Название | Mademoiselle de Bressier |
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Автор произведения | Delpit Albert |
Жанр | Зарубежная классика |
Серия | |
Издательство | Зарубежная классика |
Год выпуска | 0 |
isbn |
– C'est votre mari que vous cherchez?
– Oui, Monsieur.
– Vous ne l'avez pas trouvé à la prison; il n'est pas ici non plus. Vous pouvez espérer encore.
Espérer! Elle en était lasse. La vue de tous ces hommes, dont le visage suait la douleur, l'angoissait. Elle restait comme clouée sur le sol. Tout à coup, un jeune homme se leva, un garçon d'une vingtaine d'années. C'était un des blessés. Une baïonnette avait troué son épaule, et l'on voyait une large tache rouge à travers la toile qui enveloppait la plaie. Il paraissait souffrir beaucoup. Le visage blanc, les lèvres tuméfiées, les yeux brûlés de fièvre, il promenait sur les soldats ses regards chargés de haine. Soudain, il s'appuya contre une poutre et, faisant un geste de défi, il se mit à chanter un hymne féroce, au refrain hideux, qui suintait la haine et le sang:
La Commune, dans les batailles,
O drapeau rouge de Paris,
Rit des crapules de Versailles,
Enveloppée entre tes plis!
Que le feu flambe ou le sang coule,
Qu'importe à qui n'a feu ni lieu?
Vive la Commune! qui soûle
Ses braves b… de vin bleu!
Tous les prisonniers avaient tressailli. Un long murmure frissonnait dans les groupes. Un sergent se détacha de l'escouade, et s'approchant du chanteur:
– Te tairas-tu, blanc-bec?
Le «blanc-bec» sourit: il souffrait trop; il voulait que son martyre eût une fin. Alors, haussant la voix, avec un accent plus farouche encore:
Ta couleur, ô rouge bannière,
C'est la couleur du sang vermeil!
C'est celle du feu, quand t'éclaire
Un rayon d'or du grand soleil!
Quand le maudit Badinguet croûle,
Quand tout passe, roi, pape ou Dieu,
Vive la Commune qui soûle
Ses braves b… de vin bleu!
Tous les prisonniers étaient debout. Cette Marseillaise de la populace les enflammait. Le sergent prit le jeune homme par l'épaule et le secoua si violemment que le blessé jeta un cri de douleur.
– Tu joues un jeu à te faire casser la gueule! cria-t-il.
De nouveau le captif ne répliqua rien. Ses yeux hautains regardèrent encore le groupe remuant de ses compagnons de misère. On lisait sa pensée sur son visage résolu. Il ferait tout pour exaspérer ses gardiens. D'une voix ardente, où vibraient la rage et la fureur, il commença le troisième couplet:
Autour de toi, drapeau-symbole,
Nous irons tous au cabaret,
Danser bientôt
la carmagnole
Sur la carcasse à Foutriquet!
Malgré Vinoy, malgré la foule
Des roussins qu'il faut f… au feu,
Vive la Commune qui soûle
Ses braves b… de vin bleu!
Ce ne fut pas long. Le sous-officier fit signe à deux chasseurs et vint droit au jeune homme. On allait l'empoigner et le jeter au cachot. Il ne bougeait plus, et regardait son ennemi en face, d'un air qui voulait dire: «Enfin!» Il recula de deux pas, et violemment, il souffleta le sergent. Celui-ci tira son revolver et fit feu. Le jeune homme roula sur le sol, la cervelle éparse. Un long cri sortit de la foule des prisonniers, pendant que Françoise s'enfuyait, affolée.
Ah! elle comprenait maintenant que tout était bien fini pour Pierre! Lui aussi ne résisterait pas à cet âpre besoin de défier ses ennemis; lui aussi leur jetterait à la face un dernier anathème dans un cri de rage; lui aussi meurtrirait son gardien pour en être frappé; lui aussi roulerait sur le sol, la tête fracassée!
Françoise courait maintenant sur la route de Paris, fuyant droit devant elle, n'osant pas regarder en arrière, comme si un infernal démon l'eût poursuivie. Il lui semblait que les pâles légions du Désespoir chevauchaient à son côté, et qu'elle ne pourrait leur échapper jamais, jamais! Elle ne s'arrêta que lorsque ses forces furent à bout. Alors, elle s'assit sur le rebord du chemin, la poitrine oppressée, n'y voyant plus clair. Un voile de sang descendait devant ses yeux.
