Название | Mademoiselle de Bressier |
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Автор произведения | Delpit Albert |
Жанр | Зарубежная классика |
Серия | |
Издательство | Зарубежная классика |
Год выпуска | 0 |
isbn |
– Décidément, tu n'es pas plus gaie ce matin qu'hier soir! s'écria Nelly après un silence.
– Comment veux-tu que je sois gaie? répliqua doucement Faustine. Depuis deux jours, je n'ai pas eu de nouvelles de mon père et de mon frère. La division du général est à Courbevoie; il ne peut pas quitter son commandement, et je trouve naturel qu'il ne vienne pas. Mais Étienne est sous Versailles, son régiment n'a pas donné tous ces jours-ci. Vraiment, en un temps de galop, il pouvait bien pousser jusqu'ici.
Nelly haussa les épaules et se mettant à rire:
– Tu es incroyable! Alors tu t'imagines qu'un beau capitaine de hussards comme Étienne se dérangera pour voir deux petites filles… Eh bien, qu'est-ce que tu as, Odin?
Le chien s'arrêtait court, l'oreille droite; puis il bondissait, pour s'arrêter bientôt, et japper bruyamment. L'allée où se promenaient les deux amies tournait sur elle-même et s'enfonçait sous de larges platanes, dans l'épaisseur du parc. Odin s'y précipita, tête baissée, comme s'il eût cherché à retrouver une piste.
– Regarde-le donc, reprit Nelly.
Mais Faustine suivait son rêve intérieur, songeant à ses chers absents, peu soucieuse de s'occuper du lévrier russe. Ils ne finiraient donc jamais, ces longs jours d'inquiétude et d'angoisses? Pendant quatre mois elle avait tremblé chaque jour pour son père, qui se battait sur la Loire, pour son frère prisonnier à Hambourg. Elle les revoyait enfin, sains et saufs, après l'armistice, et voilà que recommençait la même vie d'épouvantes quotidiennes! La guerre civile, après la guerre étrangère, renouvelait les tourments passés.
– A propos, as-tu trouvé le sujet de ton tableau? demanda Nelly.
Faustine eut un geste de lassitude découragée.
– A quoi bon? murmura-t-elle.
– Comment! à quoi bon? Je ne l'entends pas ainsi. Voilà cinq jours que tu n'as travaillé. Je ne veux pas que ta paresse continue. Tu te mettras à la besogne aujourd'hui. Oh! fais cela pour moi, ma petite Faustine!
Au lieu de répondre à son amie, la jeune fille s'arrêta brusquement.
– Qu'as-tu donc? demanda Nelly étonnée.
– N'as-tu pas entendu?
– Quoi?
– Un gémissement. Peut-être me suis-je trompée. Et cependant, il me semblait… Non, je ne m'abusais pas. Vois Odin.
En effet, le chien se tenait immobile, la tête en avant, comme s'il fût tombé subitement en arrêt.
– Il y a quelque chose, reprit Faustine. Cherche, Odin, cherche!
Le chien gratta le sol, hésitant: puis il enfila un petit sentier qui s'enfonçait dans l'épaisseur verte des taillis. Sa maîtresse le suivait; et Nelly venait la dernière, riant et se dépitant contre les branches qui s'accrochaient à sa jupe ou se faisaient enrouler par ses cheveux.
– Tu es folle, mon amie! Quelle idée de te prêter aux caprices de cette bête! Tu vois bien que ce sentier-là ne mène nulle part, et qu'il aboutit à l'un des sauts de loup qui entourent le château.
Au bout de cinq minutes, Odin s'arrêta devant le fossé qui fermait le parc. De nouveau il cherchait, il quêtait, le poil hérissé. Enfin, brusquement, il se jeta dans le fossé, poussant un aboiement prolongé. Les deux jeunes filles eurent un cri d'effroi: elles venaient d'apercevoir le corps de Françoise qui gisait inanimé entre les hautes herbes. Mais Faustine ne s'épeurait pas longtemps.
– La maison de garde est à côté, dit-elle. Va chercher Marius, ma bonne Nelly. Il nous aidera à transporter cette pauvre femme au château.
– Comment tu… tu vas rester… seule? balbutia Nelly.
