Napoléon: La dernière phase. Archibald Philip Primrose Earl of Rosebery

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Название Napoléon: La dernière phase
Автор произведения Archibald Philip Primrose Earl of Rosebery
Жанр Языкознание
Серия
Издательство Языкознание
Год выпуска 0
isbn 4064066081720



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d'une telle colère qu'il sentait trembler son mollet gauche. Or, c'était là un de ses plus terribles symptômes et il y avait des années qu'il ne l'avait éprouvé. Toujours à la manière de Boswell, Las Cases raconte que Napoléon l'avait traité de niais, puis l'avait consolé en l'assurant que cette épithète de sa part était toujours un brevet d'honnêteté.

      Ailleurs, Las Cases parle avec enthousiasme de l'absence de tout sentiment personnel chez Napoléon. «Il voit les choses tellement en grand et de haut qu'il perd de vue les individus. Jamais on ne l'a surpris en colère contre aucun de ceux dont il a eu tant à se plaindre.» Quand il serait possible, à d'autres points de vue, d'accepter implicitement les récits de Las Cases, cette prodigieuse assertion serait de nature à faire réfléchir.

      Les Mémoires de Montholon ressemblent à celui qui les a écrits: un mondain correct et bienveillant. Dans des lettres secrètes aux agents anglais, O'Meara l'accuse d'être un menteur; il devait s'y connaître. Nous ne doutons pas que les Mémoires de Montholon, lorsqu'ils se rapportent à la politique générale de Longwood, ne soient sujets à caution, comme toutes les publications faites moins de trente ans après la mort de Napoléon. Cependant, il est bon de remarquer qu'ils ont paru assez tard, en 1847. Les dates données par Montholon ne sont pas toujours exactes, ce qui ferait croire que ces notes pourraient bien avoir été rédigées à une époque postérieure aux événements qu'elles racontent. Il est à peu près évident que certains passages ont été ajoutés au texte longtemps après le séjour à Sainte-Hélène. Mais sur tous les points, où la réputation de Napoléon et où les souffrances de sa captivité ne sont pas en jeu, on peut lire ces Mémoires avec intérêt. Nous devons également louer le ton de l'ouvrage. Ce ton s'explique par la date de la publication. Le quart de siècle qui s'était écoulé avait calmé bien des passions, apaisé bien des querelles. Gourgaud avait abdiqué ses fureurs et collaboré amicalement avec Montholon à la publication des Mémoires de l'Empereur. Aussi Montholon n'a-t-il pas un mot contre Gourgaud, pas même une allusion indirecte, alors qu'il parle d'un temps où ce porc-épic enragé devait lui rendre la vie insupportable. A la date du cartel que lui avait adressé Gourgaud, il y a un vide de dix jours. Ce silence calculé est-il le résultat d'un remords de conscience? Ou,—chose qui n'a rien d'impossible,—toute cette affaire n'était-elle qu'une comédie? Ou, enfin, après réflexion, jugea-t-on nécessaire de supprimer le passage? Nul ne saurait le dire. Nous penchons vers la dernière hypothèse et nous regrettons, maintenant que le journal de Gourgaud est publié, de ne pas posséder aussi celui de Montholon dans son intégralité. Nous aurions ainsi les deux sons de la cloche. Nous savons qu'il a laissé, en manuscrit, une foule de notes prises d'après des conversations. On en a publié une qui rapporte certain monologue de Napoléon du 10 mars 1819; elle dépasse en intérêt tout ce que contient le livre de Montholon. Il est bien à désirer que le monde connaisse enfin ces notes et qu'elles lui soient livrées sans réserve. Nous aurions là un témoignage historique qui ne serait pas inférieur en intérêt à celui de Gourgaud. Dans le livre tel que nous l'avons aujourd'hui, ce que nous regrettons surtout ce sont les passages qui, manifestement, ont été supprimés, soit par une aveugle adoration pour la mémoire de Napoléon, soit par sollicitude pour les intérêts de son neveu. D'ailleurs, le récit devient insignifiant là où il serait le plus intéressant pour nous, c'est-à-dire après le départ des autres chroniqueurs, Las Cases, O'Meara et Gourgaud, lorsque nous n'avons plus rien pour satisfaire notre curiosité que les fantaisies d'Antommarchi.

