Название | Les Oeuvres Complètes de Proust, Marcel |
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Автор произведения | Marcel Proust |
Жанр | Языкознание |
Серия | |
Издательство | Языкознание |
Год выпуска | 0 |
isbn | 4064066373511 |
– Mais, Madame, il faut pouvoir. Probablement vous n’êtes pas nerveuse. Moi quand je vois la femme du ministre de la Guerre faire des grimaces, immédiatement je me mets à l’imiter. C’est terrible d’avoir un tempérament comme ça.
– Ah! oui, dit Mme Cottard, j’ai entendu dire qu’elle avait des tics, mon mari connaît aussi quelqu’un de très haut placé et naturellement, quand ces Messieurs causent entre eux…
– Mais tenez, Madame, c’est encore comme le chef du Protocole qui est bossu, c’est réglé, il n’est pas depuis cinq minutes chez moi que je vais toucher sa bosse. Mon mari dit que je le ferai révoquer. Eh bien! zut pour le ministère! Oui, zut pour le ministère! je voulais faire mettre ça comme devise sur mon papier à lettres. Je suis sûre que je vous scandalise parce que vous êtes bonne, moi j’avoue que rien ne m’amuse comme les petites méchancetés. Sans cela la vie serait bien monotone.
Et elle continuait à parler tout le temps du ministère comme si ç’avait été l’Olympe. Pour changer la conversation Mme Swann se tournait vers Mme Cottard:
– Mais vous me semblez bien belle? Redfern fecit?
– Non, vous savez que je suis une fervente de Raudnitz. Du reste c’est un retapage.
– Eh bien! cela a un chic!
– Combien croyez-vous?… Non, changez le premier chiffre.
– Comment, mais c’est pour rien, c’est donné. On m’avait dit trois fois autant.
– Voilà comme on écrit l’Histoire, concluait la femme du docteur. Et montrant à Mme Swann un tour de cou dont celle-ci lui avait fait présent:
– Regardez, Odette. Vous reconnaissez?
Dans l’entrebâillement d’une tenture une tête se montrait cérémonieusement déférente, feignant par plaisanterie la peur de déranger: c’était Swann. «Odette, le prince d’Agrigente qui est avec moi dans mon cabinet demande s’il pourrait venir vous présenter ses hommages. Que dois-je aller lui répondre? – Mais que je serai enchantée», disait Odette avec satisfaction sans se départir d’un calme qui lui était d’autant plus facile qu’elle avait toujours, même comme cocotte, reçu des hommes élégants. Swann partait transmettre l’autorisation et, accompagné du prince, il revenait auprès de sa femme à moins que dans l’intervalle ne fût entrée Mme Verdurin. Quand il avait épousé Odette, il lui avait demandé de ne plus fréquenter le petit clan (il avait pour cela bien des raisons et, s’il n’en avait pas eu, l’eût fait tout de même par obéissance à une loi d’ingratitude qui ne souffre pas d’exception et qui fait ressortir l’imprévoyance de tous les entremetteurs ou leur désintéressement). Il avait seulement permis qu’Odette échangeât avec Mme Verdurin deux visites par an, ce qui semblait encore excessif à certains fidèles indignés de l’injure faite à la Patronne qui avait pendant tant d’années traité Odette et même Swann comme les enfants chéris de la maison. Car s’il contenait des faux frères qui lâchaient certains soirs pour se rendre sans le dire à une invitation d’Odette, prêts, dans le cas où ils seraient découverts, à s’excuser sur la curiosité de rencontrer Bergotte (quoique la Patronne prétendît qu’il ne fréquentait pas chez les Swann, était dépourvu de talent, et malgré cela elle cherchait, suivant une expression qui lui était chère, à l’attirer), le petit groupe avait aussi ses «ultras». Et ceux-ci, ignorants des convenances particulières qui détournent souvent les gens de l’attitude extrême qu’on aimerait à leur voir prendre pour ennuyer quelqu’un, auraient souhaité et n’avaient pas obtenu que Mme Verdurin cessât toutes relations avec Odette, et lui ôtât ainsi la satisfaction de dire en riant: «Nous allons très rarement chez la Patronne depuis le Schisme. C’était encore possible quand mon mari était garçon, mais pour un ménage ce n’est pas toujours très facile… M. Swann, pour vous dire la vérité, n’avale pas la mère Verdurin et il n’apprécierait pas beaucoup que j’en fasse ma fréquentation habituelle. Et moi, fidèle épouse…» Swann y accompagnait sa femme en soirée, mais évitait d’être là quand Mme Verdurin venait chez Odette en visite. Ainsi si la Patronne était dans le salon, le prince d’Agrigente entrait seul. Seul aussi d’ailleurs il était présenté par Odette, qui préférait que Mme Verdurin n’entendît pas de noms obscurs et, voyant plus d’un visage inconnu d’elle, pût se croire au milieu de notabilités aristocratiques, calcul qui réussissait si bien que le soir Mme Verdurin disait avec dégoût à son mari: «Charmant milieu! Il y avait toute la fleur de la Réaction!» Odette vivait à l’égard de Mme Verdurin dans une illusion inverse. Non que ce salon eût même seulement commencé alors de devenir ce que nous le verrons être un jour. Mme Verdurin n’en était même pas encore à la période d’incubation où on suspend les grandes fêtes dans lesquelles les rares éléments brillants récemment acquis seraient noyés dans trop de tourbe et où on préfère attendre que le pouvoir générateur des dix justes qu’on a réussi à attirer en ait produit septante fois dix. Comme Odette n’allait pas tarder à le faire, Mme Verdurin se proposait bien le «monde» comme objectif, mais ses zones d’attaque étaient encore si limitées et d’ailleurs si éloignées de celles par où Odette avait quelque chance d’arriver à un résultat identique, à percer, que celle-ci vivait dans la plus complète ignorance des plans stratégiques qu’élaborait la Patronne. Et c’était de la meilleure foi du monde que, quand on parlait