La guerre au château. Mme E. Thuret

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Название La guerre au château
Автор произведения Mme E. Thuret
Жанр Языкознание
Серия
Издательство Языкознание
Год выпуска 0
isbn 4064066323332



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en avait entendu faire.

      Elle lisait parce qu’elle savait qu’une femme, dans sa situation, devait suivre la littérature courante, et que si elle ne le faisait pas, elle perdrait dans l’esprit de son mari; mais elle lisait sans goût et sans profit. Elle oubliait à mesure qu’elle avait lu, et s’attachait seulement à retenir le titre du livre afin de le citer au besoin.

      M. de Béyanes, pour la direction de l’intérieur, reconnaissait à sa femme un pouvoir absolu, mais pour tout le reste il maintenait sa dignité de chef de famille. Il la consultait cependant, avec les plus grands égards, mais elle savait que, malgré cette apparente déférence, les petites passions n’avaient point de prise sur lui. Elle savait qu’en dehors de la stricte justice et de la raison, il était inflexible, et cette conviction avait contribué à l’empêcher de lui laisser voir les tristes côtés de sa nature.

      Son mari, d’ailleurs, exerçait sur elle une immense influence, et il s’en servait pour adoucir cette âpreté de caractère qu’elle n’avait pu, tout à fait, lui dissimuler.

      Charlotte avait pour le comte non une adoration, – son cœur n’était pas assez tendre pour cela, – mais une admiration sans bornes. En tout point, il flattait son orgueil, et il la dominait par ses qualités, seule domination qui pût la soumettre.

      Devant tous, elle se trouvait supérieure à tous; devant lui, elle se trouvait petite.

      Quand elle se comparait aux autres femmes, leur futilité, leur légèreté, leur amour du plaisir, leur passion pour la toilette, leur coquetterie, grandissaient aux yeux de sa vanité sa simplicité, sa raison, son amour de l’ordre et la dignité qui présidait à la conduite de sa vie.

      Mais quand elle comparait son mari aux autres hommes, elle le trouvait si réellement au-dessus d’eux qu’elle comprenait alors son infériorité vis-à-vis de lui; car, obligée d’être sincère avec elle-même, il lui fallait reconnaître que le peu de charmes de sa personne lui avait imposé les goûts qu’elle affectait. Elle ne se dissimulait point que si elle eût été jolie, autant qu’une autre elle eût désiré se l’entendre dire; que, si elle avait été spirituelle, plus qu’une autre elle eût cherché à montrer son esprit; que, si elle eût bien porté la toilette, plus que tout autre encore elle eût aimé à se parer et eût recherché le monde et le plaisir.

      Elle savait très-bien, dans les qualités qu’on lui attribuait et dont on la louait, celles qui lui appartenaient en propre ou celles qu’elle se donnait. Mais elle savait aussi qu’au contraire d’elle, le comte valait infiniment plus encore que tout ce qu’il paraissait valoir.

      M. de Béyanes avait pour sa femme une estime et une considération réelles qui ne l’empêchaient point, cependant, d’apercevoir quelques-uns de ses travers. Il les avait soigneusement observés, non pour les lui reprocher, mais pour l’empêcher de les laisser voir aux autres et pour l’aider à les dissimuler.

      Il apportait, dans sa manière d’agir et envers elle la plus grande délicatesse. Il l’entourait d’attention et d’égards, et il saisissait toutes les occasions de lui faire comprendre qu’elle était, pour lui, au-dessus de toutes les autres femmes.

      Sa grande expérience de la vie et sa connaissance du cœur humain lui avaient fait deviner le mal qui devait incessamment ronger cette femme fière et orgueilleuse.

      Charlotte était riche, haut placée, considérée, mais elle était laide et sans distinction d’esprit. On la rassasiait de respect et de prévenances, on vantait sa manière de recevoir, la magnificence de son hospitalité, on lui témoignait le plaisir qu’on éprouvait à être chez elle, l’honneur que l’on attachait à y être reçu; mais jamais, quoiqu’elle n’eût pas trente ans, il n’était question de sa personne; jamais on ne lui adressait ni compliments, ni louanges, si ce n’est sur l’étoffe de sa robe ou sur un bijou: elle ne comptait pas comme femme; elle n’avait ni âge, ni figure.

