Название | Histoire d'Henriette d'Angleterre |
---|---|
Автор произведения | La Fayette Marie-Madeleine Pioche de La Vergne |
Жанр | Зарубежная классика |
Серия | |
Издательство | Зарубежная классика |
Год выпуска | 0 |
isbn |
Il n'en fallait pas davantage pour faire naître le soupçon, vraisemblable malheureusement, d'un horrible drame domestique. Madame l'avait eu la première.
Voici quel était le véritable état des choses. Le 29 juin 1670, Madame écrivit à la Princesse palatine qui lui était désignée comme médiatrice entre le duc d'Orléans et elle. La Palatine, sœur de la reine de Pologne que nous avons vue recevoir M. de Guiche, était devenue, par l'effet de l'âge, fort respectable et de bon conseil. Mazarin avait raison de dire que le temps est un galant homme. Cette lettre nous apprend que Monsieur, de plus en plus aigri contre Madame, avait mis trois conditions à son raccommodement. Les deux premières étaient relatives au désir qu'il avait de se mettre en tiers dans les affaires de Madame et de Charles II et à la pension de son fils mort, laquelle il voulait toucher. La troisième, qui lui tenait seule au cœur, était le rappel du chevalier de Lorraine. Et vraiment Madame, qui craignait ce retour, n'était pas la personne qu'il fallait pour l'obtenir. Elle avait négocié du moins pour que le chevalier fût honorablement reçu en Angleterre. Sur les deux autres points elle avait obtenu à peu près ce que Monsieur demandait. Mais il ne voulait rien entendre qu'on ne lui eût rendu son chevalier. Il querellait, boudait, menaçait. Les choses étaient au pire. Henriette, les ayant exposées à la Princesse palatine, ajouta: «L'on ne me fera jamais rien faire à coups de bâton78.»
Cette lettre, comme j'ai dit, est datée du 29 juin 1670.
Le même jour, Madame, ayant bu un verre d'eau de chicorée, sentit tout à coup une grande douleur à l'estomac, se crut empoisonnée, le dit et ne cessa de le croire pendant les neuf heures qui lui restaient à vivre. Si elle n'en parla plus à la fin, ce fut par soumission à son confesseur, le dur M. Feuillet, et parce que, chrétienne ardente, elle reportait toutes ses pensées sur l'éternité dont elle se sentait proche. Mais ses soupçons, loin de finir avec elle, se répandirent dans toute la société, et la rumeur publique fut que le chevalier de Lorraine avait envoyé le poison et que d'Effiat avait mis ce poison dans l'eau de chicorée. Saint-Simon, qui n'a point en la cause l'autorité d'un témoin, puisqu'il naquit cinq ans après la mort de Madame, inséra dans ses Mémoires79 un récit très circonstancié de l'empoisonnement. Ce récit, qui présente en lui-même de graves difficultés80, ne dispense en aucune façon l'historien d'interroger les faits. Les relations de la mort de Madame sont fort nombreuses et suffisamment concordantes. On possède en outre deux procès-verbaux d'autopsie81.
A l'aide de ces documents, M. E. Littré, doublement préparé aux explorations de ce genre par ses connaissances médicales et par sa rigoureuse méthode de critique historique, a recherché si vraiment Madame avait été empoisonnée. La dissertation de ce savant, inspirée par une bonne foi parfaite et conduite avec le zèle d'un esprit curieux et sincère, aboutit à une négation formelle. On la trouvera dans le volume intitulé Médecine et Médecins82 et, comme les personnes les plus étrangères à l'érudition pourront se plaire à ces pages ornées de littérature et empreintes de cette sagesse affectueuse qui est le propre du vénérable vieillard qui les a écrites, notre désir serait d'y renvoyer simplement le lecteur; mais on est en droit de demander au plus récent éditeur de l'Histoire d'Henriette d'Angleterre un précis de l'état actuel de la science relativement à la question controversée de la mort de Madame; c'est pourquoi nous croyons devoir nous approprier les principaux arguments fournis par M. Littré. Le lecteur voudra bien tout d'abord lire attentivement la relation qu'il trouvera aux pages 123 et suivantes de ce volume; qu'il remarque ensuite:
1o Que l'eau de chicorée83 fut apprêtée par une femme sûre, madame Desbordes, cette première femme de chambre «qui était absolument à Madame».
2o Que madame Desbordes but de la même eau de chicorée et ne fut pas incommodée. (Madame de La Fayette dit bien qu'on lui en apporta un verre, mais il n'est pas croyable qu'elle ait bu avant la princesse, et on ne voit pas qu'elle ait bu après)84.
3o Que, si le poison n'était pas dans la bouteille, il n'était pas non plus dans le verre, car madame Desbordes n'aurait pas versé à boire à la Princesse dans un verre enduit sur les bords d'une substance inconnue ou contenant au fond quelque poudre.
4o Que Madame, ayant bu, se prit le côté et dit: «Ah! quel point de côté! ah! quel mal!» Il faudrait donc supposer un poison capable de causer instantanément une vive douleur à l'estomac sans procurer à la bouche et à la gorge une sensation appréciable; or il n'y a pas de poison semblable. Les alcalis et les acides concentrés brûlent la gorge; l'arsenic et le phosphore ne causent point une douleur immédiate. Quant aux poisons foudroyants, comme ceux de Locuste85, on n'en peut parler à propos d'une patiente qui subit neuf longues heures de torture.
