Mademoiselle de Bressier. Delpit Albert

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Название Mademoiselle de Bressier
Автор произведения Delpit Albert
Жанр Зарубежная классика
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Издательство Зарубежная классика
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établie. Pour l'aider j'avais introduit un drain sur le devant et à la partie postérieure. La fièvre a duré jusqu'au 5 ou 6 février. La suppuration, assez faible au début et de nature douteuse, se modifia. La cicatrisation du fond de la blessure s'effectuait normalement. La plaie du dos guérit la première, vers le 20 février. Celle de la poitrine suppura jusqu'au commencement de mars. Quelques jours après, je remarquai des symptômes d'irritation pleurétique que j'attribuai au traumatisme. J'ai dû combattre cette affection qui menaçait de tourner à la tuberculose. C'est pourquoi j'ai gardé Jacques au lit si longtemps. Aujourd'hui, je voudrais qu'il se levât, qu'il allât à la campagne, pour respirer de l'air et du soleil. Vous seul déciderez. Enfin, je désirais surtout que vous connussiez mon ami Jacques.

      M. Grandier écoutait attentivement. Il examinait le blessé avec soin.

      – Mon avis est bien simple, mon cher Borel. Vous avez soigné ce garçon-là comme si vous étiez Hippocrate lui-même. Votre ami Jacques est devenu aussi le mien. La semaine prochaine, il pourra commencer à se lever; un tout petit peu d'abord, pour s'habituer à l'air, à l'exercice. Dans quinze jours, je l'emmènerai à la campagne. Vous voulez bien me confier votre fils, monsieur Rosny? Et vous aussi, Madame?

      Pierre, dans sa reconnaissance, eût embrassé cet homme, qui faisait tant de bien avec si peu de phrases. Françoise ne disait rien: elle pleurait. Jacques et M. Borel se regardaient en souriant; et M. Grandier sentait son cœur battre délicieusement en présence de la joie qu'il apportait dans cet humble logis d'ouvriers. Rien n'est plus grand que le génie uni à la bonté.

      – Maintenant, poursuivit M. Grandier, après avoir vu la plaie du blessé, je veux voir les essais de l'artiste. Car il paraît que vous êtes ambitieux, mon garçon. Il ne vous suffit pas d'imiter le jeune Bara: vous voulez aussi recommencer Michel-Ange!

      – Oh! Monsieur! murmura Jacques, souriant de plaisir.

      M. Grandier suivait Françoise, qui le conduisait dans une petite pièce, attenante à la chambre à coucher. Jacques s'en servait en guise d'atelier. Là, gisaient sur le carreau rouge des blocs de glaise séchés, des bas-reliefs non finis, des médaillons commencés: ébauches presque informes, mais pleines de vie et de mouvement. L'illustre médecin s'étonnait à présent devant les essais de l'artiste, comme tout à l'heure devant l'héroïsme de l'enfant. Le savant sentait en cette argile grossière les beautés mystérieuses du marbre qui palpiterait un jour sous la main d'un ouvrier sublime. Il voyait étinceler la flamme du génie; cette flamme inconnue qui brille doucement, avant que le labeur, l'étude, la réflexion la fassent rayonner dans tout son éclat.

      – Travaillez, mon ami, dit-il en rentrant dans la chambre, travaillez, et vous serez un grand artiste; je vous le promets. Embrassez-moi!

      Jacques souriait plus ouvertement. Son visage blanc s'illuminait. Il lui était doux qu'on louât son courage: plus doux encore qu'on louât ses œuvres. Après l'avoir embrassé, M. Grandier ajouta:

      – Je viendrai vous revoir. Mais, auparavant, vous aurez eu de mes nouvelles.

      – Quelles nouvelles? demandait Jacques, curieux.

      – C'est mon secret! Au revoir, monsieur Rosny; Madame, je vous présente mes respects. Vous sortez avec moi, Borel: j'ai besoin de vous parler.

      Et arrivés sur le palier humide:

      – Ce Rosny est un brave homme. Empêchez-le donc de se compromettre davantage dans la Commune. Vous devez avoir de l'influence sur lui?

      – Aucune. Je ne pourrais pas plus empêcher le père de se battre contre nos amis de Versailles, qu'on n'a pu empêcher le fils de se battre contre nos ennemis les Allemands. Une famille d'entêtés!

      – Ce petit Jacques est adorable…

      – N'est-ce pas? Aussi j'ai pensé que vous en parleriez au Président… Pardon, à votre grand ami.

