Название | La Louve |
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Автор произведения | Paul Feval |
Жанр | Языкознание |
Серия | |
Издательство | Языкознание |
Год выпуска | 0 |
isbn | 4064066330422 |
–Peut-être, grommela Yaumy, que le balcon servait déjà du temps de saint Guéhéneuc. On sait ce qu’on sait!
Tous les yeux étaient fixés sur le joli sabotier, qui ajouta d’un air capable:
–Et l’on voit ce qu’on voit!
–Qu’as-tu vu, toi? demanda la bonne femme en haussant les épaules; si notre jeune monsieur César, que Dieu bénisse! vivait encore. mais voilà! les méchants qui l’ont tué voudraient bien faire disparaître sa sœur, à présent!
Son rouet, fouetté par un brusque mouvement, se prit à tourner si vite que son fil se rompit.
–Mauvais présage présage! murmura Yaumy d’un accent railleur.
Michon Guitan le regarda de travers et se signa. Le berceau qu’elle oublia de balancer s’arrêta, et un petit cri d’enfant se fit entendre parmi les langes. Yaumy glissa une œillade sournoise vers la croisée; comme il vit que maître Josselin ne regardait point de son côté, il se prit à sourire insolemment.
–Comme ça, dit-il, c’est à votre gars Josselin, cette belle petite fille-là dame Guitan?
–A qui donc serait-elle? répliqua la bonne femme d’un accent bourru.
–Faut-il vous aider à renouer votre fil, la mère? C’est au gros bourg d’Ernée, on dit cela, que votre Josselin a pris femme?
–Ici ou là, que t’importe?
–On ne l’a jamais vue, la femme de votre Josselin. Moi, je voudrais la voir.–
Dame Michon était rouge de colère; sa pipe tremblait entre ses dents.
–M’est avis, murmura le joli sabotier, qui cligna de l’œil à la ronde, m’est avis qu’autant vaudrait chercher le trèfle à quatre feuilles ou bien le merle blanc1
La bonne femme ôta sa pipe de sa bouche et regarda Yaumy en face.
–Mon gars, Josselin n’est pas loin, dit-elle: pourquoi ne lui parles-tu pas?
En ce moment on entendit la voix d’Alain Polduc qui répondait aux plaintes de quelques tenanciers:
–Mes bonnes gens, si j’étais le maître ici, j’aurais compassion de vous et de vos peines; mais je ne suis que mandataire du comte de Rohan, notre seigneur.
–Hypocrite! pensa tout haut dame Michon. Avant l’arrivée de cet homme-là au château, jamais fermier de Rohan n’avait pleuré misère!
–C’est la vérité! appuya Jouachin.
–Le malheur est entré avec lui, reprit la femme de charge, le malheur pour les vassaux, le malheur pour le maître!. C’était un fier jeune homme que César de Rohan! Et notre Valentine, vous souvenez-vous comme elle allait, joyeuse, par les sentiers de la forêt? Ses beaux cheveux flottaient sur ses épaules et pas une de vous, fillettes, ne savait sourire si gaîment que la fille de notre maître! Maintenant, César de Rohan est au cimetière de Noyai, et il n’y a qu’une pauvre croix de bois sur sa tombe. Maintenant, et depuis bien longtemps, nous cherchons en vain le sourire sur les lèvres de votre Valentine.
Dame Guitan laissa tomber sa tête sur sa poitrine, tandis que la voix de maître Alain Polduc s’élevait de nouveau à l’autre extrémité de la table.
–Vincent Julot, disait maître Alain avec un calme doucereux, si tu n’as pas payé ce soir, mon ami, demain je ferai vendre à l’encan ton attelage de charrue.
Un murmure s’éleva parmi les fermiers.
–Mes pauvres enfants, répéta gravement Alain Polduc, je ne suis pas le maître, et je fais les affaires de Rohan, mon noble cousin.
–C’est demain la. Saint-Jean, dit Vincent Julot, j’avais gardé un quart d’écu pour acheter mon cierge.
