Kurze Formen in der Sprache / Formes brèves de la langue. Anne-Laure Daux-Combaudon

Читать онлайн.
Название Kurze Formen in der Sprache / Formes brèves de la langue
Автор произведения Anne-Laure Daux-Combaudon
Жанр Документальная литература
Серия
Издательство Документальная литература
Год выпуска 0
isbn 9783823302469



Скачать книгу

langue, qui peuvent être prescriptives, quand il est question de normes et de standard, ou évaluatives (Houdebine-Gravaud 2002 : 11). Ces attitudes sont nourries de mythes sur la langue et de topoï circulants : elles représentent une pensée non scientifique, qualifiée courtoisement de linguistique populaire ou folk linguistics. L’accès à l’imaginaire de la brièveté se fait en analysant les discours épilinguistiques à son sujet, rêveries de la concision langagière qui seront examinées à trois niveaux : brièveté de la prise de parole, puis du texte, et enfin principe d’économie langagière. La première partie donnera des justifications éthiques à la brièveté, la seconde traitera de la poétique des textes brefs, et la troisième s’intéressera à ce que la discipline linguistique même dit de la brièveté. Les exemples issus des langues française et germaniques montrent des imaginaires analogues, qu’explique sans doute le fonds de culture humaniste commun à ces espaces.

      1 Quand la brièveté de la prise de parole est éthique chez l’homo urbanus

      Le premier théoricien de la brièveté langagière, Sénèque, était qualifié par ses contemporains de arena sine calce, sable sans chaux1, par allusion à ses phrases brèves et juxtaposées, qui ont donné son nom à une écriture dépouillée s’opposant à l’ample période cicéronienne. Là où on lui reprochait son manque d’élégance et de savoirs précieux, le philosophe romain défend la thèse selon laquelle nul style ne doit empêcher l’accès direct aux idées : il ne saurait y avoir de différence entre res – les choses qui sont matière du discours – et verba – les mots. Toute formule supplémentaire, si virtuose soit-elle, est de la coquetterie. La parole brève se limite au discours brut de la conscience honnête. On ne parle pas pour l’esthétique, mais pour la vérité ou, avec les mots de Sénèque :

       (1) Non delectent uerba nostra, sed prosint. [Que nos paroles ne visent pas le plaisir, mais l’utilité], cité d’après Armisen-Marchetti (1996 : 12)

      Cette conception de la brièveté se fonde sur l’idée que celui qui parle beaucoup aurait beaucoup à cacher, car les mots poseraient un voile sur les choses en empêchant l’accès à la vérité : la période baroque fait ainsi de la langue le speculum rerum, le miroir des objets, et développe la rêverie d’une langue directement et exactement référentielle. Deux millénaires plus tard, les maximes conversationnelles de Grice sur la quantité justifient une valorisation semblable de la parole brève. La prescription de brièveté se retrouve aussi bien dans la maxime de quantité sous la forme Que votre contribution ne contienne pas plus d’information qu’il n’est requis qu’en spécification de la maxime de clarté sous la forme Soyez bref. Les implicatures conversationnelles que l’on tire de l’infraction de ces maximes démasquent la parole mensongère (Grice 1979 : 61–62).

      La brièveté est créditée d’un second effet moral : elle serait plus efficace que l’exhaustivité. Les textes amplifiés seraient bavards et gratuits, sans qualité éthique, alors que la leçon morale doit veiller au temps d’attention et à la compréhension des destinataires. À l’exception des fabliaux, les genres brefs du Moyen-Âge visaient l’édification didactique, impliquant précisément la brièveté. Le message moral court était réputé mieux se comprendre que le long sermon. C’est ainsi que les textes brefs de la période classique française, ceux de la Rochefoucauld ou de La Bruyère, les Fables de La Fontaine, les Pensées de Pascal sont de l’ordre de la révélation morale puissante aussi bien qu’immédiate, une condensation créant le choc mental qui va amener à changer de vie.

