La guerre au château. Mme E. Thuret

Читать онлайн.
Название La guerre au château
Автор произведения Mme E. Thuret
Жанр Языкознание
Серия
Издательство Языкознание
Год выпуска 0
isbn 4064066323332



Скачать книгу

le triste avenir qui attendait la chère petite, elle usait de son influence pour lui inspirer ce courage qui fait supporter la douleur sans se plaindre. Elle n’avait qu’à lui dire: «Geneviève, prenez garde. si M. le comte vous voyait pleurer, il voudrait savoir.» Tout de suite elle essuyait ses yeux et se raidissait contre le chagrin.

      C’était une singulière et charmante nature que celle de la fille du comte. Elle entrait dans sa treizième année, et son caractère commençait à se dessiner. Mais pour qu’il eût réellement pu se montrer tel qu’il était, il aurait fallu l’indulgence maternelle. La sévérité excessive et l’injustice de Mme de Béyanes, en le comprimant, le rendait souvent bizarre et inexplicable.

      Geneviève semblait faite de contrastes: elle était tour à tour douce et raide, tendre et froide, franche jusqu’à l’abandon et réservée jusqu’à la dissimulation; ce que sa belle-mère expliquait à sa manière, en disant: «Elle est si capricieuse, qu’elle est insaisissable.»

      Mais la belle-mère ne pouvait ni comprendre, ni expliquer la belle-fille: leurs natures étaient si opposées. Il en résultait un froissement perpétuel qui ne pouvait rien amener de bon.

      La comtesse, compassée, formaliste, scrupuleusement exacte, froide comme un marbre, toujours maîtresse d’elle-même, n’obéissant jamais à son premier mouvement, croyant non-seulement au mal qu’elle voyait, mais à celui qu’elle supposait, doutant toujours de la vérité, voyant le mensonge partout, blessait sans cesse le caractère sensible et droit de sa belle-fille. Elle serait certainement arrivée à le fausser sans l’affectueuse et salutaire influence que la gouvernante de l’enfant exerçait sur son élève.

      Geneviève était naturellement séduisante. Toute sa petite personne avait de la grâce; ses manières étaient remplies de ce charme qui se subit et ne s’explique pas Elle avait l’imagination vive, l’esprit fin; elle se passionnait pour ce qui était beau et bien, pour ce qui était joli, pour tout ce qu’elle admirait, pour tout ce qui lui plaisait. Un trait de courage, une action héroïque, le récit d’une bataille l’exaltaient, l’enflammaient. Elle aurait voulu être Jeanne d’Arc, et partir pour la guerre; elle aurait voulu être toutes les femmes qui s’étaient distinguées ou par leur courage, ou par leur science, ou par leur charité. Ses jeux se ressentaient de ses impressions. Elle aimait la lecture, et dans les livres écrits pour les jeunes filles de son âge, elle choisissait des héroïnes qui devenaient des types pour elle.

      Cet enthousiasme, cette vivacité, ce charme de sentir étaient antipathiques à la comtesse. Elle essayait, mais inutilement, d’y jeter de la glace: Geneviève alors se contenait, se raidissait; mais la nature ardente de son esprit restait la même.

      Câline, non pour se faire bien venir, mais parce qu’elle était réellement affectueuse, la chère petite était obligée de retenir ses élans.

      Quand elle s’y laissait aller avec des parents ou des amis, l’œil impitoyable de sa belle-mère s’attachait sur elle avec une expression de dureté particulière, et un «Geneviève», dit d’une voix qu’elle cherchait en vain à adoucir, rappelait sa belle-fille à l’ordre.

      Cette voix faisait tressaillir Geneviève, l’arrêtait dans sa joie, et venait lui serrer le cœur. Elle accourait cependant: «Pas de prétentions, ni pas d’affectation,» lui disait alors Charlotte de manière à ce que tout le monde l’entendît. L’enfant se troublait, rougissait jusqu’aux oreilles, et sa gaieté s’envolait tout d’un coup.

      Puis la belle-mère avait l’air de passer avec affection la main sur les cheveux de l’enfant, et d’un ton bonne femme lui disait: «Allez jouer, chère fille.»

