Un diplomate luxembourgeois hors pair. Paul Schmit

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Название Un diplomate luxembourgeois hors pair
Автор произведения Paul Schmit
Жанр Биографии и Мемуары
Серия
Издательство Биографии и Мемуары
Год выпуска 0
isbn 9782919792009



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à chaînes. Cette forteresse roulante, construction automobile française,10 était aussi utilisée par le cousin issu de germains du père d’Hugues, le bourgeois impérial11 Emile Mayrisch. Cette voiture apporta un changement certain dans la vie de la famille Le Gallais. Ce fut une émancipation de contraintes difficilement imaginables de nos jours où tout est instantané et où nous avons l’impression de tout pouvoir connaître et atteindre, d’être partout et nulle part. Ce moyen de se déplacer mettait tout à la portée d’une famille aisée, supprimant les distances et la rapprochant de nombreuses personnes et contrées éloignées.

      Le Gallais était membre du conseil d’administration de l’Institut Emile Metz, consul britannique et membre du conseil communal de 1892 à 1895. Il était également membre du premier Comité national de la Fédération nationale des éclaireurs et éclaireuses du Luxembourg (FNEL), dont l’origine anglaise lui tenait à cœur et lui rappelait le pays d’origine de son père.

      Le père d’Hugues Le Gallais était député libéral depuis 1908, année où, d’après la biographie de sa fille Rozel, il aurait acquis la nationalité luxembourgeoise. La vie politique de cette époque était des plus tourmentées, et la Première Guerre mondiale allait modifier l’équilibre des forces politiques. Norbert Le Gallais appartenait au parti qui allait tout juste échapper au désastre après la guerre, lui-même conservant toutefois son mandat. Avant la guerre, il avait été condamné avec Maurice Pescatore et Joseph Funck pour corruption électorale après avoir offert à boire à ses électeurs, ce que prohibait la loi électorale. Resté au Luxembourg au début de la guerre, il a démissionné le 4 avril 1916 de son siège de député. Il rejoignit le Comité de secours aux mutilés et réformés luxembourgeois des armées alliées fondé à l’initiative de Gaston Barbanson. Ce comité constituait en fait une organisation propageant plutôt la solution belge et favorisant donc un rattachement à la Belgique, contrairement à l’attachement de Le Gallais père pour la famille grand-ducale et en opposition également avec ceux qui prônaient un rapprochement avec la France. Par la suite, il s’était en quelque sorte exilé à Paris, mais aussi, en partie, en Suisse, et ceci d’après des sources concordantes.12 En Suisse, il se trouvait, d’après un rapport du diplomate français Berthelot,13 « soit à Ouchy-Lausanne soit à Evian-les-Bains et ceci depuis 8 mois ». Berthelot avait été informé fin octobre et de manière « tout à fait confidentielle » par le directeur du Syndicat des fontes que celui-ci avait été mandaté par le ministre d’Etat luxembourgeois Eyschen de sonder Le Gallais si celui-ci, en tant que consul britannique, pouvait vérifier à Londres si un chargé d’affaires luxembourgeois pouvait y être accepté. Eyschen aurait pensé à Le Gallais pour occuper ce poste. De son côté, le ministre luxembourgeois socialiste Michel Welter14 a précisé dans ses mémoires que, début novembre 1915, Le Gallais était « actuellement sans domicile ni résidence connus (il paraît qu’il vit tantôt en Suisse, tantôt à Paris ; il a quitté le pays, parce qu’en sa qualité de consul anglais, il ne se sentait plus assez sûr dans le pays) ». D’après les mémoires de sa fille Rozel, le père d’Hugues aurait résidé fastueusement d’abord au Grand Hôtel, Place de l’Opéra, et par la suite dans deux hôtels de moins en moins prestigieux, les moyens financiers ayant apparemment connu quelques revers et des économies devant décidément être faites. Il restait qu’à Paris les époux Le Gallais avaient chacun une chambre auxquelles venaient s’ajouter celles des trois filles plus celles de deux dames qui les accompagnaient tout au long de l’épisode parisien.