–Les fermiers de Rohan, appuyèrent trois ou quatre voix, n’ont plus de quoi allumer la chandelle de la Vierge depuis que l’hérésie est dans le manoir!
–S’il n’y avait que les fermiers de Rohan à ta paroisse, on ne brûlerait plus le fagot de la Saint-Jean!
Maître Alain poussa un gros soupir et inscrivit sur son registre, vis-à-vis du nom de Vincent Julot, cette note laconique: «Attelage à vendre.»
–Voulez-vous savoir, s’écria tout à coup dame Michon Guitan, qui releva la tête et jeta autour d’elle un regard égaré, si Rohan ne voit plus que par les yeux de cet homme-là, qui est son malheur, c’est une punition de Dieu, car Rohan a renié le nom de la vierge Marie et causé la mort de son propre fils!
Le cercle s’agita; puis il se fit un grand silence. Jouachin toucha l’épaule de la bonne femme en murmurant:
–Ma commère, n’en dites pas plus que vous n’en voulez dire.
–Dieu me préserve d’accuser mon seigneur! répliqua dame Michon dont l’émotion faisait trembler la voix; mais le cœur déborde à la fin! J’ai vu Rohan, autrefois, passer des heures entières auprès du berceau de ses deux enfants. Ah! ah? il les aimait bien tous deux! et nous l’entendions souvent qui disait:–Je les aime deux fois, mon fils César et Valentine, ma fille; une fois pour moi, une fois pour la sainte qui était leur mère. Écoutez! Ses aïeux s’asseyaient sur le trône de Bretagne, et les Français lui ont pris les trois quarts de son héritage; on ne peut pas lui en vouloir, s’il déteste les Français jusqu’à la mort. Quand son fils eut vingt ans et sa fille dix-huit, il leur dit:
«Voici l’âge des fiançailles qui va venir pour vous; souvenez-vous que nos pères sortiraient te leur tombe, si Rohan s’alliait aux gens de France…» Il leur dit encore: «Au-dessous des gens de France, il y a les Bretons parjures. Les français sont des ennemis, les Bretons vendus à la France sont des infâmes! Mon fils et ma fille, pleurerais sur celui d’entre vous qui se méellierait avec la France; celui d’entre vous qui n’oublierait au point d’entrer dans une famille retonne déshonorée, mon fils et ma fille, je le Maudirais!»
–Et la mort vient vite, prononça Jouachin voix basse, pour l’enfant que son père a maudit!
Les fillettes retenaient leur souffle; le rouet le dame Guitan restait immobile; l’enfant s’évait rendormi dans son berceau.
–Rohan avait parlé trop tard, reprit la femme de charge; notre jeune M. César recherchait déjà en mariage madame Jeanne de Combourg…
–Tout le monde sait cela, interrompit Yaumy, le joli sabotier.
–La fille du lieutenant de roi, ajouta dame Michon Guitan avec tristesse.
–Et notre demoiselle? demanda Yaumy entre haut et bas: était-il trop tard aussi pour Valentine de Rohan?
La main de dame Guitan chercha le manche de son rouet. Peut-être n’avait-elle pas entendu, car son regard chargé de rêverie se perdait dans le vide. Elle continua en baissant la voix et comme si elle se fût parlé à elle-même:
–J’ai connu un sonneur à Cesson-sur-Vilaine qui disait que Dieu a un livre où les cœurs sont inscrits deux à deux. César et Jeanne étaient mariés secrètement depuis plus d’une année; ils avaient un fils. Ecoutez! Je me souviens de cela comme si c’était hier: le vent soufflait au dehors et la pluie battait contre les carreaux des croisées. Il faisait nuit. On frappa à la porte, et ce fut cet homme-là qui entra.
Son doigt, étendu couvulsivement, montrait Alain Polduc, dont la tête demi-chauve se penchait sur son registre.
–Il demanda l’hospitalité, reprit dame Michon, et Rohan l’accueillit comme un gentilhomme. Quand il eut mangé à la table de notre seigneur et qu’il eut séché ses vêtements au feu de la cheminée, il dit à Rohan: mon cousin, je voudrais vous parler seul à seul.