Название | La Coupe; Lupo Liverani; Le Toast; Garnier; Le Contrebandier; La Rêverie à Paris |
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Автор произведения | Жорж Санд |
Жанр | Зарубежная классика |
Серия | |
Издательство | Зарубежная классика |
Год выпуска | 0 |
isbn |
Elles lui procuraient toute sorte d'hallucinations ridicules. Tantôt il se croyait femme et rêvait qu'un Éthiopien voulait le vendre aux califes d'Orient. Alors il se cachait dans les rochers et souffrait la faim, ce qui était pour lui une grosse peine. D'autres fois Régis lui persuadait qu'elle était éprise de lui, et l'attirait à des rendez-vous où il était berné et battu par des mains invisibles. Tout cela était pour le punir de prétendre à la magie et de se livrer à de grossières et puériles incantations.
Du reste il se portait bien, il engraissait et ne vieillissait guère, car les fées sont bonnes au fond, et quand elles l'avaient fatigué ou effrayé, elles lui donnaient du sommeil ou de l'appétit en dédommagement. Hermann essayait de s'intéresser à son sort; mais lorsqu'il le voyait si égoïste et si positif, il s'éloignait de lui avec dédain. Le seul être qui lui témoignât une amitié véritable, c'était son chien, et quelquefois, quand les yeux de cet animal fidèle semblaient lui dire: «Je t'aime», Hermann, sans savoir pourquoi, pleurait.
Mais le chien était devenu si vieux qu'un jour il ne put se lever pour suivre son maître. Hermann, effrayé, courut trouver Zilla. «Mon chien va mourir, lui dit-il, il faut empêcher cela. – Je ne le puis, répondit-elle; il faut que tout meure sur la terre, excepté les fées. – Prolonge sa vie de quelques années, reprit Hermann. Tu peux faire des choses plus difficiles. Si mon chien meurt, que deviendrai-je? C'est ce que j'aime le mieux sur la terre après toi, et je ne puis me passer de son amitié.
– Tu parles comme un fou, dit la fée. Tu peux aimer ton chien, puisqu'il faut que l'homme aime toujours follement quelque chose; mais je ne veux pas que tu dises que tu m'aimes, puisque ton chien a droit à des mots que tu m'appliques. Si ton chien meurt, j'irai t'en chercher un autre, et tu l'aimeras autant. – Non, dit Hermann, je n'en veux pas d'autre après lui, et puisque je ne dois pas t'aimer, je n'aimerai plus rien que la mort.»
Le chien mourut, et l'enfant fut inconsolable. Maître Bonus ne comprit rien à sa douleur, et les fées la méprisèrent. Alors Hermann irrité sentit ce qui lui manquait dans le royaume des fées. Il y était choyé et instruit, protégé et comblé de biens; mais il n'était pas aimé, et il ne pouvait aimer personne. Zilla essaya de le distraire en le menant avec elle dans les plus beaux endroits de la montagne. Elle le fit pénétrer dans les palais merveilleux que les fées élèvent et détruisent en une heure.
Elle lui montra des pyramides plus hautes que l'Himalaya et des glaciers de diamant et d'escarboucle, des châteaux dont les murs n'étaient que fleurs entrelacées; des portiques et des colonnades de flamme, des jardins de pierreries où les oiseaux chantaient des airs à ravir l'âme et les sens; mais Hermann en savait déjà trop pour prendre ces choses au sérieux; et un jour il dit à Zilla: «Ce ne sont là que des rêves, et ce que tu me montres n'existe pas.»
Elle essaya de le charmer par un songe plus beau que tous les autres. Elle le mena dans la lune. Il s'y plut un instant et voulut aller dans le soleil. Elle redoubla ses invocations, et ils allèrent dans le soleil. Hermann ne crut pas davantage à ce qu'il y voyait; toujours il disait à la fée: «Tu me fais rêver, tu ne me fais pas vivre.» Et quand il s'éveillait, il lui disait: «Je ne me rappelle rien, c'est comme si je n'avais rien vu.»
Et l'ennui le prit. La reine vit qu'il était pâle et accablé. «Puisque tu ne peux aimer le ciel, lui dit-elle, essaie au moins d'aimer la terre.» Hermann réfléchit à cette parole. Il se rappela qu'autrefois Zilla lui avait donné du blé, une charrue, un âne et un mulet. Il laboura, sema et planta, et il prit plaisir à voir comme la terre est féconde, docile et maternelle. Maître Bonus fut charmé d'avoir à moudre du blé et à faire du pain tous les jours.
