Название | La Coupe; Lupo Liverani; Le Toast; Garnier; Le Contrebandier; La Rêverie à Paris |
---|---|
Автор произведения | Жорж Санд |
Жанр | Зарубежная классика |
Серия | |
Издательство | Зарубежная классика |
Год выпуска | 0 |
isbn |
Il paraissait mort, car un vautour venait de s'abattre sur lui et commençait à vouloir goûter à ses mains; mais en se sentant mordu, le moribond fit un cri, saisit l'oiseau, et, l'étouffant, il le mordit au cou et se mit à sucer le sang avec une rage horrible et grotesque. C'était la première fois que la fée voyait pareille chose: le vautour mangé par le cadavre! Elle pensa que ce devait être un événement fatidique de sa compétence, et elle demanda au vieillard ce qui le faisait agir ainsi.
«Bonne femme, répondit-il, ne me trahissez pas. Je suis un proscrit qui se cache, et la faim m'a jeté là par terre, épuisé et mourant; mais le ciel m'a envoyé cet oiseau que je mange à demi vivant, comme vous voyez, n'ayant pas le loisir de m'en repaître d'une manière moins sauvage.» Ce malheureux croyait parler à une vieille ramasseuse de bois, car s'il n'est pas prouvé que les fées puissent prendre toutes les formes, il est du moins certain qu'elles peuvent produire toutes les hallucinations.
«Relève-toi et suis-moi, dit-elle. Je vais te conduire en un lieu où tu pourras vivre sans que les hommes t'y découvrent jamais.» Le proscrit suivit la fée jusqu'à une corniche de rochers si étroite et si effrayante que l'âne et le mulet reculèrent épouvantés; mais la fée les charma, et ils passèrent. Quant à l'homme, il avait tellement le désir d'échapper à ceux qui le poursuivaient qu'il ne fut pas nécessaire de lui fasciner la vue. Il suivit les animaux, et, dès qu'il eut mis le pied dans le Val-aux-Fées, il reconnut, dans celle qui le conduisait, une fée du premier ordre.
«Je ne suis pas un novice et un ignorant, lui dit-il, et j'ai assez étudié la magie pour voir à qui j'ai affaire. Vous me conduisez en un lieu dont je ne sortirai jamais malgré vous, je le sais bien; mais, quel que soit le sort que vous me destinez, il ne peut être pire que celui que me réservaient les hommes. Donc j'obéis sans murmure, sachant bien aussi que toute résistance serait inutile. Peut-être aurez-vous quelque pitié d'un vieillard, et quelque curiosité de le voir mourir de sa belle mort, qui ne saurait tarder.
– Tu te vantes d'être savant, et tu es inepte, répondit Zilla. Si tu connaissais les fées, tu saurais qu'elles ne peuvent commettre aucun mal. Le grand Esprit du monde ne leur a permis de conquérir l'immortalité qu'à la condition qu'elles respecteraient la vie; autrement votre race n'existerait plus depuis longtemps. Suis-moi et ne dis plus de sottises, ou je vais te reconduire où je t'ai pris. – Dieu m'en garde! – pensa le vieillard, et, prenant un air plus modeste, il arriva avec la fée à la demeure nouvelle du petit prince Hermann.
Depuis un jour entier que la fée était absente, l'enfant, qui était bon, n'avait ni travaillé, ni joué, ni mangé. Il attendait sa mère et ne pensait plus qu'à elle. Quand il vit arriver le vieillard, il courut à lui, croyant qu'il annonçait et précédait la duchesse. «Maître Bonus, dit-il, soyez le bienvenu,» et, se rappelant ses manières de prince, il lui donna sa main à baiser; mais le pauvre gouverneur faillit tomber à la renverse en retrouvant l'enfant qu'il croyait ne jamais revoir, et il pleura de joie en l'embrassant comme si c'eût été le fils d'un vilain.
Alors la fée apprit à l'enfant que sa mère était morte, sans songer qu'elle lui faisait une grande peine et sans comprendre qu'un être soumis à la mort pût ne pas se soumettre à celle des autres comme à une chose toute naturelle. L'enfant pleura beaucoup, et dans son dépit il dit à la fée que puisqu'elle ne lui rapportait qu'une mauvaise nouvelle, elle eût bien pu se dispenser de lui ramener son précepteur. La fée haussa les épaules et le quitta fâchée. Maître Bonus ne se fâcha pas. Il s'assit auprès de l'enfant et pleura de le voir pleurer.
