Les Deux Rives. Fernand Vandérem

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Название Les Deux Rives
Автор произведения Fernand Vandérem
Жанр Языкознание
Серия
Издательство Языкознание
Год выпуска 0
isbn 4064066080068



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Mme Chambannes penchée sur elle, dans une pose d'ange gardien, et sa mère qui priait à côté, comme au chevet d'une agonisante.

      Elle détourna la tête. Elle revoyait tous les détails de l'accident, l'ivresse inavouable qui l'avait étourdie et cette chute ridicule en plein bal. Quel double affront pour son orgueil! Elle aurait voulu replonger au néant, détruire avec son corps le souvenir. Elle suffoquait de révolte, et subitement elle fondit en sanglots.

      —C'est cela, pleurez, calmez-vous les nerfs! exhortait Mme Chambannes.

      Mais cette sollicitude vulgaire exaspéra Thérèse. D'un coup, se maîtrisant, elle s'était redressée, et, devant l'armoire à glace, elle commença rageusement à refaire sa toilette.

      Elle esquivait dans le miroir les yeux de sa mère, de Mme Chambannes, et une colère croissante lui activait les doigts. Oh! oui, on pouvait la regarder! Elle avait bien l'allure, la mine d'une femme qui vient de défaillir! Un homme l'eût ainsi dévêtue, froissée, qu'elle ne se fût pas relevée plus en désordre et plus égarée. Ses prunelles étaient agrandies d'éclat, ses paupières meurtries d'une ombre brune comme après une nuit d'insomnie. La sueur avait posé des teintes huileuses sur les ailes de son nez et tracé des raies grasses à travers la poudre de ses joues. La touffe d'œillets était tombée, formant dans ses cheveux, au-dessus du front, une alvéole profonde, une sorte de blessure aux bords noirs. Et les agrafes du corsage mal ajustées, dans sa hâte, faisaient bâiller la gaze autour de ses seins comme une corde transparente et lâche.

      —Pauvre mademoiselle! se risqua à murmurer Mme Chambannes... Vous sentez-vous mieux?

      Thérèse riposta froidement.

      —Beaucoup mieux, madame, je vous remercie.

      Puis s'adressant à sa mère, elle interrogea d'une voix qui commandait:

      —Nous partons, maman?

      —Comme tu voudras, ma fille! répliqua Mme Raindal.

      Elles gagnèrent l'antichambre où ces messieurs les attendaient.

      A leur vue, Gérald s'élança pour les questionner et Bœrzell l'imitait. Mais, comme par mégarde, Thérèse s'échappa dans la direction du vestiaire. Ils n'étaient plus là quand elle revint au bras de son père. M. Raindal ahuri, son claque de satin à demi replié, la soutenait, en traînant la jambe. Mme Raindal fermait la marche, le dos voûté dans sa pèlerine comme une vieille bonne. Saulvard leur fit escorte jusqu'au palier.

      —C'est la chaleur, cette damnée chaleur! répétait-il d'un ton compétent.

      Et, courbant en deux son petit corps sur l'ébène de la rampe, il cria:

      —J'enverrai chercher des nouvelles demain... Ce ne sera rien, j'espère, mon cher collègue!

      Dans le fiacre qui les ramenait, M. Raindal, sur le strapontin, avait laissé le fond aux dames. Tous trois restèrent longtemps silencieux. Ils contemplaient songeusement, à travers les carreaux dépolis par la buée, les rues noires et les becs de gaz dont les flammes jaunes dans la brume s'aplatissaient en éventail. Le maître, assis de côté, à chaque cahot perdait l'équilibre. Il devait se rattraper à la courroie de la vitre dont le cuir dur lui tranchait les mains, et le bois de la portière macérait sans répit ses rotules. A un choc plus rude qui l'avait projeté sur elle, Thérèse agacée s'écria:

      —Voyons, père, tu es très mal, viens donc ici entre nous deux.

