" A qui lira ": Littérature, livre et librairie en France au XVIIe siècle. Группа авторов

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Название " A qui lira ": Littérature, livre et librairie en France au XVIIe siècle
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Жанр Документальная литература
Серия Biblio 17
Издательство Документальная литература
Год выпуска 0
isbn 9783823302285



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mais c’est aussi rappeler que le livre illustré continue de soulever des questions qui intéressent les conditions de la fabrique de l’image. En effet, si les liens entre les textes et les estampes sont pour une part physiques ils sont surtout intellectuels puisqu’ils relèvent du sens, de la perception des mots et d’une volonté de les transposer dans un autre art. Cependant le manque de documents d’archives rend encore aujourd’hui bien opaques les liens entre le dessinateur, le graveur, l’imprimeur voire aussi l’auteur. Le dessinateur prolixe que fut Chauveau lisait-il les œuvres qu’il illustrait ? Rien ne l’atteste et la légende entourant l’artiste pourrait renforcer l’idée d’un travail rapidement croqué au coin du feu et lié à une connaissance rapide des textes. Heureusement le très récent article de Véronique Meyer, entièrement consacré à l’édition des Métamorphoses en rondeaux de 16762, apporte de nombreux éclairages liés à la carrière de Chauveau et aux enjeux stylistiques de l’édition de Benserade. En outre, la renommée du personnage, les commandes reçues pour des éditions remarquables du XVIIe siècle semblent aussi nuancer cette légende. Comment en effet être capable de saisir les enjeux de l’écrit si la lecture est rapide ? Comment savoir proposer la nécessaire et séduisante variété en se tenant éloigné de sa table de travail ? Les dessins conservés sont le plus souvent exécutés à la plume avec un lavis d’encre, ils sont soignés et lorsqu’ils ne traduisent pas toujours la pensée définitive de l’artiste qui se lit dans l’estampe, ils mettent en évidence les modifications que Chauveau effectuait habilement en gravant le cuivre.

      Avant de s’intéresser à l’œuvre de cet artiste, il nous paraît opportun de nous attarder sur les mots que lui consacrent ses contemporains qui les premiers ont dessiné les contours d’un portrait. C’est tout d’abord André Félibien qui présente Chauveau, mentionnant son travail auprès du peintre Laurent de La Hyre puis son passage à l’art de la gravure :

      Il s’appliqua ensuite à graver à l’eau-forte, trouvant dans cette sorte de travail un moyen aisé pour se contenter lui-même, et mettre au jour en peu de temps une grande quantité d’ouvrages. […] Il aimait beaucoup la lecture, principalement celle des poètes, et même faisait des vers assez facilement. Il avait l’imagination vive, et une mémoire merveilleuse, qualités qui lui donnaient beaucoup d’ouverture d’esprit, et une si grande abondance de pensées que les sujets ne lui coûtaient rien à inventer, et à disposer en autant de manières qu’on pouvait désirer.3

      Les adjectifs mélioratifs associés au superlatif contribuent d’emblée à un éloge qui très vite participe au déploiement d’une légende mettant en valeur la capacité d’inventio de Chauveau et signant une reconnaissance précoce. Elle se trouve rapidement confortée par Charles Perrault qui, dans ses Hommes illustres, inscrit le portrait de l’artiste dans les pas de Félibien :

      Personne n’a peut-être jamais eu une imagination plus féconde pour trouver et disposer des sujets de tableaux ; tout y était heureux pour la beauté du Spectacle, tout y était ingénieux pour la satisfaction de l’esprit, et il entrait dans ses dessins, encore plus de Poésie que de Peinture. Cela se peut vérifier dans le nombre presque infini d’ouvrages qu’il nous a laissé et particulièrement dans les estampes qui représentent ce qui est contenu dans les livres où elles sont. Il n’y en a point qui n’explique admirablement la pensée de l’Auteur, et qui ne l’enrichisse agréablement et judicieusement par de certaines circonstances poétiques qu’il y ajoute […] il était l’Inventeur de la plupart des choses qu’il gravait […] Il est vrai que sa gravure n’a pas la douceur ni l’agrément de plusieurs autres Graveurs, qui ont porté cette délicatesse jusqu’au dernier point de perfection. Mais pour le feu, la force des expressions, la variété, et pour l’esprit qui s’y rencontre, je ne sais s’il y a eu quelqu’un qui l’ait surpassé dans cette partie.4

