Название | Das Passagen-Werk |
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Автор произведения | Walter Benjamin |
Жанр | Документальная литература |
Серия | |
Издательство | Документальная литература |
Год выпуска | 0 |
isbn | 9788026829706 |
Et du ciel les canards tomberont aux navets.«
Les expositions universelles sont les centres de pèlerinage de la marchandise-fétiche. »L’Europe s’est déplacée pour voir des marchandises« dit Taine en 1855. Les expositions universelles ont eu pour précurseurs des expositions nationales de l’industrie, dont la première eut lieu en 1798 sur le Champ de Mars. Elle est née du désir »d’amuser les classes laborieuses et devient pour elles une fête de l’émancipation«. Les travailleurs formeront la première clientèle. Le cadre de l’industrie de plaisance ne s’est pas constitué encore. Ce cadre c’est la fête populaire qui le fournit. Le célèbre discours de Chaptal sur l’industrie ouvre cette exposition. – Les Saint-Simoniens qui projettent l’industrialisation de la planète, s’emparent de l’idée des expositions universelles. Chevalier, la première compétence dans ce domaine nouveau, est un élève d’Enfantin, et le rédacteur du journal Saint-Simonien Le Globe. Les Saint-Simoniens ont prévu le développement de l’industrie mondiale; ils n’ont pas prévu la lutte des classes. C’est pourquoi, en regard de la participation à toutes les entreprises industrielles et commerciales vers le milieu du siècle, on doit reconnaître leur impuissance dans les questions qui concernent le prolétariat.
Les expositions universelles idéalisent la valeur d’échange des marchandises. Elles créent un cadre où leur valeur d’usage passe au second plan. Les expositions universelles furent une école où les foules écartées de force de la consommation se pénètrent de la valeur d’échange des marchandises jusqu’au point de s’identifier avec elle: »il est défendu de toucher aux objets exposés«. Elles donnent ainsi accès à une fantasmagorie où l’homme pénètre pour se laisser distraire. A l’intérieur des divertissements, auxquels l’individu s’abandonne dans le cadre de l’industrie de plaisance, il reste constamment un élément composant d’une masse compacte. Cette masse se complaît dans les parcs d’attractions avec leurs montagnes russes, leurs »tête-à-queue«, leurs »chenilles«, dans une attitude toute de réaction. Elle s’entraîne par là à cet assujettissement avec lequel la propagande tant industrielle que politique doit pouvoir compter. – L’intronisation de la marchandise et la splendeur des distractions qui l’entourent, voilà le sujet secret de l’art de Grandville. D’où la disparité entre son élément utopique et son élément cynique. Ses artifices subtils dans la représentation d’objets inanimés correspondent à ce que Marx appelle les »lubies théologiques« de la marchandise. L’expression concrète s’en trouve clairement dans la »spécialité« – une désignation de marchandise qui fait à cette époque son apparition dans l’industrie de luxe. Les expositions universelles construisent un monde fait de »spécialités«. Les fantaisies de Grandville réalisent la même chose. Elles modernisent l’univers. L’anneau de Saturne devient pour lui un balcon en fer forgé où les habitants de Saturne prennent l’air à la tombée de la nuit. De la même façon un balcon en fer forgé représenterait à l’exposition universelle l’anneau de Saturne et ceux qui s’y avancent se verraient entrainés dans une fantasmagorie où ils se sentent mués en habitants de Saturne. Le pendant littéraire de cette utopie graphique, c’est l’œuvre du savant fouriériste Toussenel. Toussenel s’occupait de la rubrique des sciences naturelles dans un journal de mode. Sa zoologie range le monde animal sous le sceptre de la mode. Il considère la femme comme le médiateur entre l’homme et les animaux. Elle est en quelque sorte le décorateur du monde animal, qui en échange dépose à ses pieds son plumage et ses fourrures. »Le lion ne demande pas mieux que de se laisser rogner les ongles, pourvu que ce soit une jolie fille qui tienne les ciseaux.«
