Les grands guignols. Pier-Angelo Fiorentino

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Название Les grands guignols
Автор произведения Pier-Angelo Fiorentino
Жанр Языкознание
Серия
Издательство Языкознание
Год выпуска 0
isbn 4064066326838



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oreilles exercées. Le public a été frappé par la pompe et la majesté du spectacle, par le caractère imposant de la musique, par l’explosion savamment ménagée des grandes masses vocales et instrumentales. Mais la pureté du dessin, la délicatesse et la sûreté de la touche, la perfection et le fini du travail n’ont pas encore été bien appréciés. Ainsi, lorsque l’on entre dans une cathédrale au style noble et sévère, la première impression qu’on éprouve, c’est le sentiment de la grandeur et de l’harmonie qui règne dans les différentes parties du monument. Mais ce n’est que longtemps après qu’on saisit les beautés de détail, qu’on remarque les chapiteaux, les colonnes, les vitraux, les sculptures, les ornements de toute sorte, qui concourent à l’effet principal et forment ce merveilleux ensemble.

      De même pour le Prophète. Plus on entend la partition du maître, plus on admire l’élévation des pensées, l’ampleur et l’égalité du style, la richesse et l’éclat des couleurs qui distinguent cette vaste composition. Le beau choral du premier acte, si rempli de menaces comprimées, de haines sourdes et de superstitieuse terreur; le charmant duo des deux femmes, fraîche et délicieuse rêverie; le songe si admirablement nuancé ; le grand quatuor où Jean de Leyde fait ses adieux à sa mère endormie; les airs de danse, véritable joyau de mélodie et de grâce; le trio bouffe, un des plus beaux morceaux de caractère qui soient au théâtre; le chœur de la révolte et l’hymne triomphal, et tout le quatrième acte, où il n’y a pas une note qui ne soit à sa place; et la grande scène de la prison, empreinte d’une passion si profonde, d’un élan si sublime; et chaque morceau enfin, chaque page de cette œuvre magistrale, à mesure qu’on en déroulait les beautés devant un auditoire attentif, étaient salués de longs et unanimes bravos.

      L’exécution et la mise en scène n’ont rien laissé à désirer. Roger, qui, depuis son retour, n’avait chanté que la Favorite, a fort bien rendu dans toutes ses nuances le rôle si difficile et si important du prophète. Il a mis en relief les parties tendres et les parties énergiques, le côté rêveur et le côté sauvage et fanatique, avec ce soin religieux qu’il apporte dans l’interprétation des œuvres qu’on lui confie.

      Mme Viardot, dans le rôle de Fidès, a été aussi très-bruyamment applaudie. Mme Castellan, Levasseur, Gueymard, Brémond, le débutant Ginebrelle, qui remplaçait Euzet, tous les artistes enfin, sans en excepter l’orchestre et les chœurs, ont fait complétement leur devoir et méritent plus ou moins d’éloges, selon l’importance du rôle dont on les avait chargés. La danse a fort bien marché ; le divertissement des patins a obtenu son succès ordinaire. Il n’y a que deux patineurs, un petit et un grand, qu’un excès de zèle a perdus. Le grand est tombé sur le nez, le petit sur son séant: tous les deux ne se sont fait aucun mal, et cet incident burlesque n’a contrarié que M. Duponchel.

      La Fée aux Roses, dont les représentations, si brillantes et si suivies avaient été brusquement interrompues par une indisposition de Mme Ugalde, vient de reprendre le cours de ses triomphes. On ne saurait peindre le désappointement du public lorsqu’ on apprit que la charmante artiste, sans avoir couru de sérieux dangers, serait forcée de rester chez elle jusqu’à nouvel ordre de la Faculté. La salle était louée longtemps d’avance. Les porteurs de billets, qui s’étaient promis une fête et qui ne trouvaient qu’une déception, s’en retournaient dans une tristesse morne dont l’expression ne laissait pas d’être comique. On avait beau leur dire qu’après tout, le malheur n’était pas bien grand, que leur plaisir ne serait retardé que de quelques jours, que l’accident dont Mme Ugalde avait raison de s’affliger délivrait le théâtre et les auteurs d’un terrible souci; le public ne voulait rien entendre. — Vous en parlez bien à votre aise, disaient ces spectateurs du sixième jour, vous, les heureux du monde, qui avez le droit d’assister, dans une bonne loge, à toutes les premières représentations. Voilà bientôt deux semaines que nous grillons d’impatience. Tout ce qu’on dit, tout ce qu’on écrit sur ces merveilles ne fait qu’irriter nos désirs. Et lorsqu’enfin notre tour arrive, nous tombons sur les Rendez-vous bourgeois. C’est une plaisanterie atroce, une amère dérision!

