Jane Austen: Oeuvres Majeures. Джейн Остин

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Название Jane Austen: Oeuvres Majeures
Автор произведения Джейн Остин
Жанр Языкознание
Серия
Издательство Языкознание
Год выпуска 0
isbn 9788027302383



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pour la première fois depuis leur séparation, et le voir avec Lucy ! Elle croyait à peine pouvoir le supporter.

      Ce jeudi si désiré, si redouté, qui devait mettre les deux jeunes rivales en présence de la future belle-mère arriva. Elinor avait acheté la veille une charmante toque en fleurs avec des plumes blanches dont elle voulait se parer ce jour-là. Lucy qui venait continuellement chez madame Jennings, pour y voir sa chère amie, se trouva là quand on l’apporta. Elinor l’essaya. Elle lui séyait à ravir ; et malgré toute sa raison, elle ne fut point fâchée de le trouver elle-même. Le jeudi matin Lucy arriva, plus caressante, plus tendre qu’à l’ordinaire. Elle avait honte, dit-elle, de ce qu’elle venait lui demander ; mais sa chère Elinor était si fort au-dessus de ces bagatelles ; elle avait si peu besoin de parure ; elle était si indifférente sur ce moyen de plaire en ayant tant d’autres ; et pour cette grande occasion il était si essentiel à Lucy de les tous employer. Elle devait à Edward de se faire aussi jolie qu’il lui serait possible la première fois qu’elle paraissait devant sa mère. Si Edward lui-même s’y trouvait, c’était un motif de plus qu’Elinor devait comprendre. Elle espérait donc de sa complaisance, de son amitié, qu’elle voudrait bien pour ce jour-là renoncer à la jolie toque qui la coiffait si élégamment, et la lui prêter. Elle avoua en rougissant qu’elle n’était pas assez en fonds dans ce moment pour s’en acheter une semblable, ce qu’elle aurait fait sûrement, eut-elle dû la prendre à crédit, si elle n’avait pas compté sur la bonté de sa chère Elinor. Mademoiselle Dashwood frémit de penser qu’elle avait failli arriver au dîner coiffée exactement comme Lucy, et se trouva heureuse en comparaison de lui céder si jolie toque, qu’elle regrettait bien un peu… mais qu’elle pria Lucy d’accepter. Celle dernière s’en empara bien vîte, également enchantée qu’elle fût sur sa tête et non sur celle d’Elinor. Bon Dieu ! ma chère, lui dit-elle, plaignez-moi, je vous en conjure ! Vous êtes la seule personne qui saura ce que je souffre. À peine puis-je marcher tant je suis émue en pensant que dans quelques heures je verrai la personne dont tout mon bonheur dépend, celle qui doit être ma mère ! Mettez-vous à ma place… mais c’est impossible ; il faut aimer Edward comme je l’aime ; pour comprendre l’état où je suis.

      Elinor aurait pu diminuer cette émotion, ou la faire changer de nature, en lui disant que vraisemblablement c’était la belle-mère de miss Morton plutôt que la sienne qu’elle allait voir. Elle ne le dit pas, mais elle lui assura avec tant de sincérité qu’elle la plaignait infiniment, que Lucy en fut presque piquée. Elle espérait être pour mademoiselle Dashwood un objet d’envie plutôt que de compassion.

      Enfin elles arrivèrent chez madame John Dashwood. Sa mère au haut bout de la chambre étalait dans un grand fauteuil sa chétive personne, et saluait à peine avec un air de protection. Elle était petite, maigre, se tenait extrêmement droite, avait de la roideur dans tous ses mouvemens ; sa physionomie était sombre ou du moins très sérieuse ; elle ne se permettait de sourire que lorsqu’elle disait un sarcasme ; son teint était brun tirant sur le jaune ; ses traits assez petits, et sans beauté. Une contraction habituelle de ses sourcils empêchait sa physionomie d’être complètement insignifiante, mais lui donnait en échange une forte expression d’orgueil et même de méchanceté. Elle ne parlait pas beaucoup, contre la règle générale ; elle proportionnait le nombre de ses paroles à celui de ses idées ; et dans le peu de syllabes honnêtes qui lui échappèrent à l’arrivée des hôtes de sa fille qui lui furent présentés, il n’y en eut pas une seule adressée aux demoiselles Dashwood, qu’elle regardait intérieurement, avec dédain et avec malveillance.

