de la reconnaissance que je vous porte.» Napoléon, continue le docteur, ajouta des instructions confidentielles au sujet de ses funérailles. Elles devaient avoir lieu à Ajaccio, si Paris était impossible, et, à défaut d'Ajaccio, à Sainte-Hélène, près des sources. Le 26 mars, alors que Napoléon ne veut pas entendre parler de lui, il se représente persuadant à l'Empereur de voir le docteur Arnott. Montholon dit que ce fut le 31 mars que Napoléon consentit pour la première fois à ce qu'on fît venir Arnott, et il ajoute: «Quant à Antommarchi, il persiste à ne pas même permettre qu'on prononce son nom.» Chaque jour Antommarchi rapporte de menus détails, de longues et affectueuses conversations entre son malade et lui. Pas un mot sur la défense d'entrer chez Napoléon, sur le congé méprisant qu'il avait reçu, ou sur ses propres démarches pour quitter Sainte-Hélène. Pourtant, dans les deux volumes qu'il a consacrés à son séjour de dix-huit mois à Longwood, il eût été facile de trouver une place pour y consigner ces incidents. Il est inadmissible que Montholon se soit rendu coupable d'un mensonge gratuit en ce qui le touche. Montholon est bien disposé envers Antommarchi; ses assertions sont d'ailleurs corroborées à la fois par les documents écrits et par le témoignage de Lowe. Non, nous devons prendre le récit d'Antommarchi pour ce qu'il vaut, c'est-à-dire pour très peu de chose. Quant à nous, nous n'acceptons qu'avec la plus grande réserve celles de ses affirmations qui ne sont pas confirmées par d'autres témoignages. Par exemple, comment pourrions-nous croire que, pendant cette période de méfiance et d'aversion, Napoléon lui ait tenu le discours que voici: «Quand je serai mort, chacun de vous aura la douce consolation de retourner en Europe. Vous reverrez, les uns vos parents, les autres vos amis, et moi, je retrouverai mes braves aux Champs-Élysées. Oui, continua-t-il, en haussant la voix, Kléber, Desaix, Bessières, Duroc, Ney, Murat, Masséna, Berthier, tous viendront à ma rencontre: ils me parleront de ce que nous avons fait ensemble. Je leur conterai les derniers événements de ma vie. En me voyant, ils redeviendront tous fous d'enthousiasme et de gloire. Nous causerons de nos guerres avec les Scipions, les Annibal, les César, les Frédéric, etc.» Ces hâbleries, dont le délire seul aurait pu rendre Napoléon capable, sont censées avoir été débitées devant deux auditeurs, Antommarchi et Montholon: Antommarchi, qui était alors en disgrâce, Montholon, qui recueillait alors les moindres mots de son maître, et qui ne dit rien de ces paroles extraordinaires. Nous pouvons affirmer, sans crainte de nous tromper: voilà ce que Napoléon n'a jamais dit et voilà ce qu'Antommarchi jugeait que Napoléon aurait dû dire!