L'Académie des sciences et les académiciens de 1666 à 1793. Joseph Bertrand

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Название L'Académie des sciences et les académiciens de 1666 à 1793
Автор произведения Joseph Bertrand
Жанр Зарубежная классика
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Издательство Зарубежная классика
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somme totale allouée aux vingt pensionnaires de l’Académie avait été fixée à 30,000 livres, mais la répartition en était irrégulière et semblait souvent injuste. La lettre suivante, écrite en 1716 et signée par quatorze pensionnaires sur dix-huit, donne à ce sujet de curieux renseignements:

      «Convaincus, comme nous sommes, que vous n’avez rien plus à cœur que le bien de l’Académie, nous vous suplions avec une vraye confiance de vouloir bien représenter à S. A. R., notre auguste protecteur, que, dans le renouvellement de l’Académie, il y eut un fond de 30,000 livres destiné pour les pensions; que ce fond ne put être alors distribué également, parce que la pension considérable qu’avait feu M. Cassini en faisait partie, mais qu’on fit espérer et qu’on a toujours fait espérer depuis, qu’après la mort de M. Cassini chaque académicien aurait 1,500 livres; cependant cette mort étant arrivée, il plut à M. de Pontchartrain de prendre un autre arrengement. Des 30,000 livres, il n’en employa que 20,000 en pensions fixes et distribua les 10,000 livres restantes sous le nom de gratifications pour le travail de l’année. Nous ne vous ferons point remarquer, monsieur, que ces gratifications ne furent rien moins que données proportionnellement au travail; vous scavez le découragement où cela jetta la plus grande partie de la Compagnie. Mais nous vous supplions instamment de vouloir bien représenter à S. A. R.: 1º que le fonds de 30,000 livres a toujours été regardé comme affecté aux pensions de l’Académie pour être distribué également; 2º que 1,500 livres de rente ne suffisent pas, à Paris, pour mettre un homme en état de se livrer entièrement aux sciences; que leurs progrès demanderaient que les pensions fussent plus considérables et plus sûres, et que les réduire à 1,000 livres, c’est mettre les académiciens hors d’état de travailler; 3º que l’Académie des inscriptions a été traitée bien plus favorablement. Les pensions y sont sur le pied de 2,000 livres, puisqu’elle a 20,000 livres pour dix pensionnaires; 4º que la libéralité de S. A. R. peut bien s’étendre jusqu’à donner des gratifications à ceux qui les auront méritées par leur travail, mais il ne semble pas qu’elles doivent être prises sur ce qui est destiné pour la subsistance des académiciens et qui y peut à peine suffire. Comme vous vous intéressez autant à nos besoins que nous-mêmes, nous osons nous promettre que vous voudrez bien donner encore plus de force à nos raisons en les représentant.»

      Cette lettre, écrite vers la fin de 1716, est destinée évidemment à être mise sous les yeux du régent. On a écrit en marge: «S. A. R. loue le zèle des académiciens et entre assez dans leur pensée. Mais, comme elle ne veut rien diminuer à ce que chaqu’un a touché jusqu’ici, on ne saurait songer au changement proposé qu’en donnant des gratifications séparées, tant pour indemniser les quatre pensionnaires (Ces quatre pensionnaires étaient: J. Cassini, Maraldi, deLahire et Duverney, qui seuls n’ont pas signé la requête.) qui perdraient suivant ce nouveau projet, que pour récompenser ceux qui se distingueront par leur travail. Pour cela il faudrait, outre le fonds ordinaire de 30,000 livres, en destiner un nouveau de 6,000 livres au moins: c’est ce que S. A. R. ne croit pas devoir faire dans le temps qu’il diminue toutes les pensions, tant de la cour que des officiers, et le prince remet donc cette libéralité à l’estat qui sera expédié pour l’année prochaine.»

      Le régent en effet augmenta de 6,000 livres l’allocation destinée aux pensionnaires et crut avoir dégagé sa parole; mais les abus continuèrent ou se reproduisirent, car cinquante ans plus tard une décision de Malesherbes, approuvée par le roi, fut jugée nécessaire pour diminuer l’inégalité en la réglementant. «Sur le compte que j’ai, dit-il, rendu au roy du mémoire qu’on m’a remis, par lequel l’Académie demande unanimement qu’il soit établi une nouvelle forme de distribution des pensions qui lui sont accordées, et où elle expose, à ce sujet, le plan qu’elle désirerait qu’on suivît, Sa Majesté a bien voulu approuver le projet de distribution et agréer les vues qui ont engagé l’Académie à le proposer. Le roy a décidé en conséquence que chacune des six classes de l’Académie jouirait, à l’avenir, de la somme fixe de 6,000 livres, qui sera partagée entre les trois pensionnaires attachés à chacune d’elles, et que, par une suite de l’exécution complète de ce projet, il sera accordé 3,000 livres au premier pensionnaire, 1,800 livres au second et 1,200 livres au troisième.»

