Napoléon: La dernière phase. Archibald Philip Primrose Earl of Rosebery

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Название Napoléon: La dernière phase
Автор произведения Archibald Philip Primrose Earl of Rosebery
Жанр Языкознание
Серия
Издательство Языкознание
Год выпуска 0
isbn 4064066081720



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qui ne tend à rien moins qu'à créer un droit contre le droit? Lord Rosebery, inspiré par la pensée, très louable, de soulager la conscience de ses compatriotes du meurtre de Napoléon, triomphe, il me semble, un peu vite des résultats de l'autopsie. L'Empereur n'est pas mort de la maladie de foie particulière à Sainte-Hélène, dont il se prétendait atteint et qui peut n'avoir été qu'une fable. S'ensuit-il que le climat de Sainte-Hélène n'ait pas hâté l'apparition du cancer héréditaire et avancé sa fin de dix ou vingt années? C'est à la science de répondre. Je ne dirai rien du dernier chapitre. Il soulève un problème à chaque ligne. L'auteur le sait si bien qu'il n'a pas d'autre but en l'écrivant et il faut le remercier des questions qu'il pose autant et plus peut-être que des questions qu'il a résolues.

      Lord Rosebery appartient à la famille des écrivains-nés, qui ne sont pas des hommes de lettres, à cette famille dont les aînés s'appellent La Rochefoucauld, Hamilton, Saint-Simon. Quelquefois, dans son désir d'être vrai et dans sa hâte d'être juste, il jette tant de choses dans une seule phrase qu'elle semble près d'en perdre l'équilibre. Parfois aussi, il a des négligences, des familiarités, des brusqueries qui sont de la langue parlée et qui doivent déconcerter les professeurs. Mais, quand l'émotion s'empare de lui ou quand sa pensée prend l'essor, l'expression monte avec elle, s'élargit, s'échauffe, s'illumine et laisse bien loin les virtuoses du style académique. Si rien de ces dons n'apparaît dans les pages qu'on va lire, soyez convaincus que c'est la faute du traducteur.

      Les Anglais ont fait une réception enthousiaste à cet ouvrage qui leur faisait entendre, pourtant, dans le langage le plus net, de dures vérités. Il devrait recevoir des Français un accueil encore plus favorable, car il interprète leurs sentiments les plus chers avec un accent de sympathie qui semble absolument sincère. Ils ne liront pas sans émotion une phrase comme celle-ci: «Napoléon avait derrière lui la France, capable d'efforts héroïques et d'héroïque endurance, en un mot capable de tout, sauf de l'impossible.» Lequel d'entre nous aurait pu dire plus et dire mieux?

      Nous ne connaissons point, en France, ces belles cérémonies où l'on voit, chez nos voisins, les grandes villes offrir le droit de cité à l'homme qu'elles veulent honorer. Mais ce livre vaut les parchemins qu'on enferme dans une boîte d'or. Après cet hommage splendide au grand nom qui nous a tant divisés et qui nous rapproche tous aujourd'hui, lord Rosebery a cessé d'être un étranger parmi nous. Nous nous souviendrons toujours qu'il nous a donné ce livre: puisse-t-il ne jamais oublier qu'il l'a écrit!

      Augustin Filon.

       Table des matières

      LA DERNIÈRE PHASE.

       Table des matières

      LES SOURCES.

      Qui nous écrira la vie de Napoléon comme elle doit être écrite? Jusqu'ici, poser la question eût été peine perdue. Les préjugés et les passions du temps étaient encore trop près de nous pour qu'on pût songer à écrire un tel livre. Et aujourd'hui même nous n'en sommes pas bien éloignés, car la reine Victoria avait déjà deux ans à l'époque de la mort de Napoléon et il existe probablement encore des personnes qui l'ont vu. Puis le second Empire a ranimé, multiplié ces sentiments presque dans leur intensité première et la réaction qui a suivi le second Empire en a prolongé encore l'existence. Peut-être ne sommes-nous pas assez complètement sortis de la sphère d'influence historique de Napoléon pour qu'il soit possible d'écrire sa vie.

