Название | Nouvelles |
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Автор произведения | Henri Rivière |
Жанр | Языкознание |
Серия | |
Издательство | Языкознание |
Год выпуска | 0 |
isbn | 4064066331375 |
Henri Rivière
Nouvelles
Edmée. Le châtiment. Flavien
Publié par Good Press, 2021
EAN 4064066331375
Table des matières
EDMÉE
I
Edmée de Nerteuil venait d’avoir vingt-cinq ans lorsque ses parents moururent; elle se trouva maîtresse d’une grande fortune et tutrice de sa jeune sœur Adrienne, qui atteignait à peine sa seizième année. A vrai dire, Adrienne était moins sa sœur que sa fille. Madame de Nerteuil, presque toujours malade, la lui avait abandonnée dès son plus jeune âge. Edmée avait bercé Adrienne et avait eu son premier sourire. Elle s’était alors attachée avec passion à cette enfant. Elle avait été bien moins une jeune fille charmante et belle qu’une jeune mère éprise jusqu’à la folie de ses devoirs et de ses soins maternels. Lorsque Adrienne avait grandi, elle s’était plu à l’instruire, à l’embellir, à la parer de toutes les qualités qu’elle avait elle-même et qu’elle semblait ignorer.
Rien d’ailleurs ne l’avait distraite de la tâche qu’elle chérissait. M. et madame de Nerteuil habitaient en Normandie un château qu’ils ne quittaient point. Ainsi les saisons se succédaient l’une à l’autre sans amener à l’existence intime de cette famille d’autre changement que la froidure de l’hiver et l’épanouissement du printemps. C’étaient les mêmes lilas qui refleurissaient pour Adrienne, la même pelouse qui s’émaillait de bluets, les mêmes frimas qui poudraient les arbres. Quelques courses à la ville voisine et de loin en loin quelque bal étaient ses seuls plaisirs; mais elle était encore trop enfant pour ne point s’en contenter. Elle adorait sa grande sœur, ne vivait que par elle et pour elle, et, si elle ne s’endormait plus dans ses bras comme au temps où elle était petite, elle se pressait doucement contre elle le soir, appuyant sa tête à son épaule, et fermait les yeux sous son baiser. Elle aimait respectueusement ses parents et se laissait gâter par eux. Elle ne les craignait pas plus qu’elle ne craignait Edmée; cependant elle boudait à leurs reproches, si par hasard ils lui en faisaient, tandis que le moindre mécontentement d’Edmée l’eût mise au désespoir. Quand elle les perdit, elle eut un vif chagrin, mais involontairement elle le compara à ce qu’il eût été, si Edmée fût morte. Elle en frissonna jusqu’au fond du cœur et fut presque consolée. Sa sœur, sa chérie, sa bien-aimée lui restait, et, par l’effroi d’un malheur plus grand qui eût pu survenir, elle n’accusa point Dieu de cette première épreuve qu’il lui envoyait. Edmée eut peut-être un sentiment pareil; seulement, ce qui n’était pas arrivé à sa sœur, elle se reconnut coupable de l’avoir. Ne serait-elle point un jour punie de cette affection trop exclusive et toute-puissante, en dehors de laquelle il ne pouvait plus y avoir pour elle au monde de douleur ni de joie? Cette crainte dura peu. Les deux sœurs, seules désormais dans la vie, se serrèrent l’une contre l’autre, se sourirent à travers leurs larmes et se confièrent à l’avenir.