      Ce commentaire est un panégyrique qui, s’il obéit à l’intention de l’ouvrage, prend toute sa valeur dans la mesure où seuls quatre graveurs sont l’objet d’un éloge de Perrault ; Chauveau est ainsi célébré aux côtés de Jacques Callot, Robert Nanteuil et Claude Mellan. En outre, en établissant un lien avec la peinture, en célébrant le dialogue des arts, Perrault rappelle combien l’Ut Pictura Poesis d’Horace fait partie des débats théoriques du XVIIe siècle, notamment au sein de l’Académie royale de Peinture et de Sculpture.

      Ces portraits littéraires doivent être complétés par les portraits gravés qui donnent à voir la physionomie de Chauveau, peinte par le portraitiste Claude Lefebvre en 1664. Le souvenir du tableau disparu se trouve conservé dans sa traduction en gravure par Louis Cossin en 1668, comme l’indique la lettre.

      Louis Cossin d’après Claude Lefebvre, Portrait de Chauveau, 1668, estampe, 249x 206 mm. [© Nancy, Musée des beaux-arts, Lorraine, France. Ville de Nancy, P. Buren]

      Le dessinateur et graveur est figuré assis, de trois-quarts, devant une table sur laquelle les outils du graveur sont disposés tandis qu’il tient redressée une plaque de cuivre figurant une Minerve en pied. La posture du personnage, le soin du costume, l’élégance des plis fins de la chemise signent une forme d’aisance, celle d’un homme qui a acquis une certaine réputation que rappelle la lettre gravée. L’index discrètement tendu invite à contempler l’œuvre, comme si le modèle qui ne regarde pas le spectateur était en conversation avec un interlocuteur non visible. Cette effigie a été reprise et gravée en sens inverse par Edelinck pour le volume de Perrault qui associe à chaque éloge un portrait en médaillon pleine page.

      Gérard Edelinck d’après Claude Lefebvre, Portrait de Chauveau, estampe pour Charles Perrault, Les hommes illustres, 1699-1700, in-4, p. 98. [© MC Planche, Lyon, BmL 30798]

      Afin de répondre aux exigences du format le portrait a perdu en ampleur : l’homme drapé dans son manteau apparaît dans une posture plus académique qui s’affranchit de la plaque de cuivre et des outils du graveur.

      Nous souhaiterions envisager le travail de Chauveau en commençant par l’étude de deux dessins exécutés pour l’édition collective du théâtre de Racine en 1675-76 parue chez Claude Barbin5. Raymond Picard6, dans un article fameux régulièrement cité, avait en son temps fermement critiqué la capacité de Chauveau à transposer les pièces de théâtre de Racine. Le travail que nous avons effectué sur l’illustration des tragédies raciniennes, nous invite à nuancer largement son propos pour plusieurs raisons7. Il convient tout d’abord de faire remarquer la nouveauté du travail du dessinateur qui dessina les premières vignettes raciniennes. En cherchant à figurer les instants les plus tragiques, souvent absents de la scène théâtrale, Chauveau s’est inscrit dans la continuité des éditions illustrées du théâtre de Pierre Corneille, tout en affirmant un principe iconographique dont ses suiveurs se sont largement inspirés. Illustrer les tragédies de Racine, c’est mettre en tension le texte et l’estampe, et ce notamment en raison de la place de la vignette dans l’édition, puisqu’elle précède les mots. Dans ces conditions, que doit-elle figurer ? Un épisode éminemment tragique, un condensé de l’action qui permette de saisir les enjeux et la psychologie des personnages ? Sans doute qu’une composition parvenant à concilier ces différents éléments serait la mieux venue. Il apparaît ainsi que si les frontispices des tragédies ne peuvent illustrer avec la même verve la force tragique du vers racinien, ils s’efforcent d’en saisir les tensions de l’action. Les dessins exécutés pour Andromaque sont à cet égard éclairants : deux compositions à la plume et lavis sont conservées. L’une d’elles servit à la gravure, tandis que l’autre fut abandonnée. Le dessin délaissé représente la captive de Pyrrhus accompagnée du jeune Astyanax à proximité du tombeau d’Hector.

      François Chauveau, Andromaque, plume et encre brun-rouge, lavis, 131x78 mm. [©