Название | Yvonne |
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Автор произведения | Delpit Édouard |
Жанр | Зарубежная классика |
Серия | |
Издательство | Зарубежная классика |
Год выпуска | 0 |
isbn |
– Ma pauvre sœur! ma pauvre petite orpheline.
Elle eut un brisement de la voix:
– Et toi, dit-elle, deux fois orphelin, maintenant!
Madame Laffont restait, en réalité, plus absolue maîtresse qu'elle ne l'imagina d'abord, son mari n'ayant pas laissé de testament. Le malheureux homme ne prévoyait guère une fin si prompte. Or, non seulement l'introduction de Robert chez eux n'avait jamais été du goût de madame Laffont, mais sa rancune se doublait de ses déceptions maternelles: Robert était plus beau et plus travailleur que Gaston. Elle eut quelques entrevues, aux Mérilles, avec les Benoît; puis, un beau matin, elle annonça qu'elle emmenait les garçons à Paris.
– Pourquoi faire? demanda Gaston.
– Pour que tu y achèves tes études.
– Avec Robert?
– Tu verras bien.
Le lendemain, les trois voyageurs quittaient la Riveraine. Blanche embrassa tristement ses frères et resta sur la route, leur envoyant des baisers. Tant qu'il put la voir, Robert demeura penché à la portière. Quand la silhouette se fut effacée dans le lointain, quand le dernier morceau de terre de la Riveraine eut disparu, il se blottit en son coin, désolé mais résolu devant l'incertain où madame Laffont le conduisait d'un air de victoire.
II
– Madame la baronne reçoit-elle? demanda un valet de chambre debout au seuil du boudoir.
Il n'obtint aucune réponse, fit deux pas vers une chaise longue où une femme était étendue, et répéta: «Madame la baronne…» Il n'eut pas le temps d'achever, on l'interrompit brusquement:
– J'ai commandé de me laisser tranquille.
– La personne insiste tellement…
– Qui?
– Une étrangère.
– Dites que ce n'est pas mon heure.
Le valet de chambre s'éclipsa, suivi d'un bâillement et du bruit d'une lettre froissée par de petites mains nerveuses.
La baronne Léonie de Randières en froissait souvent de pareilles depuis quelque temps; jamais, peut-être, elle n'y mit cette impatience. Elle était en un de ces jours noirs où l'on n'a plus la force de se mentir à soi-même, surtout quand personne ne pousse au mensonge. La lettre venait du dernier homme qu'elle eût distingué, un contre-amiral, en croisière aux Indes. L'enjouement du style, la rondeur, l'absence de toute sentimentalité témoignaient jusqu'à l'évidence que désormais, pour l'auteur, la destinataire entrait dans le cadre des amies respectables. Plus de traces du piédestal où Léonie éprouvait tant d'orgueil à se laisser mettre et d'où elle éprouvait encore plus de plaisir à se laisser choir.
Au dire des méchantes langues, ç'avait été une variation de socles continuelle. Peut-être se vengeait-on par là de sa chance d'antan, lorsque, jolie certes, mais pauvre, elle épousait un vieillard millionnaire. Quoi qu'il en soit, les apparences sauves, sa tenue extérieure d'une correction toujours parfaite, elle gardait ses entrées dans les salons les plus collet monté où ses alliances, son nom et la fortune héritée du mari permettaient de faire grande figure. Par malheur, une ombre s'étendait sur la grande figure, l'ombre des soleils couchants, qui gagne de proche en proche et avec une telle rapidité! C'en était effrayant. Depuis deux ou trois hivers, elle essayait bien encore de nourrir quelque illusion, le contre-amiral avait la galanterie de l'y aider. Lui parti, l'illusion tomba. Des lassitudes, des énervements, jusqu'aux lettres indiennes plaidaient contre l'éternelle jeunesse. Il fallait abdiquer, son règne était clos. Alors que lui restait-il? Rien dans le présent, rien dans l'avenir. Quant au passé… Certaines cendres ne se refroidissent jamais, sans quoi l'enfer lui-même finirait par être habitable. Léonie, en veine d'examen de conscience, se rembrunit de plus en plus. Quelque chose de son passé la brûlait, ainsi qu'un fer rouge: un amour extravagant, de l'adoration et de la fureur, tout au début de son mariage, un gentilhomme breton, presque aussi jeune qu'elle… Comme elle l'avait aimé! Comme il l'avait trahie! Comme elle s'était vengée! Oui, cruellement. En éprouverait-elle du remords? Pourquoi? Elle rendait le mal pour le mal. A vie brisée, vie empoisonnée. Quittes! Eh! non, en dépit d'elle-même, elle ne s'absolvait plus. Si lâche qu'eût été la trahison, sa vengeance était impardonnable. Elle s'étourdissait jusqu'ici, noyée dans le tourbillon de tous les plaisirs, cherchant et trouvant l'oubli dans l'émotion de toutes les heures. Mais seule, avec ses songeries…
Le valet de chambre reparut.
