Название | Jane Austen: Oeuvres Majeures |
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Автор произведения | Джейн ОÑтин |
Жанр | Языкознание |
Серия | |
Издательство | Языкознание |
Год выпуска | 0 |
isbn | 9788027302383 |
Avant de quitter Norland, Elinor avait peint à sa belle-sœur de charmans écrans de cheminée ; ils venaient d’être montés dans le dernier goût. Les hommes étaient rentrés au salon et entouraient le feu. John Dashwood allant toujours à son but, en prit un et le montra au colonel.
— Voyez, lui dit-il, c’est ma sœur Elinor qui a peint cela ; vous qui êtes un homme de goût, vous les admirerez. Je ne sais si vous connaissez son talent pour le dessin ; elle passe généralement pour en avoir beaucoup.
Le colonel sans être grand connaisseur en peinture les admira infiniment. La curiosité générale fut excitée, et les écrans passèrent de main en main. Lorsqu’ils furent dans celles de madame Ferrars, qui ne s’y entendait pas du tout, et qui ne pouvait se résoudre à louer Elinor, elle les fit passer à sa voisine sans dire un seul mot d’éloges. — Ils sont peints par mademoiselle Dashwood l’aînée, ma mère, dit Fanny ; ne les trouvez-vous pas très-jolis ? Elinor surprise de la courtoisie de sa belle-sœur, lui en savait gré ; mais sa reconnaissance ne fut pas de longue durée. Fanny ajouta : Regardez-les, maman, voyez si ce n’est pas à-peu-près le même genre de dessin que ceux de mademoiselle Morton ; mais celle-ci peint encore plus délicieusement. Le dernier paysage qu’elle a fait est vraiment très-remarquable. – Extrêmement beau, dit madame Ferrars ; elle excelle dans tout ce qu’elle fait, et rien ne peut lui être comparé ; mais aussi elle a une éducation si brillante, tant de talens naturels !
Maria, la sensible, la vive Maria ne put supporter ce qu’elle regarda comme un outrage à sa sœur ; elle était déjà très-irritée du ton et de la manière de madame Ferrars, mais de tels éloges donnés à une autre aux dépens d’Elinor, provoquèrent son ressentiment. Quoiqu’elle n’eût encore aucune idée des projets sur mademoiselle Morton, mais cédant comme à son ordinaire à son premier mouvement, elle dit avec vivacité : Voilà en vérité une singulière manière de voir et d’admirer les ouvrages de ma sœur ! en faire un objet de comparaison, pour les rabaisser, c’est du moins peu obligeant. Qui est cette demoiselle Morton à qui personne ne peut être comparé ? à propos de quoi est il question d’elle et de ses talens ? qui intéresse-t-elle ici ? et mon Elinor nous intéresse tous. Alors prenant les écrans de la main de sa belle-sœur et les montrant encore au colonel ; il faut, dit-elle, n’avoir pas le moindre goût, le moindre sentiment du beau pour ne pas les admirer, et pour penser à autre chose quand on les voit.
Madame Ferrars rougit de colère ; ses petits yeux s’enflammèrent ; ses sourcils s’élevèrent d’un demi pouce et se touchèrent. – Je croyais, dit-elle, que tout le monde ici savait que miss Morton est la fille de feu lord Morton ; j’oubliais que mesdemoiselles Dashwood ne sont jamais venues à Londres et ne peuvent connaître le beau monde.
Fanny avait aussi l’air très-courroucée ; et son mari était tout effrayé de l’audace de Maria. Il s’approcha d’elle, la mena dans l’embrasure de la fenêtre, et lui dit à voix basse : Est-ce qu’Elinor ne vous a pas dit qu’Edward doit épouser miss Morton ? Vous auriez mieux fait de vous taire. – Edward ! épouser miss Morton ! sécria Maria ; jamais, jamais, c’est impossible ! et poussée par son sentiment pour sa sœur chérie, ainsi méprisée et rejetée par toute une famille qui devait l’adorer, elle vint s’asseoir à côté d’elle, passant un bras autour de son cou, et posant sa joue contre la sienne, elle lui dit à l’oreille : Chère, chère Elinor, ne souffrez pas que de telles gens aient le pouvoir de vous rendre malheureuse ; ne craignez rien ; Edward ne pense pas ainsi. Je le connais, j’ose vous répondre de sa fidélité ; en dépit d’eux et de leurs projets, il n’aime, il n’épousera que vous.
