Nouvelles. Henri Rivière

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Название Nouvelles
Автор произведения Henri Rivière
Жанр Языкознание
Серия
Издательство Языкознание
Год выпуска 0
isbn 4064066331375



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intervalles il se fut imaginé amortie en lui, mais qui le-reprenait à la première occasion. Il avait d’ailleurs toutes les qualités extérieures qui peuvent captiver une femme, l’élégance de la taille et de la démarche, l’aisance des manières, une physionomie tour à tour énergique et douce. Il était tout prêt à se livrer à Edmée pour peu qu’elle consentît à l’aimer.

      La baronne et son fils furent charmants pour mademoiselle de Nerteuil. Ils se montrèrent tout aussitôt ce qu’ils étaient réellement, affectueux et simples. Madame de Sénevère, un peu froide au premier abord, avait une bonté qui ne se révélait que par degrés, mais avec grâce. On avait craint de la trouver sévère, on s’étonnait de la découvrir indulgente et gaie, d’un esprit alerte et d’un cœur jeune. Elle traitait un peu Edmée comme sa bru, avec les allures d’une belle-mère aimable qui se faisait sa compagne et son amie. Cela était si naturel de sa part, si loin de contrainte et d’exigences d’aucune sorte, qu’Edmée ne s’en fâchait point. Elle était presque heureuse de cette familiarité maternelle qui s’improvisait avec tant de bonhomie. Elle n’avait non plus aucun reproche à adresser à son cousin, bien au contraire. Victorien n’était pour elle qu’un ami attentif à lui plaire, dont la tendresse, si elle existait, ne se hasardait jamais à l’aveu d’un désir ou à l’affirmation d’un projet. Il songeait peut-être à conquérir Edmée à la façon des preux d’autrefois, par un long servage noble et franc qui ne pouvait offenser la jeune fille. Elle avait redouté quelque obsession de ce futur mari qu’on lui avait brusquement destiné, et elle rencontrait en lui une affectueuse loyauté, un empressement délicat, la discrétion des plus respectueuses espérances. Aussi peu à peu se départit-elle envers lui de sa réserve des premiers jours. Elle ne lui en parut que plus séduisante; sans être coquette, elle avait l’involontaireépanouissement de la jeune fille qui se voit cherchée et qui se sent aimée. Mademoiselle de Nerteuil, qui avait alors vingt-cinq ans, était grande et svelte, avec la démarche hardie d’une Diane chasseresse. Ses yeux noirs ombragés de longs cils, sous des sourcils droits qui se joignaient presque, ne s’étaient jamais baissés sous le regard d’un homme; ils avaient une flamme prompte et sincère. Sa peau d’un blanc mat ne s’était point hâlée au grand air, se colorait par instants d’un éclat transparent sous lequel courait son sang jeune et vivace. Le plus souvent, en dehors de ces élans où elle apparaissait toute vibrante d’une passion qui s’ignore, elle était doucement sérieuse, quelque peu attendrie. C’est que sa pensée se reportait vers Adrienne absente. Victorien s’en apercevait et lui prenait la main.

      –Elle n’est pas pour toujours loin de vous, lui disait-il, elle vous reviendra. Edmée avait alors un sourire sur ses lèvres et regardait le jeune homme avec une expression singulière.

      –Je l’espère bien, répondait-elle.

      Cependant l’hiver s’avançait à grands pas. Le soir, l’abbé Daltez venait au château et faisait avec Edmée et Victorien le whist de la baronne. Quand la partie était finie et que la baronne sommeillait dans sa bergère, les jeunes gens et le prêtre causaient longuemen à demi-voix auprès du feu. Victorien et l’abbé s’étaient pris l’un pour l’autre d’un goût très-vif. Victorien admirait cet homme simple de manières, si puissant d’esprit, qui volontairement s’était enfoui dans la retraite et dans l’obscurité, qui semblait pourtant connaître tous les secrets de la passion. L’abbé, à qui Edmée n’avait point caché les projets de sa tante et qui les favorisait de son autorité et de ses conseils, étudiait Victorien. Ce jeune homme, dont l’âme était plus tendre que forte, mais ouverte à tous les sentiments généreux, lui plaisait beaucoup. Il voyait en lui le mari qu’il fallait à mademoiselle de Nerteuil, car, dans une mesure insaisissable, elle aurait, en l’aimant, à le protéger et à le diriger. Pourtant l’aimait-elle? Il n’en savait rien, l’observait avec curiosité, ne surprenait en elle aucune de ces impressions rapides et spontanées qui trahissent l’agitation du cœur. Elle était à coup sûr aimable et bonne pour Victorien, pleine de sympathie pour lui, mais réfléchie et tout à fait maîtresse d’elle-même. Loin de se livrer à lui, il semblait plutôt, ainsi que le faisait l’abbé, qu’elle l’étudiait lentement et avec plaisir. Ce n’étaient point là les indices de l’amour et du trouble qu’il porte avec lui.