– Cette dame refuse de s'en aller.
Léonie prit la carte.
– Madame Laffont. Une quêteuse sans doute. Faites entrer.
Du temps qu'elle n'était pas la maîtresse absolue, madame Laffont avait la spécialité de remplir avec tapage les volontés d'autrui; dans l'exécution de ses propres desseins, elle apportait plus de calme. Elle s'avança fort correctement vers la baronne de Randières, la salua d'un air tranquille et, s'effaçant pour désigner Robert:
– Je vous amène, dit-elle, l'enfant que vous avez confié à madame Benoît, aux Mérilles.
– Mon Dieu!
Les pupilles dilatées, les bras en avant, Léonie recula, titubant, jusqu'à la chaise longue où elle tomba écrasée. Robert ne la quittait pas des yeux. Elle se cacha le visage, incapable de supporter l'éclair de ces prunelles bleues qui la transperçait, et balbutia:
– Je le croyais mort.
Madame Laffont fut assez satisfaite de l'effet produit; on ne niait pas, il fallait profiter de l'effarement.
– Il y a sept ans que Robert n'est plus aux Mérilles. Vous l'ignoriez, je vois. Mon mari l'avait recueilli. Les Benoît n'ont pu s'y opposer, M. Laffont ayant découvert certains détails très graves qui les mettaient à sa merci.
Léonie se dressa, comme mue par un ressort. On savait l'origine de l'enfant?
– Non, reprit la veuve impassible. C'est le seul point qu'il ne lui ait pas été donné d'éclaircir. Mais il connaissait le subterfuge au moyen duquel on a fourni à Robert un état civil qui n'est pas le sien.
– Passons, passons. Que désirez-vous?
– Il l'a donc recueilli, instruit, élevé avec notre fils. Par malheur, il est mort. Mes modestes ressources ne me permettent pas de faire profiter un étranger du patrimoine de mes enfants. J'ai voulu, néanmoins, remplir jusqu'au bout mon devoir envers lui. C'est à vous que je devais le ramener, je vous le laisse. Et, s'adressant au jeune homme, immobile en son coin: Adieu, Robert, dit-elle.
Après sept ans d'existence commune, Robert s'était attaché à madame Laffont, la femme de son bienfaiteur, la mère de Blanche et de Gaston. Malgré l'antipathie jamais dissimulée, il comptait du moins sur une étreinte affectueuse, un mot de revoir, et, non contente de le bannir du foyer familial, elle le quittait presque en ennemie. C'était lui déchirer deux fois le cœur, comme si se brisait le dernier lien par où il tînt encore à la Riveraine. Rien du cher passé ne subsisterait plus derrière elle.
– Je vous en prie, supplia-t-il, ne m'abandonnez pas tout de suite.
Elle fit un petit signe de la tête, répéta tranquillement: «Adieu!» salua madame de Randières en vieille connaissance et sortit.
Pour la première fois, Robert eut une révolte. La conduite de madame Laffont l'ulcérait; l'attitude de l'inconnue, le mystère qui planait entre eux le martyrisaient. Évidemment cette femme lui tenait de près, puisqu'elle disposait de sa vie quand il était enfant. Au sort qu'elle lui faisait à cette époque, il pouvait calculer son degré d'affection. C'était en de pareilles mains qu'on le remettait. Peut-être le croyait-elle complice d'une démarche où saignaient toutes ses fiertés. Il éprouva le besoin de protester,