      Le comte affichait exprès un grand goût pour la simplicité, certain que sa femme s’y conformerait pour lui plaire. Il agissait ainsi, parce qu’une mise simple et sévère était ce qui seyait le mieux à la comtesse. Tout ce qui était coquet et élégant la faisait paraître à son désavantage et faisait d’autant plus remarquer sa laideur.

      Le comte avait sagement jugé le mal, et y avait apporté le meilleur remède.

      Mme de Béyanes était si fière de la manière dont son mari la considérait et du cas qu’il faisait d’elle, que cela pansait et guérissait toutes ses blessures d’amour-propre. En voyant tant de jolies femmes négligées et abandonnées par leurs maris, elle se disait avec orgueil: moi, je n’ai pas de beauté, mais j’ai une si grande valeur morale que je suis aimée, respectée et entourée de soins, au point de faire envie aux plus belles.

      Un autre sentiment portait encore le comte à agir ainsi envers sa femme: quoique riche lui-même, il lui était reconnaissant de la grande fortune qu’elle lui avait apportée, parce que cette fortune le mettait à même de faire que l’avenir de Geneviève fût aussi brillant qu’il l’avait rêvé.

      Mais le ménage qui paraît le plus heureux a toujours son chagrin caché. Charlotte était dure et sévère pour sa belle-fille.

      Elle s’en occupait beaucoup, mais avec une vigilance fatigante, presque impitoyable: c’était une main de fer qui pesait, sans cesse, sur l’enfant. Elle lui donnait des soins, mais on sentait qu’elle ne faisait que remplir un devoir; rien ne venait du cœur.

      En vain la comtesse, donnant à cette sévérité le nom d’intérêt, cherchait-elle à établir que Geneviève était d’un caractère difficile, ingouvernable; la vérité avait fini par frapper le comte.

      Il en était vivement affligé, et cependant il ne connaissait qu’une partie de cette vérité.

      Mme de Béyanes, pendant les premières années de son mariage, avait témoigné une grande tendresse à l’enfant, dont elle s’était engagée à être la mère. Mais une fille lui était née, et peu à peu Armande avait enlevé à Geneviève cette trop fragile affection.

      La maternité avait éveillé dans le cœur de la comtesse une double jalousie. Elle en voulait à la fille du comte de la part de tendresse que son père lui donnait, et elle lui en voulait de ce que cette part diminuait celle qui fût revenue à sa fille si elle eût été fille unique.

      Peu à peu cette jalousie dégénéra en aversion. Elle ne sut pas la réprimer, mais elle arriva si bien à la dissimuler que des années se passèrent sans que le comte pût s’en apercevoir.

      Ce fut d’abord quand elle se trouva seule à seule avec sa belle-fille, qu’elle lui montra ses nouvelles dispositions; ce fut dans les mille détails de la vie intime qu’elle trouva les moyens de la froisser incessamment.

      Ce furent des gronderies sans raison, des taquineries, des injustices, des exigences qui surprirent, puis enfin révoltèrent Geneviève. Elle ressentit de ce changement une douleur vraiment au-dessus de son âge. Pour un rien, pour la faute la plus légère, elle était châtiée, humiliée, et, de plus, elle se sentait délaissée.

      Plus de caresses, jamais une bonne parole. Elle qui, depuis sa naissance, était habituée à passer avant qui que ce fût au château; elle qui en était l’amour, la reine; elle qui voyait, depuis qu’elle avait les yeux ouverts, chacun s’empresser à lui plaire, elle se sentait maintenant, non pas reléguée au second rang, mais mise complètement de côté, sauf toutefois devant son père: dès qu’il paraissait, la scène changeait.

      Geneviève serait devenue jalouse et envieuse, son caractère se fût aigri, et elle aurait pris en aversion sa sœur, si elle n’eût eu le cœur le meilleur et le plus tendre, si elle n’eût eu le germe des meilleurs sentiments.

      Tout enfant qu’elle était, elle sut dévorer sa douleur. Sa fierté l’empêcha de la laisser paraître; et l’amour qu’elle portait à son père