– Tu es une enfant. De quoi veux-tu que j'aie peur?
Nelly s'éloignait, tournant timidement la tête comme si elle eût craint de perdre son amie des yeux; et Faustine, descendant le long du fossé, s'approchait de Françoise qui demeurait immobile.
– Elle est bien pâle! murmura-t-elle.
Elle prit la main de l'inconnue: le pouls battait à peine. Doucement, Faustine essayait de soulever la tête de la malade, et l'appuyait sur ses genoux. Françoise soupira profondément, ouvrit un moment les yeux, et les referma comme aveuglée par ce grand soleil qui succédait pour elle aux noires terreurs de la nuit. Que faire? La jeune fille attendait avec angoisse le retour de Nelly. Pourvu qu'elle eût rencontré Marius! A elles deux, elles n'exécuteraient qu'une médiocre besogne, et l'on ne pouvait pas laisser là, abandonnée et sans secours, cette malheureuse créature, vaincue sans doute par le besoin et la fatigue. Nelly avait trouvé Marius. Ce solide gaillard souleva Françoise dans ses bras, sans effort, et comme Faustine lui demandait s'il désirait qu'on l'aidât, il répondit par un sourire orgueilleux. Dix minutes après, la femme de Pierre revenait à elle, étendue sur une chaise longue dans le salon du château. Elle ne souffrait pas, elle ne se plaignait pas. Ses yeux étonnés regardaient autour d'elle. Lentement, son cerveau affaibli reconstruisait les événements qui s'étaient succédé depuis deux jours. Elle revoyait la chambre de la rue Jean-Baussire, où Jacques restait seul; puis son départ lugubre et ce rude chemin de croix jusqu'à Versailles; enfin son retour, quand épuisée, n'en pouvant plus, elle regagnait Paris désespérée. Et avec le souvenir, renaissait aussi la souffrance. Pierre! que devenait Pierre! Non, elle ne voulait pas s'oublier chez les êtres généreux qui la recueillaient. Il fallait qu'elle remplît son devoir jusqu'au bout.
– Comment vous sentez-vous, Madame? lui demanda doucement Faustine, qui se penchait vers elle, épiant le retour de la vie sur ce visage blême.
– Mieux… je vous remercie, Mademoiselle. Vous êtes bonne. Tenez, voyez, je peux me remettre en route…
– Vous voulez?..
– Il le faut.
Elle essayait de se tenir debout: mais son énergie la trahissait. Est-ce que la fatigue serait plus forte que sa volonté?
– Pourquoi repartir déjà? reprit Mlle de Bressier. Attendez au moins que vos forces soient revenues. Craignez-vous que votre absence prolongée n'inquiète quelqu'un des vôtres? Il m'est aisé d'écrire pour donner de vos nouvelles.
– Je vous remercie, Mademoiselle. Mais mon fils est malade. Il est seul. C'est moi qui le soigne. J'ai hâte d'être auprès de lui, vous comprenez.
– Une maladie… grave? ajouta la jeune fille, après une courte hésitation, comme si elle craignait d'aviver une douleur qu'elle sentait profonde.
– Une blessure.
– Sérieuse?
– Oui. Il l'a reçue à Montretout. Oh! c'est un brave enfant… A seize ans, il s'est engagé comme les autres.
– Voilà qui vous fera du bien, Madame, s'écria Nelly gaiement.
Elle rentrait dans le salon, précédant le valet de chambre qui apportait une petite table toute servie. Françoise, confuse de tant de soins, essayait de se débattre et de refuser. Avec sa brusquerie d'enfant gâtée, Nelly la força d'obéir. Elle but lentement quelques gorgées de vin, et mangea non sans appétit: les couleurs remontaient à son visage pâle, et ses yeux brillaient d'un éclat plus vif. Mais aux lèvres douloureusement contractées, au pli qui se creusait sur son front blanc, les amies comprenaient que l'étrangère taisait son secret. Ce n'était pas seulement une pauvre femme atteinte d'un mal physique, mais une victime torturée par une souffrance cachée. Françoise était mise simplement, avec l'élégance innée des Parisiennes qui, en dépit du rang qu'elles occupent, ont toujours