      Heureusement, les voilà consolées, ces ombres plaintives, arrêtées sur les bords de l’Achéron après avoir payé l’obole qui devait les faire transporter sans délai sur l’autre rive! Voilà le pas franchi; plus de retard, plus d’obstacle! Le rideau se lève aux bruits d’applaudissements prolongés, et bientôt la Fée aux Roses paraît dans tout l’éclat de sa jeune gloire, dans toute la force, la fraîcheur et la séve de son beau talent. La voici! c’est bien elle! ce sont là ses traits si brillants et si hardis, son imprévu plein de grâce et d’abandon, sa verve inépuisable et sa triomphante audace! Et comme autour de cette jeune femme si heureuse et si gaie, tout se réjouit, tout s’illumine d’une clarté nouvelle! Avec combien de zèle et de fraternel empressement ses camarades la secondent, plus fiers, dirait-on, des bravos qu’elle obtient que de leur propre succès!

      Audran reprenait aussi, ce soir-là, son rôle du prince, qu’un enrouement, suivi de fièvre, lui avait fait quitter à la deuxième représentation. Mais on avait paré promptement à ce premier contre-temps. Boulo, dont je parlerai tout à l’heure à propos de la Sirène, et dont les progrès rapides méritent les plus grands encouragements, avait appris le rôle pendant la nuit, et, par un tour de force étonnant, il l’a joué et chanté d’une façon remarquable. Il a soupiré sa romance avec une pureté et une douceur si grandes, qu’après trois salves d’applaudissements, le public ne paraissait pas convaincu de lui avoir donné assez de marques de satisfaction et de faveur. Ceci soit dit sans vouloir blesser l’amour-propre de personne, et sans diminuer en rien le mérite d’Audran, qui, très-souvent, placé dans les mêmes circonstances, a rendu le même service au théâtre avec une modestie et un dévouement dont on ne saurait trop le féliciter.

      Et d’ailleurs M. Perrin n’est pas un de ces hommes que le moindre accident déroute et accable. Il a plusieurs cordes à son arc, plusieurs ouvrages fort bien montés à son répertoire. Aussi, que de jeunes et jolies femmes, que de talents nouveaux ou justement aimés du public, n’a-t-il pas fait défiler, en quelques jours, sur la scène qu’il administre! Ne dirait-on pas un général habile qui passe en revue ses troupes et se complaît de leur bonne mine et de leur excellente tenue? M. Perrin prend son bien où il le trouve: chez ses voisins, au Conservatoire, en province, et ne craint de s’imposer aucun sacrifice pour attirer du monde à l’Opéra-Comique. C’est que M. Perrin, voyez-vous, est un directeur novice et fort simple d’esprit. Il faut une bien longue pratique du théâtre et un génie transcendant pour se persuader qu’on peut faire de l’argent sans pièces, sans musique et sans artistes.

      Les débuts et les rentrées se sont succédé à l’Opéra-Comique presque tous les soirs. Nous avons revu d’abord Mlle Grimm, la jolie transfuge aux épaules de marbre, aux cheveux couleur de soleil. Après une excursion de quelques mois dans les parages de la rue Lepelletier, Mlle Grimm est revenue tout simplement, et elle a très-bien fait, à son premier théâtre. Les portes se sont ouvertes à deux battants devant l’enfant prodigue. On n’a point tué de veau gras; c’était un vendredi, je pense, et M. Perrin n’est pas un mécréant. Toujours est-il que Mlle Grimm a été la bien venue et la bien fêtée. En attendant qu’on lui commande de nouveaux rôles et de belles robes neuves, faites à sa taille, il fallait bien lui donner un rôle et un costume quelconque. On l’a priée de choisir dans la riche garde-robe de Mme Ugalde, et Mlle Grimm, après bien des excuses et bien des façons, comme il convient à une jeune personne parfaitement élevée, a pris la jolie coiffure de sequins et la jupe aux couleurs voyantes de la Gitana des Monténégrins. Ainsi vêtue, un peu au hasard et à la hâte, la nouvelle Bohémienne a eu grand’peur et a dit son air en tremblant. Mais dans la scène de l’apparition et dans le beau trio du dernier acte, Mlle Grimm, complétement rassurée, a été très-belle et très-applaudie. Personne ne dit mieux qu’elle: Je t’aime!..... au théâtre, bien entendu. Mlle Grimm peut, sans aucun doute, être très-utile à l’administration et aux auteurs; mais il faut qu’elle s’efforce d’être égale et de vaincre certaines défaillances qui paralysent