Un diplomate luxembourgeois hors pair. Paul Schmit

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Название Un diplomate luxembourgeois hors pair
Автор произведения Paul Schmit
Жанр Биографии и Мемуары
Серия
Издательство Биографии и Мемуары
Год выпуска 0
isbn 9782919792009



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de voir cet épisode tragique, qui devait rappeler à Hugues Le Gallais le suicide de sa sœur Alice, huit ans plus tôt, figurer de manière aussi crue dans les souvenirs de ce séjour japonais. En fait, l’incident du 26 février ou « incident 2-2-6 » a été une tentative de coup d’État qui eut lieu au Japon, du 26 au 29 février 1936, organisée par la faction ultra-nationaliste de l’Armée impériale japonaise. Cet épisode violent pourrait avoir donné le reste aux Le Gallais. Pisana voulait quitter au plus vite ce pays aux mœurs et coutumes si différentes à maints égards. Avec leur fils de trois ans, le couple rentrait donc en Europe.

      Hugues Le Gallais se souviendra longtemps du temps passé au pays du Soleil levant. Dans son discours en anglais prononcé lors de la signature, en septembre 1951, de l’accord de paix avec le Japon, Le Gallais souligne qu’il a passé quelque dix ans au Japon où il est arrivé brièvement après le grand tremblement de terre de 1923 qui avait causé d’énormes dommages, lui permettant de voir de ses propres yeux ce que les efforts au travail peuvent exercer face à un désastre national. Il affirme aussi avoir vu une réelle avalanche d’aide américaine et qu’il a réalisé pour la première fois l’esprit généreux du peuple américain. Il a rendu hommage aussi à cette approche dont ont bénéficié de nombreux peuples, y compris le sien. Il mentionne que durant ces années il a été en contact avec les différentes classes du peuple japonais et qu’en général celui-ci est bon et pacifique par nature. Il rappelle que malheureusement, après l’incident « provoqué » de Mukden79 de 1931 donnant prétexte à l’invasion du sud de la Mandchourie par les troupes japonaises, le Japon a été dirigé par des fanatiques militaires et que la nature conciliante de cet accord de paix était destinée à éviter le retour à de telles circonstances. Il souligne que durant ses dix ans passés au Japon il n’a pas vu un seul Japonais ne pas respecter sa parole. Sa prise de position avait été patiemment réfléchie et élaborée de concert avec sa capitale et ses autorités.

      En attendant, ce fut le retour à la case de départ, le Luxembourg, ce pays inconnu pour Pisana. Avec complaisance et désinvolture, le couple rejoignit le Vieux Continent qui se retrouvait aussi sous la menace de totalitarismes, surtout du national-socialisme. Avant de rejoindre Washington, cet endroit de projection du pouvoir par excellence, le couple dut faire face à son propre destin dans cette capitale provinciale avant la nouvelle déflagration qui allait embraser l’Europe. Le Gallais était le gentilhomme aimable par excellence, tout en étant devenu de plus en plus « bourgeois impérial » à l’image de ses ancêtres et de ses familiers. Il allait se faire un nom auprès de la Cour grand-ducale et se réfugier dans l’examen, la préservation, l’étude et la contemplation de sa collection d’art oriental qu’il avait constituée au cours de la décennie passée.

      69 Correspondance Mayrisch ‒ Schlumberger, p. 252.

      70 Tony Rollman (1899-1986) a travaillé au Japon de 1926 à 1935 et a quitté Columeta en 1948 pour les Communautés européennes avant de retourner en 1950 à l’Arbed.

      71 Albert de Bassompierre (1873-1956), baron, ambassadeur au Japon de 1921 à 1939. A écrit ses mémoires en 1943 : « Dix-huit ans d’Ambassade au Japon ».h

      72 Joseph Hackin (1886-1941), époux de Ria Parmentier (1905-1941), plus tard conservateur et rénovateur au Musée Guimet, son épouse étant sa principale collaboratrice. Morts en héros pour la France. Dans son tome sur l’année d’exil 1941, Heisbourg décrit le lien entre Bech et Hackin, la disparition duquel il regretta beaucoup, d’autant plus qu’une invitation du couple en octobre 1940 avait fait probablement échapper le ministre luxembourgeois à un bombardement de Londres qui aurait pu lui être fatal.

      73 Pierre d’Espezel (1893-1959), archiviste-paléographe, conservateur au Cabinet des médailles et antiques de la Bibliothèque nationale, Paris ; secrétaire de la « Gazette des beaux-arts ».

