Nach Paris! Roman. Dumur Louis

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Название Nach Paris! Roman
Автор произведения Dumur Louis
Жанр Зарубежная классика
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Издательство Зарубежная классика
Год выпуска 0
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Je lui décrivais le local où s'assemblait le corps dont je faisais partie, sa tourelle à créneaux surmontée de notre bannière, sa statue en pied d'un chevalier armé, sa grande salle de kneipe aux murs décorés de sabres, de rapières, d'écussons, de grandes pipes de porcelaine, de cornes énormes bordées d'argent, de portraits de Bismarck, de Moltke, de Guillaume Ier, de Guillaume II, ainsi que des silhouettes noires de tous nos anciens, coiffés du deckel orange. Puis je lui détaillais nos séances de kneipe, les flots de bière blonde que nous absorbions au commandement et selon les pures traditions du rituel de Leipzig, les chopes à couvercle d'étain ciselé et les cruchons de faïence ornementés de devises, les chants du Kommersbuch vociférés en chœur, les Gaudeamus, les Ssassa geschmauset, les Alt Heidelberg, les cris et les hurlements se croisant de toutes parts avec les appels à boire: Prosit! Sauf! Ich komme nach! Rest! Steig in die Kanne! Geschenkt! et les mémorables exploits de notre valeureux Fuchsmajor, le gros von Pumplitz, surnommé Falstaff, étudiant de quinzième année, qui engoulait régulièrement ses vingt litres par soir, sans avoir besoin de passer une seule fois au vomitorium.

      – Seigneur Dieu! s'écriait alors la belle Dorothéa avec admiration. C'est magnifique! Vous n'en feriez pas autant, j'en suis sûre.

      – Pas maintenant, c'est certain. Mais l'année prochaine, répliquais-je, j'espère bien y arriver.

      Alors, pour maintenir mon prestige, je lui narrais pour la centième fois l'histoire de ma balafre, ma première balafre.

      Nous nous mesurions dans une salle de bal sise à une demi-heure de la ville. Chaque samedi, c'était un défilé de voitures chargées d'étudiants, chantant, sifflant, plastronnant, jurant, au milieu des claquements des fouets et du charivari des trompes d'automobiles. Les duels commençaient à sept heures du matin et duraient jusqu'au soir. Au bout de trois mois, j'avais eu l'honneur d'être admis à y assister; au bout de six, on m'avait fait celui de me désigner pour soutenir le défi porté par ma corporation à la Saxonia. J'étais aux anges. Tout droit, la poitrine gonflée sous le plastron, le tablier de cuir au ventre, le brassard au bras, le bandage d'ouate autour du cou, sur les yeux les grosses lunettes noires armaturées de fer, j'avais pris vaillamment position devant mon adversaire. «Silentium für die Mensur!» criait l'arbitre. Les seconds se garèrent. «Auslegen!» commanda le directeur du combat. Les rapières se mirent en garde. «Los!» Patata! patata! rapatatata! En moulinet, par-dessus les têtes, les poignets gantés faisaient tournoyer les deux énormes lames. Les aciers se choquaient, se cognaient avec un bruit terrible, rebondissaient l'un sur l'autre, éraflaient les crânes et les visages. Les faces se tuméfiaient sous leurs coups. Entre les reprises, on constatait les blessures. Un tampon de coton aux doigts, l'arbitre venait cérémonieusement les toucher. «Un sang pour Teutonia! deux sangs pour Saxonia!» annonçait-il. Puis les rapières, toutes rouges, reprenaient leur tournoiement violent. Sept «sangs» avaient déjà été comptés sur moi, légères et superficielles éraillures au front, au nez, au cuir chevelu, qui cependant suffisaient à faire dégouliner jusque sur mes chaussures d'abondants filets vermeils, et je m'apprêtais à poursuivre sans broncher la «partie», quand tout à coup j'avais reçu cette immense balafre qui, me fendant largement la joue du haut en bas et m'inondant d'un vaste flot de sang chaud, avait mis honorablement fin au combat. Saxonia était victorieuse. Mais combien j'en étais fier! Et tandis que le chirurgien, son binocle sur le nez, aseptisait la plaie et de sa forte aiguille en recousait grossièrement les lèvres, je songeais avec ravissement au lustre qu'allait me valoir cette première épreuve et qu'au bout de deux ou trois autres assauts pareils, j'aurais brillamment conquis l'enviable dignité de Bursch. Aussi, le lendemain dimanche, ne voyait-on que moi, sur la Promenade, à l'heure de la musique militaire, lorgnant insolemment la foule, toisant les bourgeois, bombant le torse devant les demoiselles de Halle, tout roide d'orgueil, la tête prise dans mes linges de pansement et puant l'iodoforme à quinze pas.