      Indépendamment des pensionnaires, fort peu rétribués comme on voit, l’Académie comptait vingt associés et adjoints, qui n’avaient aucune part à ses revenus et que les travaux les plus excellents n’élevaient que bien lentement dans la hiérarchie académique. D’Alembert, nommé adjoint en 1742, ne devint pensionnaire que vingt-trois ans après, et Lacaille, qui fut pendant dix ans une des gloires de l’Académie, mourut avec le titre d’associé.

      L’auteur d’un mémoire conservé dans les archives semble élever la voix au nom de l’Académie tout entière pour signaler en termes formels la situation difficile et la misère même d’un grand nombre d’académiciens. Des corrections faites de la main de Réaumur permettent de lui attribuer la rédaction de cet écrit, qui est sans signature. Après avoir vanté l’utilité des sciences et dit quel avantage elles procurent à l’État, l’auteur attire l’attention sur la situation précaire de l’Académie des sciences.

      «L’Académie, dit-il, dans l’état où elle est aujourd’huy, fait beaucoup d’honneur au royaume. Les étrangers en ont une grande idée, aussy a-t-elle découvert nombre de choses curieuses et utiles. Mais nous osons avouer qu’il s’en faut bien que le royaume n’ayt retiré de cette compagnie tous les avantages qu’il aurait pu en tirer. Nous osons dire plus, c’est que cette Académie, en si grande réputation parmy les étrangers, semble près de sa chute, si elle n’est soutenue par quelque grand changement fait en sa faveur, pareil à ceux qui ont été faits pour d’autres parties de l’État. On a cherché à ranimer sa langueur par de nouveaux règlements dont elle avoit besoin, mais la vraye source du mal n’étoit pas seullement dans le deffaut des règlements. Il ne la faut chercher, la vraye source du mal, que dans la propre constitution de l’Académie; une grande moitié de ceux qui la composent ne peuvent prendre les occupations académiques que comme des amusements; ils ont des professions qui les obligent de donner leurs soins à toutte autre chose que ce qui fait l’objet de l’Académie. Les uns sont obligés d’être médecins, les autres chirurgiens, les autres apoticaires. Quels ouvrages peut-on attendre de sçavants contraints à passer sur le pavé de Paris des jours qu’ils devraient employer dans leurs cabinets? Un homme qui arrive chez soy las et distrait est-il en état de travailler à ce qui le demande tout entier? Employera-t-il les nuits à des expériences? Malgré pourtant cette diversion, plusieurs académiciens de ces classes ont donné des choses excellentes, mais qui doivent nous faire regretter celles que nous eussions eues, s’il leur eust été permis de se livrer aux recherches où leur inclination les portoit. De l’autre moitié des académiciens, une partie est obligée à enseigner les mathématiques pour subsister. Enfin, il en reste très-peu qui soient en état de faire des expériences et de vivre avec cette aysance qui met l’esprit en repos et en état de se livrer à des recherches utilles. Entre quarante-huit académiciens destinés au travail, l’Académie ne sauroit compter qu’un petit nombre de travailleurs. Le seul remède à apporter seroit d’obliger tous les académiciens, ou au moins le plus grand nombre, à n’être qu’académiciens, de les mettre en état de n’avoir d’autres occupations que celles qui ont un rapport direct aux objets de l’Académie. Une autre cause de la décadence de l’Académie, qui tient à celle dont nous venons de parler, c’est qu’il ne se forme plus de sujets; on en fait l’expérience toutes les fois qu’on a des places vaccantes à remplir. Il faut être né avec des talents rares pour réussir dans les sciences, et, parmy ceux qui naissent avec ces talents, combien y en a-t-il qui en puissent profiter? Un jeune homme qui veut suivre ses heureuses dispositions se trouve arresté par les clameurs de toutte sa famille et de tous ses amis; on ne veut point consentir qu’il s’abandonne à des recherches qui peut-estre luy donneroient quelque gloire en le conduisant à mourir de faim. L’Académie fournit des exemples de cette nature: un de ses membres, habile anatomiste, mourut il y a quelques années à l’Hostel-Dieu. Si l’Académie a pu, pendant quelque temps, se fournir de sujets, elle le devoit à la protection que l’illustre M. Colbert avoit donnée aux sciences;