      74 Bourg, Tony : Madame Mayrisch et l’Orient. Letzebuerger Land du 18 décembre 1987 ; lettre du 13 décembre 1932, Fonds Mayrisch ; ANLux.

      75 Bourg, Tony : Madame Mayrisch et l’Orient. Letzebuerger Land du 18 décembre 1987 ; lettre du 31 juillet 1932, Fonds Mayrisch ; ANLux.

      76 Boy, Marie : L’intelligence sensible du décideur: Relation, intuition, valeurs : des atouts pour développer votre potentiel de dirigeant ; Editions Dunod.

      77 Marunouchi signifie « à l’intérieur du cercle », en référence à sa localisation à l’intérieur des douves du palais impérial. Le quartier est le centre financier du Japon, les trois plus grosses banques du pays y ont leur quartier général.

      78 Dittrich, Klaus: Selling Luxembourgian steel in Japan: Columeta Tokyo, 1925 to 1941; in: Zeitschrift für Unternehmensgeschichte, 2 (2016).

      79 Il s’agit de l’attentat planifié par les Japonais redoutant une unification de la Chine sous l’égide du Kuomintang, perçue comme une menace contre la prééminence japonaise dans la région.

      FONCTION HONORIFIQUE AUPRÈS DE LA GRANDE-DUCHESSE ET LIENS AVEC LA FAMILLE GRAND-DUCALE

      Monarchiste, conventionnel par moments, Le Gallais était un mélange d’aristocrate élitaire et de grand seigneur sachant où avancer et à qui s’attacher pour poursuivre son chemin, notamment auprès de la Cour luxembourgeoise.

      Le père de Hugues, Norbert Le Gallais, avait déjà été proche de la Cour grand-ducale. Les sœurs d’Hugues avaient été invitées à jouer au Palais grand-ducal avec les princesses luxembourgeoises et des enfants de diplomates. Rozel se souvenait que la princesse Charlotte avait été enfermée et oubliée dans une armoire contenant des manteaux qui avaient été traités à la naphtaline. Ceci explique en partie le lien assez étroit qui liait Le Gallais à la souveraine à qui il pouvait s’adresser parfois différemment, plus intimement que de coutume et de tradition, comme nous allons le voir bientôt.

      Hugues a été chambellan de Son Altesse Royale la Grande-Duchesse depuis février 1939, et ce jusqu’à la fin de sa vie. Ce fut l’année du centenaire du Traité de Londres et donc de l’indépendance du pays. Des commémorations et célébrations furent organisées à travers le pays, témoignant du sentiment d’indépendance et de fierté souveraine des Luxembourgeois. Hugues Le Gallais ne devait pas avoir été insensible à cette ferveur nationale destinée aussi à montrer aux Allemands menaçants que les Luxembourgeois souhaitaient rester indépendants selon la devise « Mir wölle bleiwe wat mir sin » (Nous voulons rester ce que nous sommes). Hugues souhaitait certainement progresser dans sa vie professionnelle. Le fait d’être devenu chambellan à la Cour était sans doute un coup de pouce appréciable et apprécié. Il était aussi disposé à quitter de nouveau son pays natal. Beaucoup de ces évènements devaient le porter à croire que l’homme est responsable à plus d’un égard de sa propre destinée, et c’est dans ce sens qu’il allait aborder l’opportunité washingtonienne qui allait se présenter. La qualité de chambellan était pour Hugues une étape bienvenue dans ce parcours diplomatique. En tant que personnage proche de la Cour, il était un tant soit peu jalousé, se distinguant du lot des fonctionnaires et courtisans parmi lesquels il allait bientôt évoluer en tant que diplomate.

      La fonction de chambellan ou chambrier (camerarius en latin) et donc de gentilhomme chargé du service de la chambre d’un monarque ou d’un prince, à la Cour duquel il vit, avait quelque peu changé au cours du temps. Hugues Le Gallais participait surtout à certaines cérémonies, mais pouvait aussi conseiller la Cour. Au cours de la guerre, il n’allait pas s’en priver. Une photo80 prise lors du dernier Te Deum de la Fête Nationale, le 23 janvier 1940, avant l’occupation montre Auguste Collart, Hugues Le Gallais, l’aide de camp du prince Félix, Guillaume Konsbruck dit Guill,81 le Grand Maréchal de la Cour, François de Colnet d’Huart, et le président de l’Administration des Biens, Alfred Loesch.82 Les hommes faisant partie de la Cour grand-ducale sont alignés par ordre de préséance devant la cathédrale en attendant la famille grand-ducale. Toute une panoplie de connaissances voire