      —Mais non! fit M. Raindal. Pas du tout... Ne bougez pas... Et toi, fillette, cela va-t-il?

      —Très bien, père, merci...

      La causerie tomba court. Thérèse s'était immobilisée derechef. Dans la pénombre, M. Raindal contemplait son profil maussade en arrêt vers des pensées sûrement douloureuses. Il ramassa toute son énergie et, avec bonhomie:

      —Eh bien, fillette? demanda-t-il.

      —Eh bien, quoi, père? répéta Thérèse.

      Il y eut un temps, puis M. Raindal articula:

      —Eh bien, ce jeune homme du bal!...

      Thérèse tressauta et, dardant des regards farouches, elle repartit d'un ton de bravade:

      —Quel jeune homme?

      —Ce M. Bœrzell!

      Elle exhala un soupir de soulagement. Ah! il ne s'agissait que de celui-là!... Elle l'avait tellement oublié, le pauvre garçon! Et, en souriant, d'une voix ferme, elle prononça:

      —Non, jamais, père!

      M. Raindal insista:

      —Pourquoi? Il avait l'air de te plaire...

      —Oui, pour causer, peut-être... Mais c'est tout...

      —Alors tu n'en veux pas?... Tu as bien réfléchi?... Que je sache, au moins...

      —Tu sais... je t'ai dit... je n'en veux pas.

      Elle avait saisi la main de son père et lui offrait tendrement sa joue à baiser. M. Raindal l'embrassa en grommelant:

      —Bon, à ton aise!... Je n'ai pas le droit de te forcer...

      Et par matoiserie, besoin de se rendre compte, il ajouta, sans quitter la main de la jeune fille:

      —Évidemment, il n'est pas aussi beau gars que l'autre.

      Il prit une pause, en sentant la main de Thérèse qui se rétractait.

      —Oui, l'autre... ton danseur... comment l'appelles-tu?... ce M. de Meuze...

      Thérèse, d'un coup, retirait sa main, et avec dépit:

      —Oh! pas de parallèle, père, je t'en prie... M. Bœrzell ne me plaît pas... je le refuse... cela suffit... Je crois que j'ai l'âge, n'est-ce pas?

      Le maître ne répliqua point. Plus de doute, maintenant. C'était ce grand monsieur, cette espèce de Dastarac mondain, qui avait gâté tout, écrasé le petit Bœrzell par son avantageuse stature. Une partie perdue, quoi!

      Et M. Raindal s'absorba dans des récriminations intérieures.

      On n'entendait plus que le ferraillement des roues contre le pavé ou les stridentes vibrations des vitres dans leur cadre.

      Thérèse, la tête renversée, semblait assoupie, et Mme Raindal, en son coin, paraissait aussi sommeiller. Mais elle ne dormait pas. Une torture de remords, plus atroce qu'un cauchemar, tenait sous les paupières ses regards éveillés. Elle supputait avec angoisse combien d'heures s'étendaient jusqu'au lendemain matin, jusqu'à l'instant béni où elle pourrait, dans la sérénité de l'église, confesser ses récents péchés. Car, poussée par la soif ou cédant à la tentation, elle avait repris par trois fois du café glacé et, par deux fois, de la marquise au champagne, sans compter nombre de petits fours et autres menues friandises.

       Table des matières

      Comme, vers onze heures un quart, Mme Chambannes achevait sa toilette, on frappa à la porte, et, par l'huis entrouvert, un bras à manche de lustrine tendit un petit bleu.

      —Une dépêche pour madame! annonçait une voix.

      —Donnez vite! fit Mme Chambannes.

      La femme de chambre, quittant la jupe de sa maîtresse, qu'elle était en train d'agrafer, courut prendre la dépêche.

      Mme Chambannes avait déchiré le pointillé d'une main déjà tremblante, et elle lut avidement, les regards galopant le long des lignes:

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