" A qui lira ": Littérature, livre et librairie en France au XVIIe siècle. Группа авторов

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Название " A qui lira ": Littérature, livre et librairie en France au XVIIe siècle
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Жанр Документальная литература
Серия Biblio 17
Издательство Документальная литература
Год выпуска 0
isbn 9783823302285



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sont racontés de façon à apparaître comme des scènes plus que comme des épisodes ; les ornements du récit sont surtout des comparaisons ou des métaphores, qui presque toujours font appel au registre visuel.4

      La scène, ce « cadre sémiologique fondamental de la peinture classique » selon Stéphane Lojkine5, c’est le texte lui-même, mais le texte en images, qui résume de manière synecdochique les plus beaux passages de l’épopée, ou plutôt les plus propres à représenter le style de cette dernière, fondé sur l’hypotypose, et sur une ekphrasis en mouvement, qui témoigne de la vitalité herméneutique du dialogue des arts à l’âge classique.

      ANNEXES

      Graver les spectacles de Torelli. Les enjeux politiques et éditoriaux de l’imprimé et de l’estampe (1645-1654)

      Anthony SAUDRAIS

      Université Rennes 2

      Pourquoi graver des spectacles ? Une esthétique figée du mouvement

      À la différence du spectacle, à ce tableau scénographique sujet au mouvement et à l’éphémère, aux aléas humains et matériels de la représentation, la gravure permettait de fixer, définitivement, un état idéal de ce que Ménestrier nommait des « images en actions1 ». Le mouvement, figé dans la bidimensionnalité de l’image – elle est aujourd’hui dématérialisée par internet – se trouve comme arrêté, privé de sa nature fugitive. L’arrivée à la cour de France de Giacomo Torelli (1608-1678), machiniste italien venu à la demande de Mazarin2, allait amplifier, complexifier la technicité des machines de théâtre. Mais Torelli ne fut pas le seul artiste italien appelé par Mazarin pour réformer les spectacles de cour, la nouveauté que constituait l’opéra en France demandant d’inviter des musiciens parmi lesquels Francesco Sacrati3 pour la représentation de la Finta Pazza dont la première eut lieu, le 14 décembre 1645, dans la salle du Petit-Bourbon, marquant le début d’une révolution scénographique en France, et d’abord à Paris4. En construisant des dessous et des dessus de scène, le machiniste permettait de changer les décors de théâtre par l’usage de châssis coulissants, la nouveauté technique résidant davantage encore dans l’aménagement de cintres pour l’exécution de vols jusqu’alors inédits en France. Pour les spectateurs de 1645, c’était une révolution5. Balayant la scénographie médiévale fondée sur la fixité linéaire et le compartimentage des décors, comme en témoignent les dessins de Georges Buffequin pour le Mémoire de Mahelot6, Torelli ridiculisait quatre ans plus tard l’un des rares spectacles français à être gravé : Mirame (1641)7. Vitesse, changements de décors, variété des mouvements et des machines : sur le plan technique et scénographique, la Finta Pazza rendait désuète la tragi-comédie de Desmarets de Saint-Sorlin qui ne recueillit pas auprès des spectateurs le succès espéré8. Les goûts de Mazarin, que sa formation italienne avait familiarisé avec les spectacles à machines, n’avaient plus rien à voir avec ceux du défunt Cardinal de Richelieu9. Pour démontrer les prouesses de Torelli, oublier dans le même élan Mirame, un imprimé pour la Finta Pazza reçut le rare privilège d’être illustré de gravures de Noël Cochin représentant les différents tableaux de l’opéra10. Cette entreprise anticipait la future politique éditoriale et politique de Louis XIV, en particulier celle des privilèges de librairie11.

