Pie IX et Victor-Emmanuel: Histoire contemporaine de l'Italie (1846-1878). Jules Zeller

Читать онлайн.
Название Pie IX et Victor-Emmanuel: Histoire contemporaine de l'Italie (1846-1878)
Автор произведения Jules Zeller
Жанр Языкознание
Серия
Издательство Языкознание
Год выпуска 0
isbn 4064066321840



Скачать книгу

succès des insurrections contre-annonçait la guerre de l’indépendance; elle éclata en effet aussitôt. Mais, sans préparation suffisante, n’était-elle pas prématurée?

       Table des matières

      La guerre royale et nationale. — Custozza et Goïto .

      Le contre-coup des insurrections de Milan et de Venise ressenti dans les différents foyers de l’Italie, à cette heure de passion exaltée, rendait la guerre inévitable, quoiqu’elle ne fût point préparée.

      «C’est maintenant ou jamais,» s’était écrié Salvagnoli, le rédacteur de la Patrie à Florence, en apprenant l’émeute de Milan. Sous cette pression, le grand-duc publia une proclamation dans laquelle il disait: «L’heure de la complète résurrection (risorgimento) de l’Italie est arrivée; personne ne saurait lui refuser le concours qu’elle demande.» Et il laissa partir des volontaires. La population des duchés de Modène et de Parme suivait l’exemple de Milan et de Venise. Devant leurs manifestations, le duc de Modène partit; celui de Parme, en appelant à Charles-Albert, au grand- duc, au pape, promit une constitution et arbora les trois couleurs. Dès le 21 également, à Rome, une manifestation mêlée de moines, de femmes, d’enfants avait lieu à l’église d’Ara-Cœli au Capitole, et le général Durando, Piémontais qui avait servi en Espagne, devenu ministre de la guerre, commençait à organiser l’armée. «Ce jour-ci,» disait la Epoca, «la guerre à l’Autriche n’a pas été déclarée par le gouvernement, mais par le peuple;» et des volontaires partaient, commandés, équipés même par des nobles, enflammés par des moines, entre autres par le barnabite Gavazzi au cri de: «Dio lo vuole!»

      Après tout, l’Europe elle-même paraissait ébranlée alors dans ses fondements: la république était à Paris, l’empereur d’Autriche et le roi de Prusse presque au pouvoir de l’émeute à Vienne et à Berlin. Les imaginations enthousiastes se représentaient déjà Pie IX comme un Alexandre III. Toutes les populations dans les villes s’armaient, à Florence, à Bologne, à Gênes, à Modène, à Parme, à Naples et en Sicile même, pour voler au secours des Lombards; les villes de Brescia, Bergame, Vicence, Padoue, s’agitaient sous les Autrichiens. La croix du Saint-Père serait-elle le drapeau de cette sainte guerre de l’indépendance? Cette guerre trouverait-elle un chef militaire, une armée organisée, une épée pour conduire à la victoire tous ces dévouements? Le 23, au soir, quand il apprit la délivrance de Milan, Charles-Albert se décida à jeter son épée dans la balance; et, le lendemain matin, 24, ses premiers bataillons passèrent le Tessin.

      Charles-Albert avait-il tout récemment encore obtempéré sincèrement aux conseils de modération de l’ambassadeur d’Angleterre, Abercromby, à Turin, et même peut-être résisté aux tentations dont le comte Arese, noble lombard, et le comte Martini, réfugié, l’avaient obsédé lui et son ministère ? Le 22 encore, le ministre des affaires étrangères du Piémont donnait à l’envoyé autrichien, comte de Buol- Schauenstein, de bonnes paroles, quand la nouvelle de la délivrance de Milan arrivée le 23 motiva une réunion du conseil des ministres. Le 24, une proclamation de Charles-Albert était affichée en faveur de ses frères. «L’Italie,» disait-elle, «était en mesure de se suffire (farà da se);» les premiers ordres pour le départ étaient donnés le même jour, et le roi, après avoir dit à l’ambassadeur Abercromby qu’il ne voulait pas voir l’exemple de la France suivi à Turin, annonçait à l’ambassadeur autrichien, qui partit, sa résolution, et prenait le commandement. Le 26, la première brigade piémontaise était déjà à Milan, et Charles-Albert, lui-même à Pavie le 29. Il ne demandait rien encore ouvertement pour lui et répondait seulement aux envoyés de Modène, qu’il fallait «songer à la patrie et éviter toutes les divisions qui pouvaient rouvrir à l’étranger les portes de la patrie».

