Название | " A qui lira ": Littérature, livre et librairie en France au XVIIe siècle |
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Автор произведения | Группа авторов |
Жанр | Документальная литература |
Серия | Biblio 17 |
Издательство | Документальная литература |
Год выпуска | 0 |
isbn | 9783823302285 |
Naguère, dit sa sœur, j’ai vu ce prince illustre :
Au moins un qui n’atteint que son cinquième lustre,
D’un port superbe et doux, d’un auguste regard,
Et qui presse un coursier à poil de léopard.
Il court, et des brigands il a perdu la piste.4
Plus explicitement encore :
Est-ce là ce grand roi dont partout le bruit vole ?
Je brûle du désir d’apprendre ses exploits,
Et quels peuples sa force a rangés sous ses lois,
Et de savoir encore le sort de ses ancêtres […].5
Le livre II est important car il permet notamment de décrire l’amour naissant de Yoland et d’Albione pour Clovis, amour qui entraînera de nombreuses péripéties dans la chaîne épique. Chauveau se trouvait face à un problème de rendu narratif : fallait-il condenser rétrospectivement la scène – solution qu’il retient – en important de la suite du texte des sentiments qu’on peut lire ici « en avant-première » – ce qui rend bien compte de la fonction de résumé synecdochique de l’image –, ou se contenter de reproduire le comportement hautain de Yoland, qui est calculé et indexé sur son orgueil naturel, caractéristique constante du personnage tout au long de l’œuvre ? Le texte introduit en fait subtilement une alternative à cette explication : au vers 872, Yoland « se tient muette d’orgueil ou de pudeur ». Un choix est donc laissé à l’illustrateur. Chauveau s’engouffre dans la brèche pour dévoiler une interprétation de la scène : pour lui, si Yoland se montre aussi froide, c’est possiblement par « pudeur », ce qui en soi ne semble pas contredire l’orgueil (la hauteur de son rang et les règles qui en découlent exige qu’elle ne réponde pas à un inconnu avec familiarité), mais ce qui peut s’entendre de manière polysémique, comme l’illustration en témoigne. On voit en un instant, condensé, que Yoland est impressionnée par Clovis, ce que nous n’apprenons que plus tard dans le récit épique. L’illustration revêt ici une fonction proleptique.
Asyndète et illustration : Gondebaut et les spectres
Dans Clovis, Desmarets emploie souvent l’asyndète pour exacerber la vivacité du récit puisque, comme le rappelle Francine Wild, « une épopée, c’est d’abord un récit, et un récit haletant. Le temps du récit épique est le présent, et le récit bondit d’un épisode à l’autre1 ». L’absence de transition (le marqueur « déjà » suffit) situe le texte dans une sorte de système cinématographique par séquence2. Mais Desmarets se sert également de cette figure pour rendre compte des sensations et sentiments des personnages, qui sont souvent mêlés, voire brouillés : l’asyndète est un moyen expressif qui vise simultanément à illustrer le récit, à le placer sous les yeux du lecteur, car l’asyndète participe évidemment de l’hypotypose, et à en augmenter l’expressivité.
L’exemple du songe de Gondebaut au livre sixième est particulièrement éclairant. Voici le passage textuel que Chauveau choisit d’illustrer (Fig. 2) :
Sa bouche alors lança deux infâmes serpents,
Qui déjà sur son lit et par son sein rampant
Le mordent, et déjà le percent jusqu’à l’âme.
Il se trouble, il s’effraie, il frémit, il se pâme.
Mais l’effroi le réveille. En vain il veut crier.
Son impuissante voix s’attache à son gosier.
Au défaut du parler, il se débat, il tremble.
Il pousse des sanglots et gémit tout ensemble.3
Conformément au texte, le graveur représente le roi dans son lit, épouvanté par l’apparition des fantômes de son frère et de sa belle-sœur qu’il fit assassiner pour prendre le pouvoir. Le premier, qui se trouve devant lui, le second étant positionné en retrait mais dans le même angle de perspective, lui lance par la bouche « deux infâmes serpents ». Dans le texte, la strate temporelle suivante narre l’apparition des serviteurs, alertés par les gémissements confus de leur maître, incapable de crier : « Tous les siens à son aide accourent à ce bruit4. » La gravure anticipe ce vers et condense la scène en les faisant apparaître à l’arrière-plan, à gauche, introduisant un clair-obscur par le rai de lumière que produisent leurs torches. Cette anticipation se justifie par la posture de Gondebaut, condensant elle aussi le cri, le gémissement, l’effroi, en un mot ses diverses gesticulations successives qui finissent par alerter les domestiques. L’asyndète du vers 2370 (« Il se trouble, il s’effraie, il frémit, il se pâme »), signalant cet enchaînement de sensations brouillées, est ainsi rendue par l’estampe, et insère un autre rapport au temps et à la continuité narrative : l’acmé de la scène, son point culminant en termes d’expressivité de l’image, est représentée, Chauveau condensant le temps pour en maximiser l’efficacité. La scène fait tableau et suscite l’effroi du lecteur, dont le regard converge sur Gondebaut. Là où Desmarets narre en continu, Chauveau condense, ramasse, résume et produit une scène de la scène, soit une véritable ekphrasis de l’hypotypose. Comme le suggère Olivier Leplatre, il s’agit par-là de « faire de l’ekphrasis plus qu’une forme : un mouvement. Par quoi elle se comporterait comme un lieu sans lieu assigné, une figure atopique refusant les codes fixes, les cloisonnements génériques et les cadres formels5. » L’ekphrasis ne se réduit pas à la stase, à l’image fixe : elle fait signe vers le texte via un mouvement insufflé par l’illustrateur.
Enjambement de l’image
La lutte d’Yoland et Clovis qui oriente la lecture du livre VIII commence en fait à la toute fin du livre VII, aux vers 3084-3090, et l’on retrouve cette continuité dans l’illustration (Fig. 3), Chauveau ayant choisi le moment où Clovis a arraché Yoland de son cheval :
Le barbe impétueux, allégé de sa chargé,
Fournit sa course entière, et dans l’espace large,
D’un pied libre et léger, fait cent sauts et cent bonds.
Le peuple épars le fuit, et se presse en arrière,
Et d’une place vaste élargit la carrière.1
Le Livre VIII débute quant à lui par ces vers :
Dans les bras de Clovis Yoland se débat,
Fait mille vains efforts, de ses poings le combat,
Enfin du fort coursier prend la bride et la serre.
Il se cabre […].2
L’illustration porte la marque du livre précédent (le cheval sans cavalier qui sème la panique à l’arrière-plan), tout en signalant le changement de livre en focalisant le regard sur le combat au premier plan3. L’enjambement produit par l’image fonctionne comme une condensation mémorielle : l’illustrateur agglutine les deux épisodes pour n’en former qu’un seul, tout en donnant à voir le changement de temporalité. Le jeu de l’espace (arrière-plan/premier plan) crée cette temporalisation4 : on passe clairement d’un instant à un autre. Là encore, le moment de la scène est en fait un composé de plusieurs instants, tout comme l’instant du combat est lui-même le produit de micro-instants : la narrativité est rendue par Chauveau en ce qu’il condense en une seule unité temporelle deux micros strates ; celle où Yoland donne des coups de poing à Clovis et celle où elle agrippe la bride du cheval.
De plus, Chauveau choisit de s’arrêter