La diva. Édouard Cadol

Читать онлайн.
Название La diva
Автор произведения Édouard Cadol
Жанр Языкознание
Серия
Издательство Языкознание
Год выпуска 0
isbn 4064066327057



Скачать книгу

tout troublé dans la sacristie, annonça qu’un malheur venait d’arriver à l’organiste.

      –Ah! monsieur l’abbé, monsieur l’abbé! fit–il.

      –Et quoi donc, Gérôme?

      –M. Bellafont vient de tomber à l’entrée de l’église, et quand on l’a relevé, il a perdu connaissance.

      –Courez, et transportez–le ici, dit le premier vicaire,

      Bellafont était un vieux brave homme, ancien prix de Rome, sous la Restauration, que les duretés de la profession avaient réduit à la condition d’exécutant, et dont la santé s’était altérée à lutter contre les difficultés de la vie artistique.

      Par excès de malechance, ce jour–là, le malheureux, se croyant en retard pour la messe, avait voulu monter plus vite que de raison les marches de la paroisse; son pied avait porté à faux; il avait glissé, et l’on pensait qu’il s’était cassé le bras.

      A peine l’avait–on étendu dans la sacristie, en donnant ordre à un enfant de chœur d’aller chercher le premier médecin venu, que le bedeau, ne se doutant de rien, annonça l’arrivée de la noce.

      –Que faire?

      Skébel hésita longtemps. Enfin, poussé par le désir d’obliger les gens, il s’avança et dit:

      –Je sais un peu tenir les orgues. Si l’on veut, je tâcherai de suppléer M. Bellafont.

      A tous risques, on accepta; mais, dame! on n’était pas tranquille.

      Cependant tout marcha régulièrement. Bien mieux, à deux reprises, durant les prières qui se disent à voix basse, et après la bénédiction, quand les mariés et le cortège de invités se rendent à la sacristie, l’orgue jeta sous les voûtes sonores, des improvisations dont on fut frappé, et, pour tout dire, charmé.

      Cela valut à Louis des leçons de piano dans quelques familles où les vicaires avaient du crédit.

      A ces chétifs revenus, le Lorrain en ajouta bientôt d’autres d’un genre analogue. Il entra, à titre d’alto, dans un théâtre de drame, passant sa soirée à grincer des trémolos sur l’entrée en scène du traître ou de la jeune héroïne, aussi innocente que persécutée et, l’hiver, il faisait sa partie dans des orchestres de danse, aux bals de barrière.

      Pourvu qu’il eût cinq–heures de bon, et bien à lui, chaque jour, il acceptait tout, et ne ’se plaignait de rien. Ces cinq heures, sa consolation! il les consacrait à l’étude et à des exercices de composition, qui allaient jusqu’à refaire en entier la partition de Charles VI, non content d’avoir mis tout le Cid en musique.

      Un jour, il fut mandé à l’Opéra–Comique.

      Un compositeur en renom de cette époque, venait de tomber malade, au beau milieu des préparatifs d’un ouvrage, sur lequel la direction avait compté. Les principales mélodies étaient trouvées; mais il restait à composer les chœurs, les ensembles, certains récitatifs, toute l’orchestration et le dernier acte en entier.

      Était–il homme à parachever cette besogne, sans autre profit qu’une mince part des droits d’auteur, et en restant dans la coulisse; c’est–à–dire, en consentant à ce que son travail fût attribué à son grand confrère?

      –Donnez! répondit–il.

      –Marché conclu.

      Et trouvant cette fois l’occasion d’employer ses facultés natives, il y mit tout ce qu’il possédait d’imagination et de savoir.

      –Ah diable! fit le directeur, à l’audition de ce qu’il apportait, vous êtes du bâtiment, vous, mon gaillard! C’est dommage de ne pas signer ces choses–là!

      –Bah! répondit bonnement Skébel, le sac n’est pas vidé pour si peu. On en a d’autres. Je ne me repens pas de l’affaire.

      L’opéra réussit largement, et si, pour le public, ce succès ne sortit point le Lorrain de l’obscurité, du moins les gens du métier le connurent et fondèrent des espérances sur lui.

      C’est ainsi que le directeur du Théâtre–Lyrique d’alors lui confia le livret de la Princesse Aldée.

      La musique, composée, écrite, orchestrée en moins de trois mois, n’inspira qu’une confiance médiocre aux intéressés.

      Mais contre toute prévision, il se trouva que la première représentation fut un triomphe.

      Dès le lendemain, les journaux donnaient à cette première l’importance d’un événement. Le nom de Skébel fut désormais dans toutes les bouches et la France compta une illustration de plus.

      Songez que, déjà, vingt photographes sollicitaient l’avantage de le portraicturer gratis: suprême sanction de la célébrité contemporaine, et il n’y avait plus, dans l’univers, que deux personnes qui n’appréciassent pas à sa juste valeur le succès de Louis Skébel.

      La première, c’était l’auteur de ses jours, maître François Skébel, qui se donnait pour magistrat, et disait de son fils:

      –C’est un crétin.

      La seconde, c’était Louis Skébel lui–même, qui ne se voyait aucune raison de n’être plus ce qu’il était la veille. Par cela qu’on ne sait jamais, au juste, ce que l’on vaut dans l’opinion des tiers, il continuait de se tenir pour un pauvre diable de garçon, fort en peine de payer son terme, et à plus forte raison, de caresser le moindre rêve d’avenir.

      Ce n’est pas qu’il n’en eût la tentation; bien au contraire!

      Le travail des répétitions avait précisément amené des relations qui lui avaient mis au cœur un mal étrange et tout nouveau pour lui: l’amour!

      Mais n’était–ce pas folie?…

      Naïf, timide, et pis que modeste, quoique musicien, il n’était pas homme à se croire capable d’inspirer la seule affection à laquelle il pût être sensible: une affection légitime, allant droit au mariage et à la constitution d’un nid, tout plein, à fur et à mesure, de beaux galopins gâtés, rougeauds et braillards.

      Il lui semblait que pour consentir à se lier à lui, pour la réalisation d’un tel ’idéal, il faudrait avoir la berlue. Il se trouvait si peu séduisant avec son grand corps, sa grosse tête, surmontée de cheveux emmêlés, ses pattes massives et ses façons de paysan du Danube! D’ailleurs, un ménage coûte gros, et il n’avait pas le sou vaillant.

      Voyez au surplus où il en était, et s’il y avait de quoi se donner les gants de songer à l’amour!

      Si, en dépit de la pluie, il remontait cette rue de Richelieu, le ventre creux, malgré l’heure du dîner passée, c’est qu’il allait, en se violentant, demander, quémander, mendier, quelques centaines de francs à l’agent général de la Société des auteurs et compositeurs dramatiques. Ah! qu’il s’y sentait de répugnance et d’humiliation! Cependant il poursuivait sa route: il le fallait!…

      Arrivé au coin de la rue Saint–Marc, il traversa de biais et, le cœur serré, il entra sous la porte cochère du numéro30.

      –Monsieur Peragallo? demanda–t–il, en faisant effort.

      –Ses bureaux sont fermés, lui fut–il répondu.

      –Je pense bien, mais j’ai besoin de le voir pour une affaire qui ne peut se remettre à demain.

      Visiblement, le portier avait une consigne. Cependant, si gauche et crotté que fût ce grand garçon, il avait en lui quelque chose de sympathique qui s’imposait, et le portier ne put y résister.

      –Ma foi! fit–il, montez toujours. S’il est chez lui, il vous recevra peut–être.

      Louis ne se le fit pas dire deux fois.

      En