      D'ailleurs, jusqu'à ces derniers temps, nous ne possédions pas les éléments nécessaires à un tel travail. Les volumes innombrables dont les titres se rangent dans les catalogues à la suite du nom de Napoléon sont pour la plupart des compilations, ou des pamphlets, ou des biographies laborieusement édifiées avec des matériaux douteux et insuffisants, sans solidité comme sans durée. Mais aujourd'hui que la France possède un gouvernement dont les archives sont ouvertes à tous, et grâce à l'apparition successive d'une foule de mémoires plus ou moins authentiques, nous pouvons prévoir le moment où nous n'aurons plus de révélations nouvelles à attendre. La publication des lettres supprimées dans la Correspondance impériale fait disparaître une des critiques qu'on adressait aux éditeurs officiels de cette correspondance et en comble les lacunes. La curiosité passionnée qui entraîne le public depuis quelques années vers tout ce qui tient à Napoléon et qui, chose remarquable, n'est accompagnée d'aucun signe de résurrection du bonapartisme comme facteur politique, a eu pour effet de créer toute une littérature, afin de mettre l'offre en rapport avec la demande, et cette littérature, toute mélangée qu'elle soit d'éléments malsains ou équivoques, nous a, du moins, parmi son exubérance parasite, apporté sa moisson d'utiles renseignements.

      Ainsi, l'énorme masse de matériaux de toute sorte est prête pour l'ouvrier de cette grande œuvre, le jour où il paraîtra. Peut-être n'est-il pas loin de paraître. Nous aimons à nous persuader que c'est son ombre qui se projette dans le beau récit des relations de Napoléon et d'Alexandre. Est-ce trop se flatter que d'espérer que M. Vandal couronnera les services qu'il a rendus à la science historique dans cet ouvrage inappréciable en nous donnant, tout au moins, une «Histoire civile de Napoléon»? Ne pourrait-il, en s'associant avec M. Henry Houssaye, qui a, lui aussi, tant et si bien fait dans cet ordre d'idées, mener à fin cette grande tâche? Nous parlons d'une collaboration parce qu'il ne nous semble pas possible qu'un homme, réduit à ses seules forces, entreprenne pareille besogne. Rien que le dépouillement et la critique des documents seraient déjà œuvre de géant avant qu'une seule ligne du livre pût être écrite. Et en vérité nul homme ne serait en mesure, à lui seul, d'aborder, à la fois Napoléon chef d'État et Napoléon chef d'armée. «Napoléon, dit Metternich, juge hostile s'il en fut, était un administrateur, un législateur et un conquérant.» Il aurait pu ajouter que Napoléon était, de plus, un homme d'État né. Pour analyser et célébrer les qualités du conquérant de 1796 à 1812, celles du défenseur de la France en 1813 et 1814, il faudrait un maître consommé dans l'art de la guerre. Pour rendre justice à Napoléon homme d'État, administrateur et législateur, peut-être faudrait-il aussi des historiens distincts, pourvus de facultés différentes. Il y aurait à faire, enfin, l'étude générale de l'homme et de son caractère. Caractère des plus simples pour un admirateur fanatique comme pour un ennemi juré, infiniment compliqué, au contraire, pour qui n'est ni l'un ni l'autre. Pour cette dernière étude, la psychologie de Napoléon, les éléments les plus féconds sont fournis par ces six années suprêmes de Sainte-Hélène, où il a non seulement raconté et commenté sa vie, mais où il a présenté une image précise et parfaitement cohérente de lui-même. «Aujourd'hui, comme il l'a dit lui-même à Sainte-Hélène, grâce à mon malheur, on pourra me juger à nu.» On n'a peut-être pas encore donné toute l'attention qu'il fallait aux pages qu'il dictait alors sous forme d'autobiographie ou de commentaires. Quelqu'un a dit quelque part que les mémoires dont il est l'auteur semblent avoir été négligés précisément parce que ce sont les documents primordiaux, authentiques, ceux qui font vraiment autorité en ce qui touche la vie de l'Empereur. Les gens aiment mieux boire à n'importe quelle source qu'à la source véritable. Qu'une personne étrangère ait été en contact avec lui, ne fût-ce qu'un moment, c'est cette impression d'un passant qu'ils voudront recueillir de préférence. Mais ce que Napoléon a dit de lui-même, ce qu'il a pensé de lui-même, cela semble aux étudiants de Napoléon chose de peu de prix. Ce qu'il leur faut, c'est Bourrienne, Rémusat, Constant et le reste. Évidemment, ils ont le droit de prétendre que les mémoires de Napoléon sont moins savoureux que ceux de quelques-uns de ses serviteurs, et qu'on ne peut pas invariablement s'y fier comme à une impartiale relation des événements. Ces mémoires restent pourtant comme l'expression directe et réfléchie de ce prodigieux génie parlant de ce qu'il avait fait; et, de plus, ils contiennent des jugements sur les grands capitaines d'autrefois, sur César, Frédéric,