      Norbert Le Gallais est rentré au Grand-Duché après la Première Guerre mondiale. En octobre 1919, il présenta sa candidature dans la circonscription électorale du Centre et a été élu avec Brasseur, Diderich et Ludovicy, retrouvant son siège à la Chambre des députés. Sa réélection fut encore plus brillante en 1922, avec l’élection de Brasseur, Cahen, Diderich, Ludovicy et Gallé. En 1925, il s’inscrivit sur la liste Brasseur alors que le Parti libéral était divisé en deux groupes. Brasseur fut élu seul sur la liste, et, suite à sa démission, Le Gallais a pris sa place. Après la guerre, il resta fidèle au groupe conservateur des libéraux, soutenant le gouvernement de Pierre Prüm jusqu’à la soumission par ce dernier d’un projet de loi accordant aux ouvriers le congé payé. Norbert Le Gallais contribua alors par son vote de rejet à la chute du gouvernement, qui démissionna le 16 juillet 1926. Prüm avait quitté le Parti de la droite (« Rechtspartei ») et fondé le Parti national indépendant dès 1918. Maintenant avait sonné l’heure de Joseph Bech, propulsé au poste de chef du gouvernement. Lorsque le gouvernement présenta la loi au parlement, Norbert Le Gallais n’assista pas au vote à la Chambre le 16 novembre 1926. En 1931, il fut élu pour la dernière fois sur la liste du futur maire de la capitale, Gaston Diderich, face à la liste de Cahen. Il appartenait à l’aile modérée du Parti libéral-radical et il était donc compréhensible qu’il n’ait finalement « pas hésité » à entrer en coalition avec le parti de droite. Il fut élu deux fois vice-président de la Chambre, le 4 novembre 1919, où il n’a pas pris ses fonctions pour des raisons politiques, puis de nouveau en 1931.

      Norbert Le Gallais n’était pas un adepte de longs discours mais plutôt porté sur l’action, se montrant toujours très courtois et poli. Il a été décrit comme un parfait gentleman qui avait ses propres opinions mais ne les a jamais mises en avant avec des mots durs ou insultants. Bien qu’il ait eu des intérêts manifestes dans l’industrie, personne ne peut certainement lui reprocher d’avoir promu ses intérêts d’une manière unilatérale. Le bien commun était son but et son principe directeur.

      Une description amusante du milieu des Le Gallais a été faite dans le livre de Pierre Viallet « La Foire »15 qui a couché sur papier de manière admirable la vie insouciante voire inconsciente de la bourgeoisie du XIXe et du début du XXe siècle. Dans ce récit sur l’ascension et la déchéance de la famille maternelle de l’auteur, les Brasseur, tribu également liée à la sidérurgie, sont décortiqués avec minutie, un peu comme dans les « Buddenbrooks » de Thomas Mann. Le lecteur apprend les faits et gestes d’une classe sociale aisée qui ne se cache guère lorsqu’il s’agit d’étaler sa gloire ascendante, mais qui se tait s’il y a du linge sale à laver, préférant dissimuler sa misère intellectuelle ou financière. L’insolence, l’excentricité et la prodigalité du roman de Viallet témoignent de la vie de famille bourgeoise similaire à celle d’Hugues Le Gallais, du moins au cours de sa jeunesse.

      Le père d’Hugues avait un penchant pour le jeu de cartes. C’est notamment à la Place d’Armes, le lieu de rencontre en plein milieu de la capitale, qu’il a perdu des sommes non négligeables et a engagé des meubles de la famille. Sa seconde femme le tenait en laisse et lui accordait quelques francs le dimanche, à condition de passer également par une église. Norbert Le Gallais jouait aux cartes avec des amis au Bridge Club de Luxembourg (local de l’Automobile Club du Luxembourg à la Porte Neuve) lorsqu’il subit une attaque à laquelle il succomba peu de temps après. Il a été foudroyé au moment où à un « contre » il répondait par un énergique « sur-contre ».16 Il est décédé à peine 14 jours après la mort de son ami et compagnon d’armes Robert Brasseur.17 Son successeur à la Chambre allait devenir l’ancien député Jacques Gallé. Dans la deuxième ville du pays et haut-lieu de la sidérurgie, à Esch-sur-Alzette, une rue a été nommée en l’honneur du père d’Hugues Le Gallais. Dans la nécrologie, il est rappelé par le quotidien catholique et de droite, le Luxemburger Wort, que d’un point de vue religieux, le défunt remplissait régulièrement ses devoirs et que son ami personnel, l’Abbé Gemen de la Chapelle du Glacis, a pu lui administrer les derniers sacrements, dans la mesure où « c’était possible ». Le 8 mars 1934, le journal de gauche, Tageblatt, décrit les funérailles, la veille, de Norbert Le Gallais. Un grand nombre de participants de toutes les couches de la population a accompagné le défunt sur son dernier chemin. Funérailles dignes donc pour un père souvent absent voire chancelant, contrairement, dirait-on presque, à la devise familiale. Cette disparition a laissé Hugues orphelin avec une belle-mère qui allait s’établir dans le sud de la France et avec qui il n’avait plus guère de contact. Des deux sœurs survivantes, l’une était mariée en Allemagne et l’autre vivait en