Название | Les Deux Rives |
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Автор произведения | Fernand Vandérem |
Жанр | Языкознание |
Серия | |
Издательство | Языкознание |
Год выпуска | 0 |
isbn | 4064066080068 |
—Déjà à l'œuvre! s'écria M. Raindal.
Il lui avait saisi la tête entre ses deux mains, comme à une fillette, et il l'embrassait avec ce redoublement de tendresse égoïste, ce besoin de rapprochement que vous inspirent les êtres chers, après qu'on a subi la méchanceté d'autrui.
Elle se dégagea en souriant, et doucement:
—Laisse-moi, père!... Je corrige les épreuves de ton article pour la Revue. On vient les chercher à cinq heures et demie. Tu vois que c'est pressé.
—Parfait! J'obéis, fit M. Raindal.
Et, s'asseyant à l'autre table, en face d'elle, il amena des papiers qu'il se mit à annoter. Alentour, la pièce était sombre, sauf quelques fils d'or qui luisaient dans l'algérienne des rideaux fermés, et un mince rond jaunâtre que la lampe faisait frémir au plafond. On n'entendait que la respiration un peu embarrassée de M. Raindal, le craquement du coke dans la grille ou parfois une cloche qui, dans le voisinage, lançait, à longs intervalles, quelques sons isolés et tristes.
—Dis donc! s'écria tout à coup le maître... Et ta mère?... Elle n'est pas rentrée?
—Non, mais elle ne tardera pas, fit Thérèse, elle ne peut pas tarder...
Puis, sans cesser d'écrire, elle ajouta, d'une voix plutôt goguenarde:
—Il me semble bien... Non je ne devrais pas te le dire... Enfin, j'ai commencé, tant pis!... Oui, il me semble bien avoir vu tout à l'heure maman qui entrait à Saint-Germain-des-Prés!...
—Encore! murmura M. Raindal, avec un hochement de pitié... Cela fait au moins deux fois depuis ce matin... C'est déplorable!..
Thérèse fixait son père en souriant:
—Qu'est-ce que tu veux?... Puisque c'est son bonheur, sa tranquillité!
M. Raindal eut une grimace de mélancolie.
Lui, qui dans son athéisme philosophique et rogue, ne croyait à rien qu'à la science; lui que, même chez ses amis, la foi religieuse irritait comme une marque d'incompréhension, n'avait-il pas tout fait jadis pour les procurer à sa femme, ce bonheur, cette tranquillité, ou du moins ce qu'il jugeait tel? Et avec quelle patience, quelle abnégation, madame Raindal, mieux que quiconque, pouvait en témoigner, si encore elle se rappelait!...
La surprise, pourtant, avait été cruelle. A voir mademoiselle Desjannières, si gaie, si rieuse, si enfant malgré ses vingt ans, ou bien à voir son père, un avocat de Marseille venu par aventure tenter la fortune en Égypte, beau parleur, bon garçon, chanteur de chansonnettes, personne n'aurait soupçonné les secrètes ferveurs qui travaillaient la jeune fille. Bah! qu'importait à M. Raindal, puisqu'il aimait sa fiancée! Il la soignerait, la guérirait! Et dès le lendemain des noces à Alexandrie, puis à Paris où le ménage rentrait, la cure commençait, se poursuivait méthodiquement. Chaque jour, des heures durant, il discutait avec sa femme, la sermonnait, la raisonnait. Et elle, de son côté, se prêtait au régime, essayait par tendresse de vaincre ses terreurs. Mais, au bout de trois mois, un matin, elle se jetait aux genoux de son mari, en pleurant, en demandant grâce. Elle le suppliait d'interrompre le martyre, de la laisser retourner au confessionnal; et, devant tant d'affliction, il avait dû y consentir.