      Dans la journée, les jeunes gens, profitant des dernières belles heures de l’automne, faisaient ensemble de longues promenades. La baronne, voulant les livrer à eux-mêmes afin qu’ils se décidassent plus vite au gré de ses désirs, ne les accompagnait pas. Le soleil attiédi éclairait encore les grands bois, dont les feuilles d’un or pâle se détachaient une à une. Le silence, que rompait seul quelque bruit lointain du village, était calme et profond. La nature avait une mélancolie sereine, Edmée s’appuyait au bras de Victorien, l’écoutait, le regardait. Ils s’entretenaient le plus souvent des lectures qu’ils avaient faites, et, par un insensible détour, en arrivaient à l’analyse des sentiments qu’elles avaient éveillés en eux. Chacun d’eux confiait à l’autre le passé de sa vie. Victorien parlait de ses désillusions et de sa poursuite vaine de l’idéal et du bonheur. S’animant peu à peu, dépouillant cette timidité qui semblait avoir été l’écueil de sa jeunesse, il se risquait à l’expression vraie de sa pensée. Il aurait désormais la force et la volonté d’aimer et d’être aimé, car il ne s’adresserait qu’à la femme réellement, digne de lui. Edmée le laissait dire. Elle ne semblait point éprouver d’embarras, et pourtant elle avait sur les lèvres un sourire indécis. A son tour, elle racontait à Victorien les années lentes et rapides tout à la fois qu’elle avait passées au château de Nerteuil. C’était d’Adrienne surtout qu’il était question. Elle la lui dépeignait vive et gaie avec sa tendresse exquise, lui citait ses traits de malice et de bonté, l’évoquait au détour de l’allée où ils marchaient, dans la perspective de ces grands bois qu’ils avaient si souvent parcourus. Et comme Victorien en venait à s’étonner de ces persistants souvenirs sous lesquels mademoiselle de Nerteuil se dérobait de parti pris, pour n’y laisser transparaître que sa jeune sœur dans tout le charme de sa grâce et de son printemps:–Que voulez-vous! lui disait-elle, Adrienne est ma fille chérie et ma vie tout entière. Ce n’est pas pour moi que j’existe, c’est pour son bonheur et son avenir.

      Elle le regardait franchement alors, épiant sur lui l’effet de ses paroles, presque impatiente qu’il n’en saisît pas le sens. Victorien en vérité ne la comprenait pas. Il aimait Edmée et non point sa sœur, qu’il n’avait jamais vue et dont la forme légère, si poétiquement qu’Edmée la fît passer devant ses yeux, n’arrêtait ni sa pensée, ni ses désirs. Où voulait donc en venir mademoiselle de Nerteuil? Victorien s’imagina pour la première fois qu’elle n’acceptait point pour elle ces soins qu’il lui rendait, qu’elle ne l’étudiait, ainsi qu’elle le faisait, qu’au bénéfice de certains projets qui touchaient en elle le cœur de la sœur aînée, de la mère, et non celui de l’amante. Dans une de ces promenades qu’ils faisaient sans témoins, où ils étaient bien en face l’un de l’autre, il se sentit assez fort pour l’interroger. –Ma chère Edmée, lui dit-il, je sais que vous n’ignorez pas des projets qui me sont chers, que ma mère a formés, et qu’il ne dépenpendrait que de vous de réaliser, –Lesquels? fit-elle avec un soupir qui pouvait paraître un aveu. –Ceux d’une union entre nous deux. Rendez-moi justice, se hâta-t-il d’ajouter en voyant qu’elle ne répondait pas, je me suis montré envers vous le plus réservé, le plus respectueux des prétendants. Jamais je ne me suis autorisé de ces espérances de ma mère pour vous causer une importunité ou un ennui. Je vous ai fait ma cour, du fond du cœur, avec une émotion qui s’est trahie souvent, il est vrai, car elle n’avait point à se dérober à vous. Depuis longtemps vous savez que je vous aime. Je vous ai trouvée toujours bonne et affectueuse pour moi, cependant j’ignore si vous acceptez le profond attachement que je vous ai voué. Répondez-moi aujourd’hui, car le doute et la crainte me sont venus à la fois.

      –Mon cousin, fit doucement Edmée, vous faites bien de me parler ainsi. Vous n’avez fait d’ailleurs que me devancer. Pardonnez-moi de vous causer un chagrin, car, tout en vous l’infligeant, je suis peut-être en état de le calmer. Je suis touchée de votre affection et