" A qui lira ": Littérature, livre et librairie en France au XVIIe siècle. Группа авторов

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Название " A qui lira ": Littérature, livre et librairie en France au XVIIe siècle
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Жанр Документальная литература
Серия Biblio 17
Издательство Документальная литература
Год выпуска 0
isbn 9783823302285



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danger. Tout concourt de la sorte à mettre en valeur le duel opposant l’homme et la « Bête », rendant encore plus vaillante l’action d’Alaric. Chauveau a proposé un ensemble dans lequel l’intention narrative est sensible. Une temporalité se met en place, exposant au premier plan l’action la plus récente, celle qui doit être mise en valeur tant elle relève de la bravoure. Le passé, quant à lui, est figuré par l’homme à terre et la frayeur des personnages secondaires ; ils rappellent que l’ours a récemment agi. Deux personnages sont en grande partie dissimulés. Le corps de celui qui gît à terre est en effet masqué par l’ours, laissant au spectateur la possibilité d’imaginer son état physique : est-il mort, défiguré, en partie déchiqueté par les griffes ? Le refus d’exposer les blessures intensifie ainsi le tragique. De la même manière derrière l’homme de gauche, un autre représenté de dos est en train de fuir ; sa jambe et son pied traduisent un mouvement très vif. Enfin, la hache sur le sol à droite est un indice de l’activité d’Alaric et de ses compagnons, occupés à abattre des arbres avant que ne surgisse l’animal. Cette activité qui appartient au passé trouve son prolongement dans le groupe d’hommes, aux silhouettes seulement esquissées de l’arrière-plan. Si le passé et le présent sont bien mis en scène, qu’en est-il du futur ? Le dessinateur livre-t-il au spectateur l’issue du combat ? Il nous semble possible d’en deviner les contours : bien qu’effrayant, l’animal ne paraît pas « énorme » puisqu’il ne domine pas l’homme par sa stature. Il occupe en outre environ un tiers de la feuille, proche du bord gauche tandis que l’espace dévolu au roi donne de l’ampleur à son geste en laissant le mouvement des jambes se déployer. L’épée, enfin, est proche de frapper le « ventre, où la peau n’est pas dure ». Si la souplesse des traits du dessin est moins présente dans l’estampe gravée par Chauveau, l’illustration atteint cependant une force expressive servie par une intention narrative particulièrement adaptée au passage du poème.

      François Chauveau, Alaric combat un ours, estampe pour Georges de Scudéry, Alaric ou Rome vaincue, 1654, p. 42. [© MC Planche, BmL. Rés 23435]

      Avant d’accéder aux vignettes, la première illustration peut être contenue dans un titre-frontispice qui associe le texte et l’image dans un ensemble tout à la fois esthétique et informatif. Celui que Chauveau dessina pour L’Énéide de Virgile traduite par Michel de Marolles16 propose une composition en registres.

      François Chauveau, estampe pour Virgile, L’Éneide, 1662, in-8, frontispice tome I. [© Nancy, Musée des beaux-arts, Lorraine, France. Ville de Nancy, P. Buren]

