Название | Contes Français |
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Автор произведения | Divers Auteurs |
Жанр | Языкознание |
Серия | |
Издательство | Языкознание |
Год выпуска | 0 |
isbn | 4064066089320 |
Devant la porte de la maison forestière, une jeune
femme, les bras nus, cassait du bois à coups de hache sur
[10] une pierre. Elle était grande, mince et forte, une fille des
forêts, fille et femme de forestiers.
Une voix cria de l'intérieur de la maison:
--Nous sommes seules, ce soir, Berthine, faut rentrer,
v'là la nuit, y a p't-être bien des Prussiens et des loups qui
[15] rôdent.
La bûcheronne répondit en fendant une souche à grands
coups qui redressaient sa poitrine à chaque mouvement
pour lever les bras.
--J'ai fini, m'man. Me v'là, me v'là, y a pas de crainte;
[20] il fait encore jour.
Puis elle rapporta ses fagots et ses bûches et les entassa
le long de la cheminée, ressortit pour fermer les auvents,
d'énormes auvents en coeur de chêne, et rentrée enfin, elle
poussa les lourds verrous de la porte.
[25] Sa mère filait auprès du feu, une vieille ridée que l'âge
avait rendue craintive:
--J'aime pas, dit-elle, quand le père est dehors. Deux
femmes ça n'est pas fort.
La jeune répondit:
--Oh! je tuerais ben un loup ou un Prussien tout de
même.
Et elle montrait de l'oeil un gros revolver suspendu
[5] au-dessus de l'âtre.
Son homme avait été incorporé dans l'armée au commencement
de l'invasion prussienne; et les deux femmes
étaient demeurées seules avec le père, le vieux garde
Nicolas Pichon, dit l'Échasse, qui avait refusé obstinément
[10] de quitter sa demeure pour rentrer à la ville.
La ville prochaine, c'était Rethel, ancienne place forte
perchée sur un rocher. On y était patriote, et les bourgeois
avaient décidé de résister aux envahisseurs, de s'enfermer
chez eux et de soutenir un siège selon la tradition de la
[15] cité. Deux fois déjà, sous Henri IV et Louis XIV, les
habitants de Rethel s'étaient illustrés par des défenses
héroïques. Ils en feraient autant cette fois, ventrebleu!
ou bien on les brûlerait dans leurs murs.
Donc, ils avaient acheté des canons et des fusils, équipé
[20] une milice, formé des bataillons et des compagnies, et ils
s'exerçaient tout le jour sur la place d'Armes. Tous,
boulangers, épiciers, bouchers, notaires, avoués, menuisiers,
libraires, pharmaciens eux-mêmes manoeuvraient à
tour de rôle, à des heures régulières, sous les ordres de M.
[25] Lavigne, ancien sous-officier de dragons, aujourd'hui
mercier, ayant épousé la fille et hérité de la boutique de M.
Ravaudan, l'aîné.
Il avait pris le grade de commandant-major de la place,
et tous les jeunes hommes étant partis à l'armée, il avait
[30] enrégimenté tous les autres qui s'entraînaient pour la
résistance. Les gros n'allaient plus par les rues qu'au pas
gymnastique pour fondre leur graisse et prolonger leur
haleine, les faibles portaient des fardeaux pour fortifier
leurs muscles.
Et on attendait les Prussiens. Mais les Prussiens ne
paraissaient pas. Ils n'étaient pas loin, cependant; car
[5] deux fois déjà leurs éclaireurs avaient poussé à travers
bois jusqu'à la maison forestière de Nicolas Pichon,
dit l'Échasse.
Le vieux garde, qui courait comme un renard, était venu
prévenir la ville. On avait pointé les canons, mais
[10] l'ennemi ne s'était point montré.
Le logis de l'Échasse servait de poste avancé dans la
forêt d'Aveline. L'homme, deux fois par semaine, allait
aux provisions et apportait aux bourgeois citadins des
nouvelles de la campagne.
[15] Il était parti ce jour-là pour annoncer qu'un petit
détachement d'infanterie allemande s'était arrêté chez lui
l'avant-veille, vers deux heures de l'après-midi, puis était
reparti presque aussitôt. Le sous-officier qui commandait
parlait français.
[20] Quand il s'en allait ainsi, le vieux, il emmenait ses deux
chiens, deux molosses à gueule de lion, par crainte des
loups qui commençaient à devenir féroces, et il laissait
ses deux femmes en leur recommandant de se barricader
dans la maison dès que la nuit approcherait.
[25] La jeune n'avait peur de rien, mais la vieille tremblait
toujours et répétait:
--Ça finira mal, tout ça, vous verrez que ça finira mal.
Ce soir-là, elle était encore plus inquiète que de coutume:
--Sais-tu à quelle heure rentrera le père? dit-elle.
[30]--Oh! pas avant onze heures, pour sûr. Quand il dîne
chez le commandant, il rentre toujours tard.
Et elle accrochait sa marmite sur le feu pour faire la
soupe, quand elle cessa de remuer, écoutant un bruit vague
qui lui était venu par le tuyau de la cheminée.
Elle murmura:
[5]--V'là qu'on marche dans le bois, il y a ben sept-huit
hommes, au moins.
La mère, effarée, arrêta son rouet en balbutiant:
--Oh! mon Dieu! et le père qu'est pas là!
Elle n'avait point fini de parler que des coups violents
[10] firent trembler la porte.
Comme les femmes ne répondaient point, une voix forte
et gutturale cria:
--Oufrez!
Puis, après un silence, la même voix reprit:
[15]--Oufrez ou che gasse la borte!
Alors Berthine