      Graver la Finta Pazza ne relevait donc pas d’une décision hasardeuse, l’image revêtant un rôle politique de première importance : celui d’inscrire dans la mémoire le souvenir d’un spectacle conçu pour disparaître, mais conservé par l’imprimé et ses estampes. Ces images, en plus d’illustrer le spectacle, servaient à prouver, pour ses contemporains comme pour la postérité, les talents d’un ingénieur que le pouvoir venait d’engager, Mazarin concurrençant sa terre natale dans son pays d’adoption en important la scénographie du changement à vue12. Pour glorifier la monarchie renforcée par Richelieu13 et nouvellement transmise au jeune Louis XIV, la politique éditoriale menée pour illustrer les spectacles de Torelli – l’une des plus importantes dans sa production iconographique en France sous l’Ancien Régime – se donnait l’ambition de prouver, dans son pays d’origine comme à l’étranger, la suprématie d’un pouvoir dont il fallait encore prouver la légitimité, une légitimité remise en cause à cette époque par les épisodes de la Fronde14.

      Les enjeux politiques et historiographiques de l’image

      Si le lecteur a l’avantage, le temps et le confort de parcourir l’imprimé dans son fauteuil, le spectacle a l’inconvénient de son accessibilité difficile et limitée1. Ce constat était de mise en 1645 pour voir les machines de Torelli qui impliquaient de se rendre à Paris et d’être en possession de billets dont le coût était élevé, à moins d’y être invité, notamment par le pouvoir royal2. Bien qu’ayant la chance d’assister à l’une des représentations, les spectateurs ne bénéficiaient sans doute pas tous de places d’égale qualité pour profiter de l’illusion perspectiviste3. En revanche, les estampes insérées dans l’imprimé offraient une sécurité visuelle. Grâce aux images, le lecteur pouvait/croyait devenir spectateur, assuré de bénéficier d’une totale tranquillité dans l’exercice de sa lecture. Idéalisées, ces gravures ont l’avantage de représenter avec une rare précision ce que les spectateurs les mieux placés et les plus attentifs n’avaient peut-être pas vu. Par exemple, pour le décor du cinquième acte d’Andromède dans l’édition de Laurent Maurry et Charles de Sercy, chaque piédestal – ils sont au nombre de sept par côté, soit quatorze au total pour la disposition latérale des châssis – bénéficiait d’une ornementation différente, imageant les didascalies qui faisaient valoir que « l’art du sieur Torelli est ici d’autant plus merveilleux, qu’il fait paraître une grande diversité en ces deux décorations, quoiqu’elles soient presque la même chose.

      F. Chauveau, décor du cinquième acte d’Andromède (détail), Paris/Rouen, Laurent Maurry et Charles de Sercy, 1651. Paris, Bibliothèque de l’Arsenal, RESERVE 4-BL-3523. Photo A. Saudrais, 2017.

      On voit encore en celle-ci deux rangs de colonnes comme en l’autre, mais d’un ordre si différent, qu’on y remarque aucun rapport4 ». Lorsque nous tenons le livre entre nos mains, nous avons en effet le loisir d’admirer sereinement, paisiblement, avec tout le temps nécessaire, la qualité du dessin. Ce temps de lecture, étiré par fixation visuelle par rapport à la représentation, nous permet d’étudier le style du décorateur des châssis peints, notamment par le travail du dessin et de la gravure. Imager cet éphémère spectaculaire, c’était donner, dans le temps de la lecture, le détail de ce que la représentation limitait dans le temps comme dans les possibilités d’analyse. Les détails les plus finement représentés ont donc l’avantage, par rapport au spectacle, de montrer à travers une vue frontale et artificielle, communément appelée « l’œil du prince5 », ce que le spectateur avait vu différemment selon sa place, sa capacité de concentration et la durée du spectacle. Dans l’Andromède illustrée, les décors nous sont donnés à voir à quelques centimètres alors que, pendant les représentations du Petit-Bourbon, la distance se comptait en mètres.

      Politiques, ces gravures flattaient simultanément l’ingénieur et le pouvoir commanditaire des spectacles de Torelli6, ces imprimés