      La belle Dorothéa écoutait ce récit avec un intérêt toujours renouvelé. Toute pâle d'émotion, elle se jetait à mon cou et, emportée par l'enthousiasme jusqu'à me tutoyer, elle s'écriait:

      – Tu es un héros!

      Un héros, certes, je pensais bien en être un; mais en ce moment, en cette heure d'intimité délicieuse, dans ce petit salon où nous étions seuls tous les deux autour de nos chopes de bière et la main dans la main, mon héroïsme se fondait en un sentiment plus tendre, bien que non moins noble à mes yeux: l'amour.

      C'est au retour d'une de ces promenades enchanteresses à Goslar que m'attendait, un jour, la surprise la plus imprévue. Ce jour-là, autant le préciser tout de suite, était le 25 juillet. Tout en regagnant paisiblement la maison, je songeais avec bonheur au souriant avenir qui s'ouvrait devant moi, tandis que le crépuscule commençait à nuancer de teintes moins vives le penchant de la forêt. Je trouvai mon père, le conseiller de commerce Hering, plongé comme d'habitude dans la lecture du Berliner Tageblatt, pendant que mes sœurs brodaient sagement au crochet et que ma mère, Mme la conseillère de commerce Hering, penchée sur son secrétaire de bois de rose, griffonnait sa correspondance. L'heure du repas du soir approchait et rien ne paraissait devoir distinguer ce jour des précédents, sinon la félicité renouvelée qu'il m'avait value, quand Johann, notre domestique mâle, vint me remettre un pli qu'un gendarme avait apporté pendant mon absence.

      Je l'ouvris d'un doigt détaché, le prenant déjà pour quelque banale contravention de pêche ou telle autre futilité analogue; mais à peine y avais-je jeté les yeux, que j'éprouvai une violente contrariété. Je ne vis d'abord qu'une chose: mes vacances brusquement interrompues.

      C'était un ordre de l'autorité militaire d'avoir à rejoindre mon régiment, à Magdebourg, où je devais être rendu le 27 juillet au soir à six heures.

      Bien que le papier affichât à l'angle cette recommandation: «Strictement secret», je le tendis, comme je le devais, à mon père.

      Celui-ci, abandonnant son Berliner Tageblatt qui resta largement étalé sur ses genoux, le prit, l'examina, le lut et le relut, puis, après avoir longuement réfléchi, tandis qu'un ample pli bridait son front, prononça ce seul mot:

      – Mobilisation.

      – Ach was? s'écria ma mère en se retournant d'un bloc sur son tabouret à vis.

      Mes deux sœurs étaient debout, leur crochet à terre. Tout le monde s'exclamait, s'étonnait, s'agitait, tandis que je restais fort interdit de ma subite importance.

      – Ja wohl, c'est comme cela, expliquait solennellement mon père. Voilà notre Wilfrid rappelé sous les drapeaux. Pour moi, la chose est claire. Devant les complications de la situation internationale, notre gouvernement, se rangeant aux conseils de la prudence, commence à mobiliser l'armée allemande.

      – Est-ce qu'il va y avoir la guerre? questionna ma mère anxieusement.

      – Dieu et l'Empereur sont seuls au courant. Moi, je n'en sais rien.

      – Que dit le Berliner Tageblatt?

      – Le Berliner pense que les événements sont très graves, que l'Allemagne doit montrer qu'elle est vraiment l'Allemagne, sortir sa poudre sèche, tenir son poing haut dressé et empêcher ces taquins de Français et ces bandits de Russes de se moquer de nous.

      – Et il a raison, m'écriai-je, saisi d'une ardeur belliqueuse. Nous autres, Allemands, nous ne craignons que Dieu et nul autre.

      – Bien dit! ponctua mon père. Au reste, je ne pense pas que les choses aillent si loin; il suffit généralement de parler fort pour que cette vermine s'apaise aussitôt.

      – Dieu le veuille! fit ma mère qui tremblait déjà pour moi.

      Johann, le domestique, venait, sur ces entrefaites, d'ouvrir à deux battants la porte de la salle à manger et annonçait:

      – La table est couverte.

      Mais cela ne mit pas fin, on le conçoit, à cette intéressante conversation, qui se prolongea pendant tout le souper et dans la soirée qui suivit. Les petites truites de l'Ilse, produit de ma pêche du matin, les nouilles renflées à la crème, le rôti de porc à la compote d'airelles