Le roman bourgeois: Ouvrage comique. Furetière Antoine

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Название Le roman bourgeois: Ouvrage comique
Автор произведения Furetière Antoine
Жанр Языкознание
Серия
Издательство Языкознание
Год выпуска 0
isbn 4064066082215



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remplit sa satire; mais on sait par Regnard, dans sa comédie du Divorce (prologue), que les joueurs de la bazoche avoient encore d'autres lieux de réunion: «Jupiter. Je me suis amusé en venant à jouer à la boule, aux Petits Carreaux, contre quatre procureurs, qui ne m'ont laissé que trente sols.—Arlequin. Où diable vous êtes-vous fourré là? Ces messieurs savent aussi bien rouler le bois que ruiner une famille.»

      Ce fut au quatriéme ou cinquiéme chapon que Nicodeme eust le plaisir de voir sa maistresse à table avec luy; mais ce plaisir fut de peu de durée, car elle ne parut que long-temps apres que les autres furent assis, et elle se leva sitost qu'on apporta le dessert, apres avoir plié sa serviette et emporté son assiette elle-mesme. Encore durant le repas elle ne profera pas un mot et ne leva pas presque les yeux, monstrant avec sa grande modestie qu'elle sçavoit bien pratiquer tout ce qui estoit dans sa Civilité puérile. Elle s'alla aussitost renfermer dans sa chambre avec sa mere, pour travailler à quelque dentelle ou tapisserie. Enfin jamais il n'y eut demoiselle avec qui il fust plus difficile de nouer conversation: car au logis elle estoit tenue de court, et dehors elle ne sortoit qu'avec sa mere, ainsi qu'il a esté dit; de sorte que sans le hazard de la queste, qui luy donna un moment de liberté et luy permit de retourner seule chez elle, jamais Nicodeme n'auroit trouvé occasion de l'accoster. L'amitié de Vollichon luy estoit presque inutile; cependant elle s'augmentoit de jour en jour, et, pour en connoistre un peu mieux les fondemens, il est bon de dire quelque chose du caractere de ce procureur, qui estoit encore un original, mais d'une autre espece.

      C'étoit un petit homme trapu grisonnant, et qui étoit de mesme âge que sa calotte. Il avoit vieilli avec elle sous un bonnet gras et enfoncé qui avoit plus couvert de méchancetez qu'il n'en auroit pu tenir dans cent autres testes et sous cent autres bonnets: car la chicane s'estoit emparée du corps de ce petit homme, de la mesme maniere que le demon se saisit du corps d'un possédé. On avoit sans doute grand tort de l'appeler, comme on faisoit, ame damnée, car il le falloit plûtost appeler ame damnante, parce qu'en effect il faisoit damner tous ceux qui avoient à faire à luy, soit comme ses clients ou comme ses parties adverses. Il avoit la bouche bien fendue, ce qui n'est pas un petit avantage pour un homme qui gagne sa vie à clabauder, et dont une des bonnes qualitez c'est d'estre fort en gueule. Ses yeux estoient fins et éveillez, son oreille estoit excellente, car elle entendoit le son d'un quart-d'escu de cinq cens pas, et son esprit étoit prompt, pourveu qu'il ne le fallût pas appliquer à faire du bien. Jamais il n'y eut ardeur pareille à la sienne, je ne dis pas tant à servir ses parties comme à les voler. Il regardoit le bien d'autrui comme les chats regardent un oiseau dans une cage, à qui ils tâchent, en sautant autour, de donner quelque coup de griffe. Ce n'est pas qu'il ne fist quelquefois le genereux, car s'il voyoit quelque pauvre personne qui ne sçeust pas les affaires, il luy dressoit une requeste volontiers, et luy disoit hautement qu'il n'en vouloit rien prendre; mais il luy faisoit payer la signification plus que ne valloit la vacation de l'huissier et la sienne ensemble. Il avoit une antipathie naturelle contre la verité: car jamais pas une n'eut osé approcher de luy (quand mesme elle eût esté à son avantage) sans se mettre en danger d'estre combattue.

      On peut juger qu'avec ces belles qualitez il n'avoit pas manqué de devenir riche, et en mesme temps d'estre tout à fait descrié: ce qui avoit fait dire à un galand homme fort à propos, en parlant de ce chicanneur, que c'estoit un homme dont tout le bien estoit mal acquis, à la reserve de sa reputation. Il en demeuroit mesme quelquefois d'accord; mais il asseuroit qu'il estoit beaucoup changé, et il disoit un jour à Nicodeme, pour l'exciter à suivre le chemin de la vertu, qu'il avoit plus gagné depuis un an qu'il estoit devenu honneste homme qu'en dix ans auparavant, qu'il avoit vécu en fripon. Peut-être avoit-il quelque raison de parler ainsi: car il est vray que les amendes et les interdictions dont on avoit puny quelques unes de ses friponneries, qui avoient esté descouvertes, luy avoient cousté fort cher. J'en ai appris une entr'autres qu'il n'est pas hors de propos de reciter, parce qu'elle marque assez bien son caractere. Il avoit coustume d'occuper pour deux ou trois parties en mesme procez, sous le nom de differens procureurs de ses amis. Un jour qu'il ne pouvoit plus differer la condemnation d'un debiteur fuyard, il suscita un intervenant qui mit le procez hors d'état d'estre jugé; mais comme celuy qui le poursuivoit s'en plaignit, Vollichon, pour oster la pensée que ce fust luy, dressa des écritures pour cet intervenant, où il declama de tout son possible contre luy-mesme; il soustenoit que Vollichon estoit l'autheur de toute la chicanne du procez; que c'estoit un homme connu dans le presidial pour ses friponneries; qu'il avoit esté plusieurs fois pour cela noté et interdit; et, apres s'estre dit force injures, il laissa à un clerc le soin de les décrire et de les faire signifier. Le clerc, paresseux de les coppier et encore plus de les lire, les donna à signifier comme elles estoient, escrites de la main de Vollichon. Elles vinrent ainsi entre les mains de sa partie adverse, et de là en celle des juges, qui en éclatterent de rire, mais qui ne laisserent pas de l'en punir rigoureusement.

