Le roman bourgeois: Ouvrage comique. Furetière Antoine

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Название Le roman bourgeois: Ouvrage comique
Автор произведения Furetière Antoine
Жанр Языкознание
Серия
Издательство Языкознание
Год выпуска 0
isbn 4064066082215



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les porteurs vous rançonnent, et il en coûte trop d'argent. Je ne m'y suis voulu faire porter qu'une fois à cause qu'il pleuvoit, et ils me demandoient un escu pour aller jusqu'à Nostre-Dame. Il est vray (dit le marquis) que la dépense en est grande et ne peut pas estre supportée par ceux qui sont dans les fortunes basses ou mediocres, comme sont la pluspart des personnes d'esprit et de sçavoir, et c'est ce qui fait qu'il sont reduits à ne voir que leurs voisins, comme dans les petites villes, et ils n'ont pas l'avantage que Paris fournit d'ailleurs, car on y pourroit choisir pour faire une petite société les personnes les plus illustres et les plus agreables, si ce n'estoit que le hasard et les affaires les dispersent en plusieurs quartiers fort éloignez les uns des autres.

      Il n'y a que peu de jours qu'un des plus illustres me fit une fort agreable doleance sur un pareil accident qui luy estoit arrivé. Il estoit (dit-il) party du fauxbourg Saint-Germain pour aller au Marais, fort propre en linge et en habits, avec des galoches fort justes et en un temps assez beau. Il s'estoit heureusement sauvé des boues à la faveur des boutiques et des allées, où il s'estoit enfoncé fort judicieusement au moindre bruit qu'il entendoit d'un cheval ou d'un carosse. Enfin, grace à son adresse et au long détour qu'il avoit pris pour choisir le beau chemin, il estoit prest d'arriver au port desiré quand un malautru baudet, qui alloit modestement son petit pas sans songer en apparence à la malice, mit le pied dans un trou, qui estoit presque le seul qui fust dans la rue, et le crotta aussi coppieusement qu'auroit pû faire le cheval le plus fringuant d'un manege. Cela fit qu'il n'osa continuer le dessein de sa visite, et qu'il s'en retourna honteusement chez luy le nez dans son manteau. Ainsi il fut privé des plaisirs qu'il esperoit trouver en cette visite, et celles qui la devoient recevoir perdirent les douceurs de sa conversation. Cet accident, au reste, l'a tellement dégoûté de faire des visites éloignées, qu'il a perdu toutes les habitudes qu'il avoit hors de son quartier. Vôtre amy (dit alors Lucrece) estoit un peu scrupuleux; s'il eut bien fait il se seroit contenté de faire d'abord quelque compliment en faveur de ses canons crottez, quelque invective contre les desordres de la ville et contre les directeurs du nettoyement des boues, et un petit mot d'imprécation contre cet asne hypocrite, autheur du scandalle. Cela eût esté, ce me semble, suffisant pour le mettre à couvert de tout reproche. Je trouve (interrompit Hyppolite, qui estoit une veritable coquette, et qui avoit fait la premiere raillerie) qu'il fit prudemment de s'en retourner, car, s'il y eust eu là quelqu'un de mon humeur, il n'eût pas manqué d'avoir quelque attaque. Quoy (reprit Lucrece) y avoit-il de sa faute? N'avez-vous pas remarqué toutes les precautions qu'il avoit prises? Quoy, tout le temps et les pas qu'il avoit perdus en s'enfonçant dans les boutiques et dans les allées ne luy seront-ils contez pour rien? Non (dit l'Hyppolite), tout cela n'importe; que ne venoit-il en chaise?

      Certes (dit alors Lucrece) Monsieur a grande raison, et, pour estre de la cour, il ne laisse pas de connoistre admirablement les gens de la ville. Je connois des personnes qui ne sont gueres loin d'icy, qui sont si difficiles à contenter sur ce poinct qu'elles en sont insupportables, et je crois qu'elles aimeroient mieux qu'un homme apportast dix sottises en conversation que la moindre irrégularité en l'adjustement. Je pense mesme qu'elles ne venient voir des gens bien mis qu'afin de se pouvoir vanter de voir le beau monde. Mais (dit Hyppolite) approuvez-vous la conduite de certains illustres, qui, sous ombre de quelque capacité qu'ils ont au-dedans, negligent tout à fait le dehors. Par exemple, nous avons en notre voisinage un homme de robbe fort riche et fort avare, qui a une calotte qui luy vient jusqu'au menton, et quand il auroit des oreilles d'asne comme Midas, elle seroit assez grande pour les cacher. Et j'en sçais un autre dont le manteau et les éguillettes sont tellement effilées que je voudrois qu'il tombast dans l'eau, à cause du grand besoin qu'elles ont d'estre rafraischies. Voudriez-vous deffendre ces chichetez et ces extravagances, et faudroit-il empescher une honneste compagnie où ils voudroient s'introduire d'en faire des railleries? Je ne crois pas (repliqua le marquis) que personne ayt jamais loué ces vitieuses affectations; au contraire, on voit avec mépris et indignation ces barbons, ces gens de college, dont les habits sont aussi ridicules que les mœurs. Mais il faut avoir quelque indulgence pour les personnes de merite qui, estant le plus souvent occupées à des choses plus agreables, n'ont ny le loysir ny le moyen de songer à se parer. Ce n'est pas que je loüe ceux qui, par negligence ou par avarice, demeurent en un estat qui fait mal au cœur ou qui blesse la veuë. Car ce sont deux vices qu'il faut également blasmer. Mais combien y en a-t-il qui, quelque soin qu'ils prennent à s'ajuster et à cacher leur pauvreté, ne peuvent empescher qu'elle ne paroisse tousjours à quelque chapeau qui baisse l'oreille, quelque manteau pelé, quelque chausse rompuë, ou quelque autre playe dont il ne faut accuser que la fortune?