Marennes et son arrondissement. Antoine Bourricaud

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Название Marennes et son arrondissement
Автор произведения Antoine Bourricaud
Жанр Языкознание
Серия
Издательство Языкознание
Год выпуска 0
isbn 4064066318291



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indiqué par Ptolémée entre le Portus et le Canentelos. Sa position géographique, son prolongement dans le golfe, son élévation, plus de 45 mètres au-dessus du niveau des eaux, tout, en un mot, a dû en faire un point de repère pour les Romains dont la navigation fort timide s’avançait peu en pleine mer et consistait, bien plus souvent, à côtoyer la terre en allant de cap en cap, qu’à prendre le large en perdant de vue le continent.

      Du reste, cette opinion est aussi celle de M. Fleury, dont nous nous plaisons à transcrire ici quelques lignes sur le sujet qui nous occupe.

      Les Romains, dit-il, pour passer de la Gironde dans la Charente, doublaient la presqu’île d’Arvert, pénétraient par le pertuis de Maumusson dans le golfe santonique, et touchaient le port gallo-romain; puis, continuant de cingler vers le nord, ils suivaient les sinuosités de la côte, passaient au milieu des îles qui formaient l’archipel que nous avons décrit et dessiné sur notre carte, et enfin, après avoir reconnu le point le plus saillant, le plus élevé, le plus apparent de toute la côte, le promontoire des Santones, notre Brouë d’aujourd’hui, ils donnaient dans la Charente, dont l’embouchure n’était pas certainement à Fouras, si nous consultons encore la configuration des terrains et leur nature...

      Placé au milieu de cette baie et parmi toutes ces îles, comme une sentinelle avancée, élevé de plus de 40 ou 50 mètres au-dessus du niveau du marais, abrupt du côté battu par la mer et par l’impétuosité des vents régnants, dominant tous les caps, toutes les pointes de la côte voisine, et surpassant considérablement en hauteur les parties les plus élevées des îles citées, il serait absurde de supposer que les premiers navigateurs de cette époque eussent négligé d’en faire un point de reconnaissance pour assurer leur navigation déjà si incertaine et déterminer d’une manière précise leur position au milieu de ce bassin hérissé indubitablement d’écueils.

      Tout cela est bien dit, paraît fort judicieux, et nous n’hésiterons pas, nous non plus, à considérer notre longue et étroite presqu’île de Brouë comme le promontorium santonum de l’époque gallo-romaine.

      Au centre du golfe santonique, nous apercevons, indiquées par de fortes éminences, les îles nombreuses qui constituent son archipel. Ces îles sont au nombre de sept principales: les îles de Beaugeay et d’Arvert occupent par leur proportion le premier rang; puis viennent celles de Saint-Just, Saint-Sornin, Armotte, Hiers et Marennes. Cette dernière est à peine sortie des eaux, et ses points culminants, qui commencent à se couvrir de verdure, ne sont pas encore habités. Cinq de ces îles: Saint-Sornin, Saint-Just, Hiers, Marennes et Arvert, sont placées dans le golfe même formé par les presqu’îles de Saint-Augustin à gauche, et de Saint-Agnant à droite. Armotte, à l’extrémité nord-ouest de la presqu’île de Saint-Augustin, s’étend entre cette dernière et l’île d’Oleron qui s’avance du sud au nord-ouest dans l’Océan. L’île de Beaugeay se voit à l’extrémité nord de la pointe de Saint-Agnant et en face de l’île d’Oleron. C’est sur cette île que se trouvent maintenant Beaugeay, et dans son prolongement à l’ouest formé par un îlot et des attérissements, les communes de Moëze et de Saint-Froult.

      L’étude du terrain suffit, assurément, pour donner une certitude au sujet de l’existence de toutes ces îles, dont nous venons de déterminer les diverses positions au sein du golfe des Santones; mais l’histoire vient aussi à notre secours, et nous n’avons garde de négliger ce puissant auxiliaire.

      Ici nous laisserons parler M. Lacurie., qui, dans l’ouvrage que nous avons déjà cité, résume ainsi, en quelques lignes, les preuves nombreuses que l’histoire et la tradition, cette histoire parlée, apportent de l’existence des Cyclades saintongeaises.,

      Les événements qui excitent, à certain degré, l’attention des peuples, échappent assez à l’oubli des siècles les plus reculés. A défaut d’historien, les générations en conservent encore, par des traditions, un souvenir plus ou moins confus. Aussi rien de plus ordinaire que d’entendre dire aller en Marennes, en Saint-Just, en Nieulle, en Arvert, etc., comme l’on dit aller en Oleron.