      Si, deux jours plus tôt, Charles-Albert avait cru voir «l’astre qu’il attendait», la guerre eût peut-être été terminée d’un coup. Il eût été difficile à Radetzki, surpris par une armée régulière en sortant de Milan, d’opérer sa retraite promptement et en bon ordre, à travers un pays soulevé dont les bandes de volontaires commençaient déjà à apparaître, à détruire les ponts et à ouvrir les canaux. Mais, grâce à ces deux jours de retard, Radetzki, après un engagement sans importance, à Marignan, contre quelques bandes de volontaires, put traverser l’Adda en bon ordre, ramasser les garnisons de Brescia, de Crémone, repasser l’Oglio, la Chiese, et arriver le 28 sur le Mincio, au lac de Garde.

      Dans un moment où l’audace était encore de mise, Théodore Lecchi, nommé général des troupes lombardes à Milan par le gouvernement provisoire, proposa au roi, dès le 26, de ressaisir l’occasion perdue. Il s’agissait de descendre le Pô, sur des pyroscapbes, avec une colonne de l’armée sarde pour s’emparer de Mantoue, ou au moins couper la retraite à Radetzki, et d’envoyer quelques régiments au secours des volontaires qui commençaient à arriver, pour menacer le Tyrol italien, tandis que le gros de l’armée marcherait sur le Mincio en ligne directe. Le roi Charles-Albert, militaire savant, ne crut point, et avec raison, que l’on pût arriver en nombre suffisant sur l’Adige avant les Autrichiens. Radetzki, en effet, suivi seulement par quelques bandes mobiles, prenait position le 30 dans le redoutable quadrilatère formé par les forteresses de Peschiera, de Vérone, de Mantoue, de Legnano, clef stratégique de la haute Italie, à portée de concentrer les garnisons de Vicence, Trévise, et de recevoir même des secours préparés par l’Autriche. Il fallait une guerre en règle.

      Charles-Albert, pour affronter cette entreprise, n’avait sous la main qu’une armée de 25,000 hommes et les réserves dont il avait ordonné la levée. Cette armée, quoique assez bien exercée, n’était pas suffisamment équipée, pas très-bien pourvue d’officiers; le service de l’intendance y était à peine organisé, et elle contenait trop de nouvelles recrues. On comptait, il est vrai, que l’enthousiasme allait enfanter des miracles. A Rome., les princes s’enrôlaient, les moines donnaient de l’argent. On racontait que la princesse Christine Trivulze Belgiojoso, autrefois bannie, connue par son libéralisme dans la société parisienne, débarquait à Livourne avec un régiment napolitain; elle allait entraîner le centre de l’Italie.

      Ce n’était pas trop que l’Italie tout entière, princes et peuples, se levât comme un seul homme. Mais les souverains n’étaient point complètement d’accord avec leurs peuples, et moins encore entre eux. Charles-Albert, qui venait au secours du Lombard-Vénitien, tout en ajournant la manifestation de ses désirs, aurait voulu être sûr de ces populations qui hésitaient aussi à se donner à lui. Il avait vu avec déplaisir la république proclamée à Venise par Manin, bien que, d’après la déclaration même du gouvernement provisoire, il n’y eût rien là de définitif. Dès l’arrivée de Charles-Albert en Lombardie, il s’éleva quelques dissentiments: les Lombards étaient mécontents qu’un Piémontais, Sobrero, fût mis au ministère de la guerre; le roi voyait avec peine à l’armée lombarde l’uniforme vert aux couleurs de l’Italie. Les Italiens dans leur enthousiasme fixaient déjà aux hauts sommets du Brenner la limite de l’Italie. Charles-Albert, plus prudent, était encore fidèle à la devise de sa famille: «manger l’artichaut feuille à feuille.» Satisfait de s’assurer la ligne du Mincio, du lac de Garde et des collines du Stelvio, il ne voulait point mettre contre lui la Confédération germanique en envahissant le Tyrol; et, en respectant la Vénétie, il espérait ménager toutes les puissances. Sa diplomatie n’allait point à l’enthousiasme lombard.

      Les autres souverains italiens, qui avaient peu d’avantages positifs à retirer de la guerre, partageaient bien moins encore l’entraînement de leurs peuples. Si Charles-Albert, après une guerre heureuse, fondait au nord un puissant royaume, qui unirait à Milan par les deux villes de Gênes et de Venise les deux mers Adriatique et Toscane, ne pèserait-il pas sur eux comme l’Autriche même? Rossi disait en vain: «Le mouvement national et guerrier qui emporte l’Italie est une épée; ou Pie IX prendra résolûment cette épée en main, ou la révolution la tournera contre lui.» Pie IX hésitait;