      Ceux qui aimaient la pauvre petite et qui étaient au courant de la comédie s’en irritaient; les indifférents, au contraire, admiraient la sollicitude de Mme de Béyanes pour sa belle-fille.

      La comtesse ne permettait aucune familiarité à Geneviève et n’acceptait d’elle qu’un froid bonjour et qu’un froid bonsoir auxquels elle répondait régulièrement par deux glacials baisers.

      Elle lui avait interdit ce qu’elle appelait ses simagrées, sous le prétexte que ce serait la gâter et la rendre encore plus insupportable.

      Elle traitait, quant aux caresses, Armande à peu près de la même manière, et cet à peu près établissait cependant encore une grande différence.

      Le comte qui, au fond de l’âme, était fou de sa fille, la dédommageait par une tendresse si tendre qu’elle avait quelque chose de féminin.

      Il s’occupait de ses études, il suivait ses progrès, il l’encourageait, il la récompensait et faisait en sorte qu’elle sentît qu’il était constamment avec elle.

      Chaque jour, quel que fût le temps, ils allaient tous les deux, après le déjeuner, faire une promenade dans le parc. Alors ils causaient avec le plus charmant abandon. Geneviève ouvrait son âme. Elle laissait voir le mal comme le bien; elle disait tout à son père, tout, excepté ses peines, car elle aussi l’adorait.

      Frédéric redevenait jeune avec sa fille; il lui témoignait, pendant ces heures si douces, une bonté, une indulgence qui donnaient à la chère petite le courage de supporter tout le reste.

      Quand venait le moment de sortir, le cœur de Geneviève bondissait d’aise, et sa personne aussi. Sa jolie figure rayonnait. Il n’en était pas de même au retour. A peine entrevoyait-elle le château, que, peu à peu, elle devenait sérieuse.

      Quelquefois le comte faisait rentrer sa fille par son cabinet de travail, dont une porte ouvrait sur le parc.

      Ce cabinet, qui se trouvait situé dans ce qu’on appelait le vieux château, était entièrement lambrissé en chêne sculpté que les siècles avaient bruni; ainsi même, quand le soleil l’éclairait, cette pièce restait sombre et avait un je ne sais quoi de solennel.

      En y entrant, on éprouvait le besoin de se recueillir et de parler tout bas.

      Le seul point qui s’illuminât sur ce fond obscur était un magnifique portrait, en pied, encadré dans un panneau de la boiserie.

      Il représentait une belle jeune femme.

      Ses cheveux blonds bouclés formaient autour de son charmant visage un vaporeux nuage d’or. Son regard tendre et mélancolique avait une douceur infinie. Ses traits étaient fins et purs.

      Au milieu de la demi-obscurité qui l’environnait, elle se détachait comme une suave apparition.

      Le comte s’asseyait devant le portrait, le regardait, regardait sa fille, la serrait sur son cœur. L’enfant comprenait, il n’avait besoin de rien dire: c’était leur cher secret à tous les deux; elle appuyait alors ses lèvres sur les yeux humides de son père, et quelquefois son pauvre petit cœur éclatait.

      Quelquefois aussi M. de Béyanes lui disait comme elle était bonne; il lui parlait de ses goûts, lui racontait ce qu’elle avait aimé, ce qu’elle faisait. Et Geneviève, les mains jointes, l’écoutait comme s’il lui eût raconté la vie d’une sainte, car pour elle ce souvenir était entouré d’une auréole céleste.

      Dans sa pensée, sa mère et un ange, c’était tout un.

      Elle revenait de ces visites au portrait toujours plus recueillie et plus raisonnable; mais ces visites n’étaient pas aussi fréquentes qu’elle l’eût désiré.

      Sa belle-mère n’aimait pas qu’elle allât dans ce cabinet. Il semblait à Charlotte qu’à elle seule appartenait le droit d’entrer dans ce sanctuaire. Aussi le comte, qui s’en était aperçu, y emmenait-il Geneviève en cachette, pour ainsi dire. Il était touché de ce qu’il considérait, de la part de la comtesse, comme une preuve d’affection, et malgré la gêne que lui causait cette sorte de jalousie, il évitait de la froisser; il éprouvait un sentiment de respect pour la fai. blesse de ce cœur, d’habitude si fort et si maître de lui.

      Ce