      Cette conduite ne pouvait plus influer sur le bonheur d’Elinor. Peu de mois auparavant elle en aurait été excessivement blessée et affligée ; mais il n’était plus au pouvoir de madame Ferrars de produire cet effet sur elle ; et la différence de sa manière avec les demoiselles Stéeles, dont le seul but était d’humilier encore mesdemoiselles Dashwood, l’amusa au contraire beaucoup. Elle ne pouvait s’empêcher de sourire de l’air affable et presque amical avec lequel la mère et la fille distinguèrent Lucy surtout, et des peines que celle-ci se donnait pour leur plaire, peines qui allaient jusqu’à la bassesse. Madame Ferrars avait un vieux petit bichon, seul être qu’elle pût aimer et qui ne la quittait point. Lucy le caressait exactement comme elle caressait Sélina Middleton. Elle s’extasiait sur cette charmante petite créature, allait lui ouvrir la porte s’il voulait sortir, et l’attendait pour le rapporter à sa maîtresse. Elle admirait l’éclat du beau satin cramoisi de la robe de madame Ferrars et la beauté de ses points. Elle allait chauffer le coussin qui était sous les pieds de cette dame. Quand lady Middleton s’éloignait un peu, elle déclarait que madame John Dashwood était la plus belle femme qu’elle eût vue de sa vie, et qu’elle ressemblait beaucoup à sa mère, etc. etc. Enfin à force de flatteries, elle se rendit si agréable à l’une et à l’autre, que même madame Ferrars, qui ne s’humanisait jamais avec ceux qu’elle regardait comme ses inférieurs, lui adressa quelques mots obligeans, et déclara que ces jeunes miss Stéeles avaient le ton de la meilleure éducation, et que bien des demoiselles qui se croyaient des modèles, n’en approchaient pas. Elle lança en même temps un regard sur Elinor qui riait en elle-même, en pensant à quel point la faveur et les grâces de madame Ferrars étaient mal placées, et qu’elles se changeraient bien, promptement en fureur, si elle se doutait que cette jeune audacieuse, qu’elle trouvait si charmante, parce qu’elle n’était pas Elinor, pensait à épouser son fils. Fanny faillit à lui en donner l’idée : mesdemoiselles Stéeles, dit-elle à sa mère, sont les nièces de M. Pratt chez qui Edward a étudié. — Vraiment, dit madame Ferrars en relevant le sourcil ; vous connaissez donc mon fils ? — Très-peu, madame, dit Lucy avec assurance, nous ne demeurons pas auprès de mon oncle. — Tant mieux pour vous, dit madame Ferrars avec humeur ; il n’entend rien à l’éducation. Lucy redoubla ses flatteries qui lui réussirent de nouveau. Elle était au troisième ciel, en se voyant ainsi distinguée, et ne daignait plus parler à Elinor. La grosse Anna même se rengorgeait avec fierté, en pensant qu’elle était la sœur de la future belle-fille de madame Ferrars.

      Maria était encore plus rêveuse, plus silencieuse qu’à l’ordinaire. À sa tristesse habituelle, se joignait le chagrin qu’elle supposait à Elinor de ne pas voir Edward, et celui qu’elle en ressentait elle-même. Elle l’aimait déjà comme un frère favori, et bien plus que celui qu’elle tenait de la nature. L’homme qui devait faire le bonheur de sa chère Elinor était au premier rang dans son cœur. Elle était venue presque avec plaisir à ce dîner, malgré son aversion pour la plupart des convives, dans l’unique espoir de voir Edward ; et cet espoir était trompé. Edward n’y était pas. Elle regardait sa sœur avec un étonnement douloureux, et ne pouvait comprendre qu’elle eût la force de supporter une mésaventure aussi cruelle. Le colonel Brandon placé entre les deux sœurs se serait trouvé fort heureux, si la politesse fastidieuse du maître, et même de la maîtresse de la maison, lui avait laissé le temps d’en jouir. Tous les meilleurs mets, tous les meilleurs vins lui étaient adressés. M. Dashwood lui demandait son opinion surtout, et s’y rangeait à l’instant. Dès qu’il y avait un moment de silence entre lui et ses voisines, il disait à ses sœurs : allons, mesdemoiselles, parlez à votre aimable voisin ; ne souffrez pas qu’il s’ennuie. On aurait dit que la fête était pour lui seul, et il ne pouvait comprendre le but de tant d’honnêtetés dont il était fatigué. Le dîner était magnifique, ainsi que les donnent ceux qui invitent rarement ; et ni le nombre des plats ni celui des laquais n’annonçaient cette pauvreté dont il s’était plaint à sa sœur. Elle ne se faisait sentir que dans la conversation. Mais il est vrai que de ce côté là le déficit était considérable, tant chez les maîtres du logis que chez la plupart des convives : manque de raison, manque d’esprit, soit naturel soit cultivé, manque de goût, manque de gaîté, manque enfin de tout ce qui rend un repas agréable.

      Quand les dames suivant l’usage se retirèrent après dîner pour le café, cette pauvreté fut encore plus en évidence. Les hommes mettaient au moins quelque variété dans le discours, quelques mots de politique, de chasse, d’agriculture ; mais il n’en fut plus question. On avait épuisé avant dîner l’article des meubles et des parures. À la grande satisfaction de Lucy sa toque avait