      – Je songeais à cela, tout à l'heure. Justement, je dîne à Versailles ce soir. Je raconterai l'histoire, et je réponds du succès. Au revoir, mon cher Borel. Je vous remercie de m'avoir amené ici.

      – Au revoir, mon cher maître.

      L'illustre médecin descendait l'escalier, tout rêveur. Il pensait à ces caprices du destin qui va chercher un fils d'ouvrier, dans un quartier obscur, pour faire peut-être de lui un glorieux artiste. Cependant, M. Borel rentrait dans la chambre.

      – Eh bien, vous êtes contents tous les trois?

      – Oh! oui, bien contents, s'écria Jacques.

      Françoise serrait silencieusement la main du docteur.

      – Alors, je peux m'en aller tranquille? demanda Pierre.

      – Que le diable vous emporte!

      – Docteur…

      Le médecin haussait les épaules.

      – Mon maître me disait tout à l'heure de vous faire de la morale. A quoi bon? On ne fait pas de la morale aux mulets! Je vous ai déjà répété vingt fois la même antienne. C'est enrageant de voir un brave homme tel que vous risquer sa peau dans cette aventure sanglante. J'ai mon franc parler, moi, vous savez! Comme si vous ne feriez pas mieux de lâcher tous ces gens-là… Il vous en cuira, Rosny, c'est moi qui vous le prédis. Si vous échappez à la bataille, vous n'échapperez pas à la défaite. Et ce sera terrible, allez! Oh! je parle dans le désert, je sais bien. Je vous connais tous les trois: vous écoutez poliment les conseils qu'on vous donne, et vous n'en faites qu'à votre tête.

      – Mais le devoir, docteur…

      – Le devoir, c'est de travailler pour votre femme, et de soigner votre enfant. Il ne m'écoute plus. Ah! l'entêté! A demain, mon ami Jacques.

      – A demain, monsieur Borel.

      Pierre accompagna le médecin sur le palier. Il rentrait bientôt. Le mari et la femme se retrouvaient seuls. Françoise restait toute songeuse. Les paroles du docteur sonnaient lugubrement à son oreille. Elle prit un livre sur la cheminée et le tendit à Jacques.

      – Tiens, mon chéri. C'est le livre que Mlle Aurélie a apporté pour toi, pendant que tu dormais. Je vais cinq minutes dans ma chambre avec ton père.

      – Merci, maman.

      Et quand Françoise eut emmené son mari dans la pièce voisine.

      – M. Borel a peut-être raison, dit-elle de sa voix brève et nerveuse. Pourquoi retournes-tu te battre?

      – Françoise…

      – Oh! je n'essaierai pas de t'en empêcher. Tu prétends que c'est ton devoir. Et tu sais, je suis une vaillante. Toutes ces craintes du docteur, il y a longtemps que je les partage. Si ce n'était encore que les balles et les obus, eh bien, on leur échappe. Mais après!..

      Elle frissonnait. L'énergie de son regard s'éteignait lentement sous l'effort d'une pensée cachée.

      – Calme-toi, mon amie.

      – Oh! je suis calme. Mais il a raison, vois-tu. Chez eux comme chez nous, on est féroce. Ce n'est plus la guerre, tout ça. Il paraît qu'à Versailles on tue les prisonniers. Et nous en faisons autant. Oh! pas toi! Tu es bon, toi; c'est tout naturel, puisque tu es brave. Mais si on te fusillait!

      Pierre la prenait dans ses bras et l'étreignait longuement. Maintenant, il riait, pour chasser les idées funèbres qui hantaient le cerveau de Françoise.

      – Où diable as-tu donc la tête! reprit-il gaiement. Voyons, voyons, est-ce que tu vas t'effrayer comme une femmelette? D'abord, on ne tue pas les prisonniers. Ainsi, ce n'est pas la peine de t'épouvanter, comme cela, sans raison. C'est appeler la mauvaise chance que de tant la redouter. Est-ce que je n'ai pas eu du bonheur, jusqu'à présent? J'ai échappé à tout! Pourquoi n'en serait-il pas toujours ainsi? Nous retrouverons le bon temps, va, et notre vie heureuse d'autrefois. On ne me tuera pas, on ne me fusillera pas. Au contraire, je reviendrai bien vivant, et nous irons nous installer tous les trois dans un grand quartier, plein de soleil.

      D'habitude, quand Pierre lui parlait ainsi, Françoise