      Car, dans les derniers jours, c'est Antommarchi seul qui nous reste et c'est celui de tous qui mérite le moins de confiance. C'était un jeune Corse, non sans quelque mérite comme anatomiste. Il était arrivé à Sainte-Hélène dix-huit mois avant la mort de Napoléon. En sa qualité de Corse, choisi par le cardinal Fesch, il aurait dû être agréable à l'Empereur. Mais il joua de malheur. Plusieurs fois il se trouva absent au moment où Napoléon avait besoin de lui. De plus son illustre malade qui n'avait, du reste, jamais aimé les médecins, le jugeait trop jeune et sans expérience. D'après Montholon, Antommarchi traitait la maladie de Napoléon comme sans importance, ou même comme feinte. Pourtant Montholon parle de lui favorablement. C'était, dit-il, «un excellent jeune homme». On ne lui voit aucune raison pour calomnier Antommarchi. Lorsque Napoléon, en mars 1821, se plaint de sentir, à l'intérieur, des douleurs lancinantes, comme des «coups de canif», causés par l'affreuse maladie dont il mourait, Antommarchi sourit. A sept semaines de la fin, dit Montholon, il est impossible de lui faire comprendre la gravité de l'état de l'Empereur. Il est dominé par la conviction que tout ce que nous lui disons, l'Empereur ou moi, à cet égard, est un jeu politique pour amener le gouvernement anglais à nous rappeler en Europe. Le 20 mars, il déclare, avec un sourire incrédule, que le pouls de Napoléon est dans l'état normal.

       Cependant, le 21 mars, il reconnaît que la situation est sérieuse et déclare qu'il aperçoit des symptômes indéniables de gastrite. Là-dessus, Napoléon consent, quoique avec la plus grande répugnance, à prendre une limonade émétisée. Le lendemain donc, un quart de grain de tartre émétique lui est administré dans une boisson. Le malade est pris de nausées violentes et se roule par terre dans d'atroces douleurs. Ce qu'étaient ces douleurs, nous pouvons à peine l'imaginer, nous qui savons de quels horribles ulcères il était rongé. Que dit Antommarchi? Que l'effet a été trop fort, mais que c'est le remède nécessaire. Cependant Napoléon refuse absolument de prendre une nouvelle médecine du même genre. Le lendemain, il ordonne à son valet de lui apporter un verre de limonade; le jeune docteur est en éveil et trouve le moyen d'y jeter une dose de son remède favori. Napoléon sent une odeur suspecte et donne la potion à Montholon qui a, au bout de dix minutes, d'affreux vomissements. Naturellement, l'Empereur entre en fureur, appelle Antommarchi un assassin et déclare qu'il ne le reverra de sa vie.

      Depuis quelque temps déjà, le jeune Corse était las de vivre dans la réclusion et d'avoir à soigner un homme en qui il voyait un malade imaginaire. Il passait une grande partie de son temps à Jamestown ou en dehors du domaine, au grand ennui de l'ordonnance dont la mission était de l'accompagner. Enfin, en janvier 1821, il exposa à sir Thomas Reade son intention d'abandonner le service de Napoléon et de quitter l'île. Le 31 de ce mois, il écrit à Montholon qu'il désire retourner en Europe et qu'il sent, avec regret, son impuissance à gagner la confiance de l'Empereur. Napoléon donna immédiatement son consentement par une lettre que Montholon n'a pas tort de trouver «bien dure». Nous en citerons le dernier paragraphe. «Depuis quinze mois que vous êtes dans ce pays, vous n'avez donné à Sa Majesté aucune confiance dans votre caractère moral. Vous ne pouvez lui être d'aucune utilité dans sa maladie, et votre séjour ici quelques mois de plus serait sans objet.» En dépit de cette cruelle phrase, Bertrand et Montholon ménagent un raccommodement, et, le 6 février, Antommarchi reçoit la permission de reprendre son service. Le 23 mars, comme nous l'avons vu, nouvelle scène, et Montholon rapporte que le 31 mars Napoléon persiste à ne pas même permettre qu'on prononce son nom. On lui permet pourtant d'assister le 3 avril à la visite du docteur Arnott. Le 8 avril, il est encore absent lorsqu'on le fait demander et il est informé officiellement que l'Empereur ne le verra plus. Le 9, il va trouver Hudson Lowe pour solliciter la permission de retourner en Europe, vingt-six jours avant la mort de Napoléon. Lowe lui dit qu'il doit en référer au gouvernement. Le 16, Arnott insiste pour que Napoléon consente de nouveau à recevoir Antommarchi. Le 17, l'Empereur dicte une lettre que devait signer Antommarchi. A cette condition expresse, il lui permettait de rester. Ceci avait trait à des indiscrétions et à des plaisanteries qu'on accusait le jeune docteur de s'être permises au sujet des habitudes de son maître. Le 18, il obtient de nouveau l'autorisation d'accompagner Arnott dans la chambre du malade. Le 21, cependant, le médecin anglais visite Napoléon sans qu'il soit présent; et quand, le 29, Montholon veut le faire appeler, Napoléon refuse par deux fois, avec colère. Pendant les cinq premiers jours de mai, qui sont les derniers de la vie de l'Empereur, il lui est permis de veiller dans une chambre voisine de celle où est le malade. Pendant la dernière agonie, toutes les fois qu'il essaye d'humecter les lèvres du mourant, Napoléon le repousse et, du regard, fait signe à Montholon de prendre sa place. Enfin, le 5 mai, Napoléon meurt, et, seul de ses serviteurs, Antommarchi est omis dans son testament.

      Pourquoi rappeler si minutieusement toutes ces circonstances?

      Pour