»La mode: Monseigneur la mort! Monseigneur la mort!«
La mode prescrit le rite suivant lequel le fétiche qu’est la marchandise demande à être adoré; Grandville étend son autorité sur les objets d’usage courant aussi bien que sur le cosmos. En la poussant jusqu’à ses conséquences extrêmes il en révèle la nature. Elle accouple le corps vivant au monde inorganique. Vis-à-vis du vivant elle défend les droits du cadavre. Le fétichisme qui est ainsi sujet au sex appeal du non-organique, est son nerf vital. Les fantaisies de Grandville correspondent à cet esprit de la mode, tel qu’Apollinaire en a tracé plus tard une image: »Toutes les matières des différents règnes de la nature peuvent maintenant entrer dans la composition d’un costume de femme. J’ai vu une robe charmante, faite de bouchons de liège … La porcelaine, le grès et la faïence ont brusquement apparu dans l’art vestimentaire … On fait des souliers en verre de Venise et des chapeaux en cristal de Baccarat.«
Louis-Philippe ou l’intérieur
»Je crois … à mon âme: la Chose.«
Sous le règne de Louis-Philippe le particulier fait son entrée dans l’histoire. Pour le particulier les locaux d’habitation se trouvent pour la première fois en opposition avec les locaux de travail. Ceux-là viennent constituer l’intérieur; le bureau en est le complément. (De son côté il se distingue nettement du comptoir, qui par ses globes, ses cartes murales, ses balustrades, se présente comme une survivance de formes baroques antérieures à la pièce d’habitation.) Le particulier qui ne tient compte que des réalités dans son bureau demande à être entretenu dans ses illusions par son intérieur. Cette nécessité est d’autant plus pressante qu’il ne songe pas à greffer sur ses intérêts d’affaires une conscience claire de sa fonction sociale. Dans l’aménagement de son entourage privé il refoule ces deux préoccupations. De là dérivent les fantasmagories de l’intérieur; celui-ci représente pour le particulier l’univers. Il y assemble les régions lointaines et les souvenirs du passé. Son salon est une loge dans le théâtre du monde.
L’intérieur est l’asile où se réfugie l’art. Le collectionneur se trouve être le véritable occupant de l’intérieur. Il fait son affaire de l’idéalisation des objets. C’est à lui qu’incombe cette tâche sisyphéenne d’ôter aux choses, parce qu’il les possède, leur caractère de marchandise. Mais il ne saurait leur conférer que la valeur qu’elles ont pour l’amateur au lieu de la valeur d’usage. Le collectionneur se plaît à susciter un monde non seulement lointain et défunt mais en même temps meilleur; un monde où l’homme est aussi peu pourvu à vrai dire de ce dont il a besoin que dans le monde réel, mais où les choses sont libérées de la servitude d’être utiles.
»La tête …
Sur la table de nuit, comme une renoncule,
Repose.«
L’intérieur n’est pas seulement l’univers du particulier, il est encore son étui. Depuis Louis-Philippe on rencontre dans le bourgeois cette tendance à se dédommager pour l’absence de trace de la vie privée dans la grande ville. Cette compensation il tente de la trouver entre les quatre murs de son appartement. Tout se passe comme s’il avait mis un point d’honneur à ne pas laisser se perdre les traces de ses objets d’usage et de ses accessoires. Sans se lasser il prend l’empreinte d’une foule d’objets; pour ses pantoufles et ses montres, ses couverts et ses parapluies, il imagine des housses et des étuis. Il a une préférence marquée pour le velours et la peluche qui conservent l’empreinte de tout contact. Dans le style du Second Empire l’appartement devient une sorte d’habitacle. Les vestiges de son habitant se moulent dans l’intérieur. De là naît le roman policier qui s’enquiert de ces vestiges et suit ces pistes. La Philosophie d’ameublement et les »nouvelles-détectives« d’Edgar Poë font de lui le premier physiognomiste de l’intérieur. Les criminels dans les premiers romans policiers ne sont ni des gentlemen ni des apaches, mais de simples particuliers de la bourgeoisie (Le Chat Noir, Le Cœur Révélateur, William Wilson).
»Dies