Adrienne, à ses quinze ans, était une ravissante créature. Une masse de cheveux blonds, s’étageant très-haut, tout crespelés, roulés en torsades, s’échappant çà et là en mèches frisées, surmontait un visage d’une physionomie rieuse et touchante à la fois. Le front, finement découpé, était d’un blanc pur, les yeux brillants, d’une nuance bleu pâle, vifs et profonds. Le nez, se retroussant gentiment, donnait une allure mutine à tous les traits. La bouche, aux lèvres pleines, colorées, du dessin le plus engageant, respirait la tendresse et la bonté. La peau était d’un incomparable éclat. Adrienne n’était point régulièrement jolie, elle était charmante. Sa taille souple, sa démarche gracieuse, ses épaules arrondies, légèrement tombantes, ses mains effilées et mignonnes, ses pieds tout petits et cambrés la complétaient. On se fût– arrêté à la contempler et à l’admirer. Elle était changeante à tous moments et cependant la même. Il émanait d’elle un attrait singulier de plaisir et de jeunesse. Elle se montrait tour à tour gaie et pensive, affectueuse et triste, un peu nerveuse. Des impressions rapides, des sensations multiples la traversaient et l’agitaient. C’était une enfant gâtée sans limites, impérieuse et fantasque à ses heures, impatiente de la vie sans le savoir, parfois naïvement égoïste et s’en repentant aussitôt, s’aimant beaucoup, aimant plus encore sa sœur, et que son bon naturel ramenait toujours de ses impétuosités d’esprit et de caractère à ses qualilités aimables et sincères.
Elle devait néanmoins paraître étrange à ceux qui ne la connaissaient pas, et ce fut ce qui arriva lorsque les grands-parents qui composèrent le conseil de famille se réunirent au château. Edmée avait été nommée la tutrice de sa sœur, mais il lui fallait compter avec les personnes qui l’assistaient. C’étaient surtout le comte de Rétheville, son oncle, et la baronne douairière de Sénevère, sa tante, tous deux très-formalistes, très-puritains de ton, très-entichés de noblesse et d’autorité. Ils n’avaient point vu les Nerteuil depuis nombre d’années, alors qu’Adrienne était au berceau et qu’Edmée n’était qu’une petite fille. Ces enfants, qui les touchaient de près, devaient à leur avis, être surveillés et dirigés par eux. Soudainement investis des devoirs de la famille, ils avaient à les guider toutes les deux dans le droit chemin et à les marier dignement. Les premiers jours se passèrent naturellement en compliments de condoléance et en préoccupations d’affaires; mais, lorsqu’une certaine intimité se fut établie et que les intérêts d’argent furent réglés, le comte de Rétheville et la baronne de Sénevère abordèrent avec Edmée une question plus grave. Avec des circonlocutions prudentes et évitant de la froisser, ils lui firent entendre qu’Adriçnne n’était point élevée et qu’elle avait crû en trop de liberté et avec trop de luxuriance, comme une jeune pousse sauvage. Ils avaient pu étudier ses pétulances, ses façons primesautières, si gracieuses qu’elles fussent, ses mouvements d’âme irréfléchis et spontanés. Rien de cela n’était d’une jeune fille de son monde, correcte et convenable. Edmée se récriait. Où pouvait-on trouver de plus charmante enfant et de qualités plus généreuses? M. de Rétheville et madame de Sénevère n’y contredisaient pas; pourtant à leur sens, si Adrienne avait des dons naturels, elle n’avait point ces dons acquis de retenue, de politesse et de réserve que la société exige. Sous peine de graves mécomptes, on n’entrait pas dans la vie avec l’étourderie des impressions subites. L’éducation et la règle avaient à polir, à sertir ce joli diamant, éclatant de feux bizarres. Puis elle n’était pas assez instruite. Que savait-elle, sinon les premières notions des connaissances les plus simples? C’était assez sans doute pour l’existence de soleil et de grand air qu’elle avait menée, ce ne l’était point pour le rang qu’elle aurait à tenir plus tard, pour les devoirs qu’il lui faudrait remplir. Pourquoi Edmée, qui était d’un esprit réfléchi, d’un caractère sérieux, d’une instruction réelle et très-complète, ne lui avait-elle pas demandé plus d’application et de travail? Edmée n’osait répondre qu’elle avait surtout chéri la jeunesse de sa sœur, et qu’elle eût craint de lui imposer la moindre gêne et la moindre entrave. Elle ne se hasardait point à dire à ces grands-parents d’une morale stricte et un peu sévère, que la science des couvents à la modelui avait paru inutile à une fille comme Adrienne, aventureuse et gaie, et qui serait aimée pour son esprit naturel, sa grâce et sa beauté. Ce fut cependant alors que M. de Rétheville et madame de Sénevère lui déclarèrent l’intention où ils étaient d’emmener avec eux Adrienne et de la faire entrer pendant un an au Sacré-Cœur. Ils ne fixaient un terme –aussi court