C'était une force surhumaine qui la poussait, une peur invincible, la crainte des châtiments que le péché entraîne. Une vieille bonne provençale, sorte de Dante domestique, lui avait, toute petite, infusé le germe du mal. Le soir elle lui décrivait, comme si elle en revenait, les sites rouges, les brûlantes horreurs, les affres éternelles où se débattent les pécheurs dans le pays d'enfer, la peine du dam, la peine du sens, les hurlements, les plaintes, les contorsions diaboliques. Et, à mesure que l'enfant devenait jeune fille, à la flamme de ces récits, son âme graduellement se faisait plus étroite, plus sensible, plus douillette au péché. Le moins grave d'entre eux lui pesait comme une faute irrémissible. Sous cet épineux fardeau, elle sentait son cœur étouffer. Il lui fallait alors courir auprès d'un prêtre, se décharger dans son indulgence de ce poids d'angoisse plus dur qu'un poids de fer. Souvent même, à la porte du sanctuaire, un scrupule l'arrêtait, un semblant d'oubli, qui la ramenait en hâte sur ses pas, pour implorer encore l'assistance de celui qui quittait la clôture sacrée. Et, depuis son mariage, depuis trente-deux ans, elle continuait ainsi, chassée sans cesse vers les églises par des tourments de conscience nouveaux, cachant chez elle ses épouvantes, incapable dehors de les dominer, craignant les railleries des siens et pleurant sur leur damnation.
—Son bonheur! Sa tranquillité! grommelait M. Raindal en écrivant... Ah! si seulement elle avait eu l'énergie de m'en charger!...
Mais deux coups vifs retentissaient au timbre de l'entrée.
—Attention! fit le maître, voici ta mère... Je suis curieux de ce qu'elle va nous dire...
Mme Raindal apparut sur le seuil, enserrée dans une longue douillette noire doublée de petit-gris et dont le drap usé brillait un peu aux épaules. Elle susurra d'une voix essoufflée:
—Attendez!...
Sous le manteau elle avait porté la main à son cœur pour en écraser les battements, et elle expliqua:
—Je suis montée trop vite...
—Assieds-toi, repose-toi, fit avec flegme M. Raindal.
—Mais non, c'est fini, cela va mieux!
Elle décrocha l'agrafe de la pèlerine, et alla embrasser son mari, puis sa fille. Elle avait les joues glacées par le vent du soir, froides comme une vitre, et sa poitrine haletait encore en se penchant sur eux.
—D'où arrives-tu donc si tard? demanda M. Raindal sans relever la tête de dessus son papier.
Elle se récria:
—Si tard!... Mais il n'est pas si tard... Il est cinq heures un quart tout au plus... Je viens de chez Guerbois commander un vol-au-vent pour dîner... Cyprien dîne, n'est-ce pas?
—Cyprien dîne!
Elle n'insista pas. Un commencement de frayeur l'étranglait, car elle venait de commettre quasiment le péché de mensonge. Alors elle tisonna le coke rougeoyant de la cheminée, abaissa la mèche de la lampe qui filait, et n'y tenant plus sous ce silence imprégné d'ironie, et de soupçons peut-être, elle sortit, les joues en feu maintenant, la poitrine gonflée de soupirs.
Thérèse et M. Raindal avaient simultanément redressé le front et échangeaient un sourire d'entente.
—Hein! as-tu vu... son vol-au-vent?...
Il haussait les épaules d'un air découragé. La jeune fille murmura avec compassion:
—Cette pauvre maman!... Elle est si bonne!...
34
III
Vers six heures moins le quart, l'oncle Cyprien passa dans son étroite cuisine obscure où il avait coutume de se cirer les bottes avant de sortir.
Il formait le projet d'aller rejoindre à la petite brasserie Klapproth, rue Vavin, son vieil ami, Johann Schleifmann, et de causer une bonne heure avec lui en sirotant l'apéritif.
Les personnes qui connaissaient l'antisémitisme de M. Raindal cadet s'étonnaient de son intimité avec ce juif de Galicie.
Mais lorsqu'on le questionnait à ce