      D’ailleurs, il est fait mention de l’île de Marennes dans un grand nombre d’anciens titres relatés dans l’arrêt rendu en 1661 par le Grand Conseil, sur les droits honorifiques de Marennes. L’île et le bailliage de Marennes, ainsi que l’île d’Oleron, sont concédés à Renaud de Pons, par Charles V et Charles VI, pour parfaire l’assiette de 2,000 livres qui lui avaient été accordées en 1370; en 1620, l’île et le bailliage de Marennes sont évalués par le Parlement à 489 livres 15 sols 6 deniers de rente. Pendant les guerres du seizième siècle, il est souvent parlé des îles de Marennes. Selon La Popelinière, en 1568, les catholiques attaquent les îles de Marennes..., les habitants des îles sont taillés en pièces..., les îles se rendent à Montluc.... En 1562, les protestants défendent le Pas de Marennes... D’après d’Aubigné, il y eut un combat au Pas de Marennes...; en 1585 on fortifie les Pas de Saint-Sornin, Saint-Just et Marennes qui sont trois îles..., là où le peuple en bonne intelligence pouvait se maintenir contre une armée turquecque. Une pièce de 1628, expédition de l’instrument ou du contrat de mariage de Willelm Rudel., comte de Blaye, et de Marguerite, nièce du comte Geofroy de Saintes, en 1040, parle de l’île d’Arvert rachetée d’une rente qui la grevait. Un titre de 1170 nous apprend que Richard, roi d’Angleterre, arrente à Jean Emery de la Pimpelière, l’île d’Aire pour 15 livres tournois; en 1611, l’île d’Aire échut ainsi que l’île de Marennes à Isaac Martel, dans le partage qu’Anne de Pons fit de ses biens; dans un factum de l’abbesse de Saintes, on voit qu’au temps de la fondation de son abbaye l’île d’Hiers était couverte de forêts. Cette île d’Hiers est l’île Hiero, brûlée par les Normands quand ils saccagèrent Saintes en 867. En 1634, le prince de Soubise concède aux habitants du village l’île de Lupin...

      Il est constaté, dans un rapport de 1680, qu’au commencement du dix-septième siècle il se construisait encore des navires de 40 tonneaux au pied du promontoire de Brouë ; et, dans un Mémoire de 1727, M. Pétreilles, ingénieur à Brouage, relate la découverte d’une quille de bâtiment qu’il juge avoir été de 50 tonneaux, les débris avaient été découverts au pied du même promontoire.

      Les deux presqu’îles et les îles dont nous venons d’établir l’existence étaient habitées avant la domination romaine, et nous en avons la certitude par les monuments druidiques qui existent encore. Il est donc constant que les presqu’îles de Saint-Agnant et de Saint-Augustin, les îles d’Oleron, de Beaugeay, d’Arvert, et celle d’Armotte, occupée maintenant par La Tremblade, ont été, bien avant la conquête, foulées par les peuplades qui nous ont légué, comme témoignage de leur séjour dans ces parages, ces antiques monuments que nous aurons plus tard l’occasion de décrire.

      Mais c’est, surtout, lorsque les Romains eurent définitivement assis leur domination sur les nombreuses tribus santoniques, que les îles habitées par les vainqueurs se ressentirent des avantages de la civilisation qu’apportaient avec elles les armées romaines. C’est alors que les riches gallo-romains bâtirent leurs superbes villas dans les îles d’Oleron, d’Arvert, de Saint-Just et de Hiers. C’est alors que les galères romaines vinrent au Portus y chercher les diverses denrées qui servaient à l’alimentation du peuple-roi. Nos huîtres, au dire d’Ausone, après s’être engraissées sur les bords du golfe santonique, allaient couvrir les tables des Césars et des Lucullus; les blés, les vins de nos contrées et les lièvres de l’île d’Oleron, si estimés des Romains, n’étaient pas les seuls objets dont ils s’approvisionnaient chez nous. Ils prodiguaient dans leurs banquets l’arôme du fenouil-marin ou cristemarine, et faisaient un fréquent usage de l’absinthe santonique dont ils savaient apprécier la vertu. Le golfe, peuplé des poissons les plus exquis, était continuellement sillonné par les nombreuses barques de pêcheurs qui vendaient le produit de leur travail aux patrons des navires que les riches romains frétaient à grands frais, et dont les bateaux-réservoirs de nos jours peuvent donner une idée.

      C’était donc un travail incessant, un mouvement continuel, non-seulement dans l’enceinte du Portus, mais aussi au sein de toutes les îles. Voyez-vous d’ici les lourdes trirèmes