la reconstruction cognitive progressive : le court serait clarification didactique alors que la longueur serait mystifiante.

      Une anecdote anglaise illustre humoristiquement cet idéal de la nouvelle brève :

       (6) Une anecdote mettant en scène Somerset Maugham raconte que le célèbre écrivain visitait un jour une école de filles, où il prononça une conférence sur l’écriture de la nouvelle. La conférence en donnait comme constituants principaux la religion, le sexe, le mystère, le haut statut, une langue non littéraire et la brièveté.Le lendemain, l’enseignante invita ses élèves à écrire un texte suivant cette recette. Une minute après, l’une d’entre elles dit qu’elle avait fini. L’enseignante incrédule lui demanda de lire son travail à haute voix, ce qu’elle fit : « Mon Dieu », s’exclama la duchesse, « je suis enceinte ! Je me demande bien de qui ! »2.

      Cette ultra-short story met en scène le trait incisif, la fulgurance de l’esprit qu’on retrouve dans la sentence, le proverbe, le distique, l’épigramme, tous ces textes constitués souvent d’une seule phrase qui renferme une pépite de pensée. L’aphorisme illustre bien les vertus prêtées à la brièveté (Schneider-Mizony 2001) : ces énoncés à une phrase combinent idéalement la puissance et la concision, ils dégagent une énergie intellectuelle qui donne une polarité positive au petit, conçu comme ramassé et puissant. L’effacement de la narration explicite devant l’herméneutique tend à une aristocratie de la brièveté : celle-ci cache le meilleur sous les mots que seuls décodent les initiés. Le trait d’esprit méprise logiquement le lourdaud et le domine. La brièveté implique le partage d’une culture commune s’exprimant par allusions. L’urbanité du Be brief est devenue à la période classique un élitisme cognitif au service de l’entre-soi.

      Cette vision brutale du texte bref profite de sa synchronie intrinsèque : la saisie de l’œuvre y est holistique, comme s’il avait adéquation entre l’intention de création et l’expérience de la perception. Le fragment romantique n’est pas en priorité destiné à des lecteurs qu’aurait gagnés l’impatience de la modernité (Montandon 1992 : 88), mais relève d’un désir prométhéen d’enfermer le monde dans une formule. Le court n’y est pas pauvre, mais miniaturisé sous une forme énigmatique, exemple de langue cryptique. Les formes textuelles brèves se prêtent ainsi particulièrement bien à la canonisation, joignant la conservation de l’oralité au ciselage de la forme.

      3 Quand la brièveté est fonctionnelle et rapide chez les linguistes

      3.1 La valorisation dans le discours institutionnel

      Les linguistes jugent de la brièveté en soupesant le rapport et l’équilibre entre les signifiants et les signifiés, comme I. Behr, qui, dans un article sur les propos oraux se complétant les uns les autres, estimait que cette économie était plus matérielle qu’opérationelle et devait être localisée au seul plan matériel1. Sous-jacente est l’idée qu’à un signifiant court peuvent correspondre des opérations longues en signifié, et qu’un locuteur bref nécessite un interlocuteur coopératif. L’économie de matériau langagier ne signifie pas économie de difficultés, car le bref, s’il sous-entend, démotive2, et contrecarre la facilitation cognitive attendue. On attend en effet quelque chose du bref, dont l’utilité potentielle devient principe d’explication : elle répondrait à un besoin, comme dans la Grammaire des fautes de Frei (1929), qui fait varier la langue en expressivité suivant les besoins ressentis par les sujets parlants face à ce qu’il appelle les déficits du français standard. Au nombre de ces besoins universaux du langage, le besoin de brièveté compte les phénomènes de brachysémie ou brièveté sémantique, mais aussi les représentants (pronoms personnels) ou les ellipses, dites répondre à un « besoin fort » :

       (7) Le besoin d’économie exige que la parole soit rapide, qu’elle se déroule et soit comprise dans le minimum de temps. De là les abréviations, les raccourcis, les sous-entendus, les ellipses, etc., que la langue parlée présente en si grand nombre. (Frei 1929 : 28)

       (8) L’économie linguistique se manifeste sous deux aspects opposés, selon qu’on la considère dans l’axe du discours ou dans celui de la mémoire. Le besoin de brièveté, ou économie discursive, cherche à abréger autant que possible la longueur et le nombre des éléments dont l’agencement forme la chaîne parlée. (Frei 1929 : 107)

      La grammaticographie germanophone montre également ces valorisations du moindre nombre de mots pour réaliser soi-disant la même chose.J. Macheiner (1991 : 341–342) loue par exemple l’économie par l’infinitif d’une conjonction telle que dass, du sujet, et de la forme personnelle du verbe. La remarque sur la forme verbale est fausse dans la mesure où le morphème de l’infinitif compte autant de lettres que celui de la plupart des terminaisons de conjugaison. Cela n’empêche pas l’auteure de multiplier les jugements sur l’économie que réaliserait l’infinitif par ses raccourcis de structures : strukturelle Verkürzung, strukturelle Verdichtungen (Macheiner 1991 : 341, 342). La condensation de forme (Verdichtung) est au service d’un plus grand espace d’interprétation, dont le flou est caractérisé positivement (willkommene semantische Freizügigkeit) :

       (9) Dans la mesure où l’infinitif évite entre autres l’indication du mode, il laisse la modalité de la phrase non spécifiée. Son principe d’économie est ainsi au service d’une générosité sémantique bienvenue3.

      On lit dans ces jugements l’implicite valorisation de la réduction par rapport au déroulé paraphrastique, une vision de la brièveté textuelle comme condensation au sens chimique du terme, condensation de la pierre philosophale et imaginaire du petit précieux. Ce topos, indéterminable du point de vue de la vérité, dépend des options intellectuelles et esthétiques du scripteur, comme ici la liberté de l’individu à interpréter.

      3.2 L’économie linguistique comme principe d’évolution

      Au-delà des rêveries épilinguistiques, la brièveté est économie pour la théorie du changement langagier. Que l’on regarde les termes utilisés par Paul dans ses Prinzipien der Sprachgeschichte, § 218 :

       (10) L’utilisation, tantôt économe, tantôt plus généreuse des moyens langagiers pour l’expression d’une idée dépend du besoin. On ne peut certes pas nier qu’il en soit fait parfois un usage dispendieux. Mais, dans l’ensemble, c’est plutôt une forme de principe d’économie qui caractérise l’usage langagier1.

      L’historiolinguistique, quand elle manie la notion d’économie linguistique, est traversée par l’idée qu’une recherche de la commodité par un locuteur indolent, voire paresseux, lui ferait rechercher le mot plus petit, la phrase plus courte, le phonème abrasé parce que moins fatiguant à articuler, car :

       (11) L’évolution linguistique peut être conçue comme régie par l’antinomie permanente entre les besoins communicatifs de l’homme et sa tendance à réduire au minimum son activité mentale et physique. (Martinet 1961 : 182)

      Cette idée d’effort à réaliser pour faire long au lieu de court, qu’il s’agisse d’un effort articulatoire (physikalischer Aufwand, Siever 2011 : 1) ou d’un effort mental de décodage, sous-tend une expression telle que :

       (12) libérer les formes de leur surplus pondéral2.

      Une pareille formulation repose sur l’idée d’une fatigue et