Mais Hermann ne comprenait pas le plaisir de manger seul, et après avoir vu ce que la terre peut rendre à l'homme qui lui prête, il ne lui demanda plus rien et retourna à ce qu'elle lui donnait gratuitement. La reine lui dit: «Le torrent n'est pas toujours limpide. Depuis les derniers orages, il entraîne et déchire ses rives, et là où tu te plaisais à nager, il apporte des roches et du limon. Essaie de le diriger. Tâche d'aimer l'eau, puisque tu n'aimes plus la terre.»
Hermann dirigea le torrent et lui rendit sa beauté, sa voix harmonieuse, sa course légère, ses doux repos dans la petite coupe des lacs; mais un jour il le trouva trop soumis, car il n'avait plus rien à lui commander. Il abattit les écluses qu'il avait élevées et se plut à voir l'eau reprendre sa liberté et recommencer ses ravages. «Quel est ce caprice?» lui dit Zilla. – Pourquoi, lui répondit-il, serais-je le tyran de l'eau? Ne pouvant être aimé, je n'ai pas besoin d'être haï.»
Zilla trouva son fils ingrat, et, pour la première fois depuis beaucoup de siècles, elle eut un mécontentement qui la rendit sérieuse. «Je veux l'oublier, dit-elle à la reine, car il me donne plus de souci qu'il ne mérite. Permets que je le fasse sortir d'ici et que je le rende à la société de ses pareils. Tu me l'avais bien dit que je m'en lasserais, et la vieille Trollia avait raison de blâmer ma protection et mes caresses.
– Fais ce que tu voudras, dit la reine, mais sache que cet enfant sera malheureux à présent parmi les hommes, et que tu ne l'oublieras pas aussi vite que tu l'espères. Nous ne devons rien détruire, et pourtant tu as détruit quelque chose dans son âme. – Quoi donc? dit Zilla. – L'ignorance des biens qu'il ne peut posséder. Essaie de l'exiler, et tu verras! – Que verrai-je, puisque je veux ne plus le voir? – Tu le verras dans ton esprit, car il se fera reproche, et ce fantôme criera jour et nuit après toi.»
Zilla ne comprit pas ce que lui disait la reine. N'ayant jamais fait le mal, même avant d'avoir bu la coupe, elle ne redoutait pas le remords, ne sachant ce que ce pouvait être. Libre d'agir à sa guise, elle dit à Hermann: «Tu ne te plais point ici; veux-tu retourner parmi les tiens?» Mille fois Hermann avait désiré ce qu'elle lui proposait et jamais il n'avait osé le dire, craignant de paraître ingrat et d'offenser Zilla. Surpris par son offre, il doutait qu'elle fût sérieuse.
«Ma volonté, répondit-il, sera la tienne. – Eh bien! dit-elle, va chercher maître Bonus, et je vous ferai sortir de nos domaines. Il fut impossible de décider maître Bonus à quitter le Val-des-Fées. Il alla se jeter aux pieds de la reine et lui dit: «Veux-tu que j'aille achever ma vie dans les supplices? Est-ce que je gêne quelqu'un ici? Je ne vis que de végétaux et de miel. Je respecte vos mystères et n'approche jamais de vos antres. Laissez-moi mourir où je suis bien.»
Il lui fut accordé de rester, et le jeune Hermann, qui était devenu un homme, déclarant qu'il n'avait nul besoin de son gouverneur, partit seul avec Zilla. Quand ils durent passer l'effrayante corniche de rochers où aucun homme du dehors n'eût osé se risquer, elle voulut l'aider d'un charme pour le préserver du vertige. «Non, lui dit-il, je connais ce chemin, je l'ai suivi plus d'une fois, et j'eusse pu m'échapper depuis longtemps. – Pourquoi donc restais-tu malgré toi?» dit Zilla. Hermann ne répondit pas.
Il était fâché que la fée lui fît cette question. Elle aurait dû deviner que le respect et l'affection l'avaient seuls retenu. Zilla comprit son fier silence et commença à devenir triste du sacrifice qu'elle s'imposait; mais elle l'avait résolu, et elle continua de marcher devant lui. Quand ils furent à la limite de séparation, elle lui donna l'or qu'elle avait autrefois dérobé au héraut du duc son père et qu'elle avait offert à l'enfant comme un jouet. Il l'avait dédaigné alors, et, cette fois encore, il sourit et le prit sans plaisir.
«Tu ne saurais te passer de ce gage, lui dit-elle. Ici tu n'auras le droit de rien prendre sur la terre. Il te faudra observer les conditions de l'échange.» Hermann ne comprit pas. Elle avait dédaigné de l'instruire des lois et des usages de la société humaine. Il était bien tard pour l'avertir de tout ce qui allait le menacer dans ce monde nouveau.