      La brièveté est aussi courtoisie : trois siècles plus tard, le mot-valise netiquette verbalise la nécessité de faire des méls courts pour rester court-ois (jeu verbal d’étymologie), transposant à la communication numérique les exigences de coopération harmonieuse avec l’interlocuteur inscrites depuis des siècles dans les stylistiques de la correspondance :

       (2) La longueur d’un courriel n’est pas limitée… en théorie ! Vous pouvez écrire des centaines de lignes si vous le souhaitez. Néanmoins n’oubliez pas que le courriel est un moyen de communiquer rapidement. Vos interlocuteurs préfèreront un message relativement concis. (Salmandjee-Lecomte 2008 : 30)

      Être bref, c’est économiser le temps et la patience de son interlocuteur, donc être poli. Le revers de la médaille est l’opacité potentielle de cette brièveté, qui peut, inversement donc, devenir impolie, comme le révèle en creux le conseil de ne pas faire trop court sous peine de se comporter comme un rustre langagier, conseil dans lequel un dicton allemand célèbre est retourné en reproche de mauvaise manière :

       (3) Le bref a plus de goût, dit-on. Mais on n’aime pas non plus les textes trop salés. Celui qui n’écrit qu’en phrases courtes n’atteint guère d’autre but que de passer pour un bûcheron sous l’influence de stéroïdes2.

      La métaphore du bûcheron sous stéroïdes accomplit l’acte indirect d’un reproche de conduite : on rebuterait ses lecteurs par des textes insuffisamment explicites. Il faut ainsi être non seulement poli, mais habile, quand on est bref. D’où le fleurissement contemporain de guides rédigés par diverses institutions en Allemagne comme en Suède ou au Canada expliquant comment écrire en langage clair et simple (leichte Sprache en allemand, klarsprak en suédois), en faisant, entre autres, des phrases courtes dans des textes courts afin d’assurer une circulation démocratique et transparente de l’information, comme Karin Ridell l’analyse pour la klarsprak suédoise. Le Conseil des Langues en Suède recommande :

       (4) Les textes rédigés conformément aux principes de la klarsprak doivent être courts et contenir seulement des informations pertinentes. (d’après Ridell 2016 : 155)

      2 Quand la brièveté est belle chez l’homo ludens

      Dans son panorama des genres brefs de l’histoire textuelle européenne, Montandon cite une cinquantaine de modèles qui vont de l’adage au Witz en passant par le concetto, l’énigme ou le madrigal (1992 : 5). La reconnaissance d’une qualité esthétique aux textes brefs a été longue, car la brièveté caractérisait à l’origine le style bas (humilis) ou léger (brevis), ce dernier s’appliquant au comique. Elle était considérée comme moins littéraire que l’amplificatio, dont les figures rhétoriques embellissaient intrinsèquement le sujet. Contraire au projet esthétique dominant qui recourait aux ajouts stylistiques, la brièveté n’était acceptée que dans des anecdotes sensationnelles ou drôles, relevant du divertissement. Le peu de considération pour le genre bref se reflète dans les conseils donnés aux prédicateurs pour passer des textes longs aux courts : supprimer des parties du texte, réduire la narration à l’état de squelette, se limiter à l’utile. On argumentait que les auditeurs laïcs (et incultes…) ne goûteraient pas les digressions. Le mépris social traverse les siècles sans grand changement jusqu’aux stylistiques des années 70 sous la forme : la brièveté, c’est pour les gens peu instruits. La sous-partie consacrée aux phrases courtes d’une stylistique germanophone indique :

       (5) Les phrases en usage chez les enfants et les gens simples se limitent à des informations essentielles, des données relationnelles (personnes, évènements, circonstances) et à de modestes connexions entre les phrases. […] Ces caractéristiques expliquent qu’on les rencontre fréquemment à l’oral, dans des messages rapides (presse à grand tirage) et dans les textes populaires (contes, fables, légendes, chansons populaires), où c’est une langue simple, intelligible et proche des gens qui importe1.

      À la stigmatisation traditionnelle succède une nouvelle valorisation à l’ère moderne, le jugement esthétique porté sur l’expressivité de la brièveté relevant alors du complexe d’Harpagon, comme le nomme Bachelard (1972 : 132). Appelé « complexe du petit profit », il estime les petites choses, comme les pierres du même nom, plus précieuses que les grands objets. Ces petites formes transportent une valeur concentrée qui relève du fonds pulsionnel