Ce que voyant, l'enfant, qui était très-bon, l'embrassa et lui dit qu'il voulait bien le garder près de lui et le loger dans sa maison, à la condition qu'il ne lui parlerait plus jamais d'étudier. «Au fait, dit maître Bonus, puisque nous voilà ici pour toujours, je ne sais trop à quoi nous servirait l'étude. Occupons-nous de vivre. J'avoue que je tiens à cela, et si vous m'en croyez, nous mangerons un peu; il y a si longtemps que je jeûne!» En ce moment, le chien revenait de la chasse avec un beau lièvre entre les dents.
Le chien fit amitié au pédagogue et lui céda volontiers sa proie, que maître Bonus se mit en devoir de faire cuire; mais les fées, qui le surveillaient, lui envoyèrent une hallucination épouvantable: aussitôt qu'il commença d'écorcher le lièvre, le lièvre grandit et prit sa figure, de manière qu'il s'imagina s'écorcher lui-même. Saisi d'horreur, il mit l'animal sur les charbons, espérant se délivrer de son rêve en respirant l'odeur de la viande grillée; mais ce fut lui qu'il fit griller dans des contorsions hideuses, et même il crut sentir dans sa propre chair qu'il brûlait en effet.
Il se rappela qu'il était condamné par les hommes à être rôti tout vivant, et, sentant qu'il ne fallait pas mécontenter les fées, il rendit la viande au chien et y renonça pour toujours. Alors il s'en alla dehors pour recueillir des racines, des fruits et des graines, et il en fit une si grande provision pour l'hiver que la maison en était pleine et qu'il y restait à peine de la place pour dormir. Et ensuite, craignant d'être volé par les fées, et s'imaginant savoir assez de magie pour leur inspirer le respect, il fit avec de la terre des figures symboliques qu'il planta sur le toit.
Mais sa science était fausse et ses symboles si barbares que les fées n'y firent d'autre attention que de les trouver fort laids et d'en rire. Les voyant de bonne humeur, il s'enhardit à demander où il pourrait se procurer des outils de travail, sans lesquels il lui était impossible, disait-il, de rien faire de bien. Elles le menèrent alors dans une grotte où elles avaient entassé une foule d'objets volés par elles dans leurs excursions, et abandonnés là après que leur curiosité s'en était rassasiée.
Maître Bonus fut étonné d'y trouver des ustensiles de toute espèce et des objets de luxe mêlés à des débris sans aucune valeur. Ce qu'il y chercha d'abord, ce fut une casserole, des plats et des pincettes. Il les déterra du milieu des bijoux et des riches étoffes. Il aperçut des sacs de farine, des confitures sèches, une aiguière et un bassin. Il regarda à peine les livres et les écritoires. «Songeons au corps avant tout, se dit-il; l'esprit réclamera plus tard sa nourriture, si bon lui semble.»
Il fit avec Hermann plusieurs voyages à la grotte que les fées regardaient comme leur musée et qu'il appelait, lui, tout simplement le magasin. Ils y trouvèrent tout ce qu'il fallait pour faire du beurre, des fromages et de la pâtisserie. Hermann y découvrit force friandises qu'il emporta, et maître Bonus, après de nombreux essais, parvint à faire de si bons gâteaux qu'un évêque s'en fût léché les doigts. Et, dans la douce occupation de bien dormir et de bien manger, le pédagogue oublia ses jours de misère et ne chicana pas le jeune prince pour lui apprendre à lire.
La reine des fées vint voir l'établissement, et comme plusieurs de ses compagnes étaient mécontentes de voir deux hommes, au lieu d'un, s'établir sur leurs domaines, elle leur dit: «Je ne sais de quoi vous vous tourmentez. Cet homme est vieux, et ne vivra que le temps nécessaire à l'enfance d'Hermann. C'est du reste un animal curieux, et le soin qu'il prend de son corps me paraît digne d'étude. Voyez donc tout ce que cet homme invente pour se conserver! Mais il manque de propreté, et je veux qu'il soit convenablement vêtu.»
Elle appela maître Bonus, et lui dit: «Ta robe usée et les habits déchirés de cet enfant choquent mes regards. Occupe-toi un peu moins de pétrir des gâteaux et d'inventer des crèmes. Si tu ne sais coudre ni filer, cherche dans la grotte quelque vêtement neuf, et que je ne vous retrouve pas sous ces haillons. – Oui-da, Madame, répondit le pédagogue, cachant sa peur sous un air de galanterie; il sera fait selon votre vouloir, et si ma figure peut vous devenir agréable, je n'épargnerai rien pour cela.»
Mais il ne trouva point d'habits pour son sexe dans le magasin des fées, et, ne sachant que faire, il pria la vieille Milith, qui était une fée un peu idiote, ayant bu la coupe au moment où elle tombait en enfance,