      Le registre inférieur renseigne sur l’édition dans un cartouche polylobé qui marque d’un axe de symétrie cet espace ; la mention du dessinateur et graveur est abrégée dans les lobes et encadre la date de parution. L’artiste recourt au vocabulaire ornemental pour offrir une mise en scène riche qui expose les figures masculines et féminines des Troyens vaincus fermement maintenus dans leurs positions par de vigoureux soldats. Les têtes baissées, les mains liées des personnages à terre, le poids du corps des vainqueurs reprennent une tradition iconographique issue de l’Antiquité et rappellent dans le modelé les liens avec l’art de la sculpture. L’évocation du combat se perçoit dans les armes amassées sous le cartouche au centre de la composition. Si les végétaux confirment l’intention ornementale, les flammes s’échappant des cornes de la partie sommitale du cartouche font le lien entre les deux registres. Elles viennent en effet lécher les franges de l’étoffe en trompe-l’œil sur laquelle l’épilogue de la guerre de Troie est représenté. L’incendie de la ville et la fuite d’Énée sont figurés sur un rideau épinglé en partie supérieure, illustrant ce que Virgile a narré au livre II. Le procédé n’est pas inédit17 et l’on observe ce qu’il apporte en termes de volume et de chronologie : ces actions ainsi figurées ne peuvent qu’appartenir au passé. Un chemin sinueux mène au cœur de l’embrasement d’une ville de fantaisie dans laquelle le cheval d’Ulysse et la forme des flammes ne servent pas suffisamment le tragique malgré le départ des hommes et des femmes, la fumée et la lumière du feu qui se reflète dans l’eau de l’arrière-plan près de la flotte. La fuite d’Énée accompagné de son fils Ascagne ou Iule et portant son père Anchise sur son épaule est reliée à l’événement fondateur du texte de Virgile18. La femme qui se tient à gauche dans la maison embrasée, avec des flammes autour de sa tête apparaît comme la figuration de Créuse, l’épouse perdue pendant la fuite. Le mouvement du groupe, qui se détache nettement de la tragique scène par sa dynamique, indique au spectateur qu’il marque avec ce départ salutaire un renouvellement. Une telle représentation s’appuie là encore sur une tradition iconographique comme en attestent de nombreuses œuvres peintes, des fresques de Pompéi aux compositions des artistes de la Renaissance19. Enfin, il ne faut pas négliger la connaissance des lecteurs-spectateurs du XVIIe siècle, tout à fait familiers des épisodes de la guerre de Troie. Cette illustration établit ainsi un lien avec le texte de Virgile et les représentations que chacun a pu s’en fabriquer depuis que l’épopée a circulé. Elle est portée par la puissance du récit, qui s’affirme par ses images fortes et une expression sensible du tragique, en rappelle le pouvoir cathartique. Ce que le verbe a traduit si intensément, l’estampe peine quelque peu à le déployer. Ceci se retrouve dans la vignette qu’Abraham Bosse a gravée pour l’édition de 164820 : le spectacle l’emporte sur l’émotion tant les personnages sont petits par rapport au gigantisme des édifices.

      Abraham Bosse, vignette pour Virgile, L’Eneide, 1648, in-4, p. 76. [© MC Planche, BmL. 104089]

      Quand A. Bosse illustre cet épisode par une vignette ouvrant le livre deux, Chauveau le retient pour le titre frontispice qui constitue la seule illustration du volume. Le caractère symbolique de cette élection s’en trouve grandi puisque nous sommes physiquement sur le seuil de l’ouvrage et au tout début du nouveau destin d’Énée dont le périple fait l’objet du récit.

      S’il faut encore exposer l’inventio de Chauveau, nous le ferons à partir de ce dessin destiné à être traduit en gravure pour les Métamorphoses en rondeaux21. Vénus, le sourire aux lèvres, sur une nue accompagnée de Cupidon désigne de ses deux index la statue féminine à laquelle elle a insufflé la vie et qui semble amorcer un mouvement.

      François Chauveau, Pygmalion, plume et lavis d’encre de Chine, 154x227 mm. Paris, Ensba. Dessin pour les Métamorphoses en rondeaux de Benserade, 1676. [© Beaux-Arts de Paris, Dist. RMN-Grand Palais / image Beaux-arts de Paris]

      La ronde-bosse au modelé souple fixe Pygmalion qui, dans sa surprise affiche une posture et une gestuelle proche du Maniérisme. L’ensemble de la composition avec le travail du lavis, la figure de Vénus et le mouvement ample du sculpteur est souple et agréable dans un cadre architecturé soigné qui s’éloigne de l’atelier d’artiste. Pour l’estampe qui fait face au rondeau, Chauveau a rendu encore plus explicite la scène en modifiant les postures des personnages principaux.

      François Chauveau, estampe. Métamorphoses en rondeaux de Benserade, 1676, in-4, p. 342. [© MC Planche, BmL. Rés 106084]

      Pendant que Cupidon décoche sa flèche, Vénus s’adresse à Pygmalion et lui montre la statue qui déjà descend de son socle. Enfin le geste du sculpteur répond de manière plus conventionnelle à la figuration de la surprise. Qu’est-ce qui préside à un tel changement dans la mise en œuvre du sujet ? Seraient-ce les contraintes liées au format des vignettes, toutes de la même taille dans l’ensemble de l’édition, ou la volonté de proposer une meilleure lisibilité qui aussitôt offre au lecteur-spectateur des clés de lecture ? Quand le dessin