      Tel estoit donc le genie de Vollichon, qui vint à ce poinct de décry que le bourreau mesme, dont il estoit le procureur, le revoqua, sur ce qu'il ne le trouva pas assez honneste homme pour se servir de luy. Je laisse maintenant à penser si Nicodeme, qui n'étoit pas fort avare, mais qui estoit tres-amoureux, pouvoit bientost gagner les bonnes graces d'un homme aussi affamé que Vollichon. Il luy faisoit des escritures à dix sous par roolle; il s'abonnoit avec luy pour plaider ses causes à vil prix, moyennant certaine somme par an; il luy faisoit des presens; il luy donnoit à manger, et generalement par tous moyens il s'efforçoit de gagner son amitié. Il y avoit encore une chose dans la conversation qui les attachoit puissamment, c'est que Nicodeme estoit un grand diseur de beaux mots, de pointes, de phœbus et de galimatias, et Vollichon un grand diseur de proverbes et de quolibets; et comme ils s'applaudissoient souvent l'un à l'autre, leur entretien estoit fort divertissant.

      Nonobstant cette grande amitié qui donnoit desormais une libre entrée à Nicodeme dans la maison, elle ne luy servoit de rien pour entretenir Javotte; car, ou elle se retiroit dans une autre chambre en le voyant venir, ou, si elle y demeuroit, elle ne luy disoit pas un mot, tant elle avoit de retenue en presence de sa mère, qui estoit tousjours auprés d'elle. Il fallut donc qu'à la fin il devint amant declaré, pour luy pouvoir parler à son aise. Ce qui le porta encore plûtost à la demander en mariage, ce fut cette consideration, que c'est toûjours un party sortable pour un advocat que la fille d'un procureur. Car Vollichon estoit riche et avoit une fort bonne estude, qu'on devoit bien plûtost appeller boutique, parcequ'on y vendoit les parties. D'autre costé Vollichon ne vouloit avoir pour gendre qu'un homme de sac et de corde. C'est ainsi qu'il appeloit en sa langue celuy que nous dirions en la nostre qui est fort attaché au Palais, et qui ne se plaist qu'à voir des papiers. Il ne se soucioit pas qu'il fût beau, poly ou galand, pourveu qu'il fût laborieux et bon ménager. Il ne comptoit mesme pour rien la rare beauté de Javotte, et il ne s'attendoit pas qu'elle luy fist faire fortune. Peut-estre mesme qu'en cecy il ne manquoit pas de raison; car il arrive la pluspart du temps que ceux qui content là dessus se trouvent attrapez, et que ces fortunes que les bourgeoises font pour leur beauté aboutissent bien souvent à une question de rapt que font les parens du jeune homme qui les espouse, ou a une séparation de biens que demande la nouvelle mariée à un fanfaron ruiné.

      Cette disposition favorable fut cause que Nicodeme, pressé d'ailleurs de son amour, fit une belle declaration et une demande précise au nom de mariage au pere de Javotte, qui, ayant receu cette proposition avec la civilité dont un homme de l'humeur de Vollichon estoit capable, s'enquit exactement de la quantité de son bien, s'il n'estoit point embrouillé, et s'il n'avoit point fait de débauches ny de debtes. La seule difficulté qu'il y trouvoit estoit que ce marié estoit trop beau, c'est à dire qu'il estoit trop bien mis et trop coquet. Car, à vrai dire, la propreté qui plaist à tous les honnestes gens est-ce qui choque le plus ces barbons. Il disoit que le temps qu'on employoit à s'habiller ainsi proprement estoit perdu, et que cependant on auroit fait cinq ou six roolles d'écritures. Il se plaignoit aussi que telle piece d'ajustement coûtoit la valeur de plus de vingt plaidoyers. Neantmoins l'estime qu'il avoit conceue pour Nicodeme effaçoit tout ce dégoust; et, devenant indulgent en sa faveur, il disoit qu'il falloit que la jeunesse se passast; mais, ne croyant pas qu'elle s'estendist au delà du temps qu'il falloit pour rechercher une fille, il esperoit dans trois mois de le voir aussi crasseux que lui.

      Enfin, apres qu'il eut examiné