Toutefois, ces preuves négatives ont, malgré leur force, un vice de nature. Elles sont insuffisantes par cela même qu'elles sont négatives. Ce n'est pas assez de dire comment Madame n'est pas morte; il faut dire, s'il se peut, comment elle est morte.
Si l'on interroge les médecins qui firent l'autopsie, ils répondent que Madame mourut «d'une trop grande effusion de bile», ce qui ne veut rien dire du tout. Mais quand ils disent qu'«il sortit du ventre une vapeur fétide» et qu'ils trouvèrent «l'épiploon tout mortifié et gangrené, les intestins tendant aussi à mortification et putréfaction», ils indiquent clairement les effets d'une inflammation du péritoine. Il est acquis, par cela seul, que Madame mourut d'une péritonite.
Recherchons maintenant la cause et la nature de cette atroce douleur au côté qui suivit immédiatement l'ingestion du verre d'eau de chicorée et qui se renouvela (il est utile de le rappeler) quand Madame prit de l'huile et du bouillon; et voyons quelle peut être la lésion qui, après quelques malaises indéterminés, se signale par une douleur d'estomac foudroyante, suivie d'une péritonite suraiguë.
M. Vallot ne peut nous répondre, mais Littré, fort des observations de la médecine moderne, n'hésite pas à diagnostiquer l'ulcère simple de l'estomac86, que le professeur Cruveilhier fut le premier à décrire et que les médecins de Madame ne purent reconnaître, puisqu'ils ne le connaissaient pas. Il est certain que depuis quelque temps Madame, après ses repas, souffrait de l'estomac. Le liquide qu'elle prit le 29 juin détermina la perforation de la paroi ulcérée. De là cette cruelle douleur au côté, puis la péritonite que nous avons constatée.
Les médecins qui ouvrirent le corps trouvèrent en effet que l'estomac était percé d'un petit trou; mais comme ils ne pouvaient s'expliquer l'origine pathologique de ce trou, ils s'imaginèrent qu'il avait été fait par mégarde pendant l'autopsie, «sur quoi, dit l'un d'eux, je fus le seul qui fis instance87». Cette illusion s'explique d'autant mieux que, dans cette lésion maintenant connue, le pertuis, ne présentant aucune induration sur ses bords parfaitement réguliers, semble artificiel. Jaccoud signale «la délimitation très nette de l'ulcère, l'absence d'inflammation et de suppuration périphérique88».
Ce n'est pas tout: les médecins trouvèrent dans le bas-ventre une matière «grasse comme de l'huile». C'en était en effet. C'était l'huile que Madame avait bue comme contre-poison, et qui s'était épanchée hors de l'estomac perforé.
En résumé: Avant le 29 juin, douleurs gastriques causées par l'ulcération. Le 29, déchirure de l'ulcération et péritonite suraiguë.
Tel est, fort abrégé, le système de M. Littré. Nous en avons reproduit les principales dispositions en y ajoutant quelques faits qui y entraient parfaitement. Mais ce système a été attaqué dans plusieurs de ses parties. Un érudit que la sagacité de son esprit
78
Voir Appendice II, à la fin de ce volume.
79
Edit. Chéruel, 1856, t. III, p. 180 et suiv.
80
Saint-Simon dit, par exemple, qu'un garçon de la chambre de Madame fit l'eau de chicorée, et madame de La Fayette, qui était de la maison et savait comment tout s'y passait, dit précisément que madame Desbordes, première femme de chambre de Madame, prépara l'eau de chicorée. Il fallait que Saint-Simon fût bien mal renseigné sur madame, car il dit dans ce récit qu'elle «étoit d'une très bonne santé». La lettre de Guy Patin qu'on a lue plus haut, le
81
Voir la note 244 page 123. Lisez cette note en mettant une virgule au lieu d'un point à la ligne 5 (entre
82
1872, in-8o, pp. 429 et suiv. Cette étude avait d'abord été publiée dans la
83
Madame de La Fayette dit que cette eau était dans une bouteille. Saint-Simon dit qu'elle était dans un pot. Cela n'a l'air de rien et pourtant trahit l'arrangement. D'Effiat pouvait jeter très vite le poison dans un pot. Le couler dans une bouteille était plus difficile et plus long. On risquait d'être surpris pendant l'opération. La métamorphose de la bouteille en pot a donc son intérêt.
84
Lefèvre d'Ormesson dit, dans son journal: «Les dames qui étoient avec elle (Madame) avoient bu de cette même eau et ne l'avoient point trouvée si mauvaise.» (t. II, p. 593). Mais Lefèvre d'Ormesson ne fut pas témoin et madame de La Fayette l'était. Ce qui est rapporté à ce sujet dans une lettre de Bossuet, citée par Floquet, est encore moins croyable, car la lettre elle-même est véhémentement soupçonnée d'être fausse. «Monsieur, est-il dit dans cette lettre, Monsieur qui avoit donné à boire à Madame de Meckelbourg, qui s'y trouva, acheva de boire le reste de la bouteille pour rassurer Madame.» On voit dans la relation de madame de La Fayette qu'il était lui-même peu rassuré et nullement disposé à tenter une épreuve de ce genre.
85
Et comme le curare.
86
Ulcère simple de l'estomac (Cruveilhier), ulcère perforant de l'estomac (Rokitansky).
87
88