L'impérieux besoin de la mort dominait cette malheureuse. La mort! Elle n'avait même pas le droit de l'espérer. Elle se rappelait son Jacques, blessé, malade, qui l'attendait, qui ne pouvait point se passer d'elle; elle se rappelait cette parole suprême de Pierre Rosny: «S'il m'arrivait malheur, jure-moi que tu en ferais un homme!» Non, elle ne pouvait pas, elle ne devait pas mourir. Son devoir la condamnait à vivre. Si Pierre était tué, en effet, il fallait qu'elle accomplît le suprême désir de son mari. Il fallait qu'elle vécût pour lutter, pour travailler, pour faire du fils de l'ouvrier un artiste illustre. La mère se retrouvait vaillante et soutenait l'épouse désespérée. Sans cela, elle se serait couchée le long du fossé, pour attendre la mort. Mais ainsi que le marin qui, au milieu d'une nuit d'orage va devant lui les yeux fixés sur les étoiles, elle voyait reluire aussi son étoile, là-bas, bien loin: un enfant qui dormait dans son lit tout blanc. Elle voulut se mettre debout: elle ne pouvait pas. Ses jambes ne la soutenaient plus. Une grande maison, un château, se dressait devant elle. Elle y demanderait un secours, un morceau de pain. Elle essaya de traverser la route. Mais tout à fait épuisée, elle roula dans un saut de loup qui longeait un parc immense.
III
Les murs blancs du château que Françoise avait aperçu, avant de fermer les yeux, jaillissaient maintenant dans les gaietés frissonnantes et mouillées du réveil. Une matinée délicieuse commençait; une exquise matinée de printemps pleine de parfums et de chants d'oiseaux. Le soleil rieur et familier illuminait les allées et les taillis du parc. A la cime des arbres flottait encore un léger brouillard qui ressemblait à une gaze très fine, étendue sur les feuilles vertes.
– Ah! le beau temps, dit une voix claire. Dépêche-toi, Faustine. Mon Dieu! comme tu es paresseuse!
– Un peu de patience, Nelly.
Un superbe lévrier russe, au poil d'argent, aux yeux pleins de flammes, franchit d'un bond le large perron de pierre et se coucha aux pieds de Nelly qui se penchait pour le caresser.
– Ta maîtresse est en retard, Odin, reprit la jeune fille. Enfin, la voilà!
Odin tournait sa tête fine vers le château; quittant Nelly, il courut vers la nouvelle venue, bondissant autour d'elle, cherchant à deviner sa volonté, s'élançant au milieu des allées et s'arrêtant bientôt comme s'il craignait de n'être pas suivi. Les jeunes filles s'embrassèrent tendrement. Toutes deux étaient brunes, à peu près du même âge. Faustine de Bressier avait dix-sept ans: c'était l'aînée. Tout Paris a connu son père, le général de Bressier, le héros de Solférino, nimbé d'une gloire nouvelle, après sa campagne dans l'armée de Chanzy. Resté veuf de bonne heure avec deux enfants, un fils et une fille, il recueillait dans sa maison une parente éloignée, riche et de bonne naissance. Nelly Forestier et Faustine, les deux inséparables, avaient grandi ensemble, s'aimant comme des sœurs, de cette fraternité d'élection souvent plus durable et plus sûre que la fraternité selon la nature. On subit ses parents; le cœur choisit ses alliés. Nelly et Faustine entraient dans la vie, unies par ces liens solides que nouent les souvenirs d'une enfance commune. Elles se chérissaient d'une tendresse égale, mais différemment exprimée.
Nelly, volontaire, toujours gaie, avec des emportements et des jalousies d'enfant gâtée; Faustine sérieuse, d'une gravité douce et réfléchie; la première, nerveuse et ardente d'allures, la seconde, calme en apparence, mais froidement passionnée, avec des éclairs de mysticisme. Elles étaient également belles, et leurs beautés mêmes ne se ressemblaient pas. Nelly, souple et fine comme un cheval de race,