Elinor touchée de l’affection de sa sœur, mais désolée des preuves qu’elle lui en donnait dans ce moment, la conjura de se calmer, de se taire, tandis qu’elle-même ne pouvait à peine retenir les larmes qui remplirent ses yeux au propos de Maria. Celle-ci les sentit sur sa joue : tu pleures, lui dit-elle. Les méchans font pleurer mon Elinor ; et alors elle fondit en larmes. L’attention de chacun fut excitée ; et tout le monde eut l’air consterné. Le colonel Brandon qui depuis le commencement de cette scène avait eu les yeux attachés sur Maria, l’admirait bien plus qu’il ne la blâmait. Ce cœur si brûlant, cette sensibilité si active pour ceux qu’elle aimait autant que pour elle même, l’attachaient toujours davantage à cette jeune personne. Lors qu’elle éclata en pleurs et en sanglots, il se leva, vint près d’elle presque involontairement, et prit sa main qu’il serra entre les siennes. Elinor soutenait sur son sein la tête de sa sœur, et ne pensait plus à Edward. Madame Jennings disait ! pauvre enfant ! pauvre petite ! la moindre chose attaque ses nerfs ! et elle lui faisait respirer son flacon de sels. Madame Ferrars levait les épaules en parlant à sa fille ; Lady Middleton regardait avec son air glacé ; M. Palmer bâillait près du feu en tenant les malheureux écrans, cause première de ce trouble ; les deux Stéeles riaient et chuchotaient dans un coin ; sir Georges était enragé contre le traître Willoughby, seul auteur, disait-il, de cette faiblesse de nerfs, et s’établissant entre les deux petites cousines Sléeles, qui étaient encore ses favorites, il leur conta toute l’affaire, qu’elles savaient aussi bien que lui, en s’emportant contre l’homme abominable qui mettait une fille charmante dans cet état.
Au bout de quelques minutes, Maria fut un peu remise. Elinor voulait la faire passer dans une autre chambre ; mais madame Dashwood dit qu’il n’y en avait point de libre, que l’attaque de nerfs une fois passée, Maria serait aussi bien au salon : elle resta donc à côté d’Elinor, et sans dire un mot de la soirée.
— Pauvre Maria ! disait son frère à voix basse au colonel Brandon ; elle n’a pas une aussi forte santé que sa sœur, elle est très-nerveuse, au lieu qu’Elinor n’est jamais malade. Je suis sûr qu’elle n’a pas coûté une guinée en médecin depuis qu’elle est au monde ; mais la pauvre Maria ! sa santé est détruite aussi bien que sa beauté, et c’est sans doute ce dernier point qui l’afflige : c’est bien naturel en vérité ; si jeune encore ! Pourriez-vous croire qu’il y a peu de mois qu’elle était belle à frapper, presque aussi belle qu’Elinor ? À présent, quelle différence ! Elinor est charmante et ne changera jamais ; c’est un genre de beauté qui sera toujours le même, je puis en répondre.
— Je l’espère, dit le colonel, et que mademoiselle Maria retrouvera bientôt ses charmes… Hélas ! elle n’en avait encore que trop pour lui, et jamais elle ne lui avait paru aussi intéressante, aussi digne de toute son adoration.
Après le thé on fit des parties de jeu. Mesdames Ferrars et Jennings s’établirent à un grave whist avec sir Georges et M. Palmer. Elinor fut surprise de cet arrangement ; le colonel Brandon, à qui son frère et sa belle-sœur avaient fait tant d’honneurs, avait dans son idée plus de droit à cette partie, et par son âge et par son habileté au whist, que M. Palmer, qui malgré son apathie ne parut pas trop content d’être le partener des deux grands-mères. Mais M. Dashwood n’avait garde de séparer sa sœur Elinor de son futur époux le colonel Brandon. Lady Middleton n’aimait que le cassino ; et le colonel ne le savait presque pas, mais n’importe ; il fallut bon gré malgré qu’il se mît à