Название | Romans, Nouvelles et Histoires Maritimes |
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Автор произведения | Эжен Сю |
Жанр | Языкознание |
Серия | |
Издательство | Языкознание |
Год выпуска | 0 |
isbn | 4064066082697 |
—Tenez-vous aux haubans et aux râteliers—criait Benoît—ce n'est rien, ça rafraîchit, il fait si chaud!... et puis la propreté de Catherine sera faite pour demain... et vous, loffez... loffez... ou sinon....
Il ne put achever, une montagne d'eau qui s'élevait à la hauteur des hunes, déferlant contre la dunette, se déroula sur le pont, le couvrit de débris et se retira par la proue en emportant deux hommes qui disparurent au milieu des flots; ces deux hommes venaient, je crois, d'épouser les deux sœurs, deux Nantaises fraîches et roses; ils s'aimaient beaucoup, une forte amitié de matelots; toujours de quart ensemble, toujours ivres ensemble, toujours se battant ensemble, l'un s'était marié pour faire comme l'autre, l'autre se jeta à l'eau pour sauver son ami ou faire comme lui,—se noyer.—Or, ils finirent ainsi qu'ils avaient commencé:—ensemble!
Simon s'était fortement accroché à une drisse; quand la vague fut écoulée, il se releva fièrement, le front intrépide, ruisselant d'eau, ses cheveux collés sur ses joues.
Un matelot, jeté violemment sur la drôme par cette dernière lame, s'était cassé le bras, et hurlait très-fort.
—Veux-tu fermer la bouche, braillard—lui dit Simon—ou tu avaleras la première baleine[4] qui tombera à bord.
Les cris redoublaient.
—Après tout, je m'en moque—dit Simon—fais la pompe si ça t'amuse....
Il fallait bien tâcher de consoler et d'égayer ce pauvre blessé.
—Et toi, mon bon Caiot—disait le capitaine Benoît au timonier—attention....
—Oh! capitaine—répondit celui-ci en s'essuyant le front—tant que le navire gouvernera, n'y a pas de soin, ça balance, c'est, sauf respect, comme le tape-cul qui est à Nantes au Panier fleuri; autant jouer à ça qu'à autre chose, et on n'a pas à craindre les plats-dos....
—Défiez-vous... défiez-vous, capitaine—cria Simon, car il vit arriver avec fracas une énorme lame qui, se dressant menaçante, resta immobile pendant cet espace si court où le sommet est tenu en équilibre sur sa base... mais la violence du vent la fit pencher; elle plia sur elle-même, se déroula pesamment en poussant devant elle une nappe d'eau blanchissante, vint s'abattre avec fracas sur l'arrière du brick, et il disparut encore sous cette vague qui tonnait comme la foudre....
La commotion fut si violente, que le safran du gouvernail, heurté par le travers, donna une affreuse secousse à la barre: Les trois hommes qui la tenaient furent renversés sur le pont, et par suite de ce malheureux accident, le brick venant au vent, la grande voile faceilla et fut masquée en grand.
Benoît sortait alors de dessous la vague qui venait de se retirer, et tenait embrassé le portrait de sa femme, qu'il avait repêché au milieu des débris de la dunette:
—Je ne laisse pas comme cela enlever Catherine...—disait-il—car ma pauvre épouse....
Il ne put achever, en voyant la position critique du navire.
—Nous sommes perdus—s'écria-t-il, et d'un bond il se précipita sur la barre pour laisser arriver et tâcher de démasquer.
Impossible... il était trop tard....
Le grand mât résista, à peine deux secondes, plia... cria... se rompit avec un bruit éclatant, brisa le gréement qui se tenait du côté du vent, tomba sur le bastingage du babord... et de là dans la mer, en entraînant les haubans, qui l'attachaient toujours au navire.
Ce qu'il y avait d'horrible dans cette position, c'est que ce mât, poussé par les lames furieuses, allait et revenait contre le brick auquel il tenait encore par une partie de ses manœvres, et, agissant comme un bélier sur ses flancs, menaçait d'y faire une trouée qui l'eût coulé à fond.
Une seule chose restait à faire, c'était de couper les cordages qui liaient cette poutre au brick[5].
—Il n'y a pas à balancer, c'est dangereux, mais il y va de notre peau—dit Benoît, en s'amarrant aussitôt au bout d'une manœuvre, et d'un saut il fut à cheval sur le bastingage, sa hache à la main.
—Catherine et Thomas—dit le brave homme, en enjambant le plat-bord—c'est pour vous....
Il s'élança....
Mais une main de fer saisit la corde au moment où il allait sauter, et le digne Benoît fut un instant suspendu en l'air, puis halé à bord par son ami Simon.
—Ah! gredin—s'écria Benoît—tu veux donc faire sombrer le brick? et il dirigea sa hache sur Simon, qui évita le coup....
—Diable! vous devenez vif, capitaine, je voulais vous dire que ce n'est pas là votre place.... Pour cette besogne vous ne verriez pas assez clair, Catherine et Thomas vous brouilleraient la vue....
Et il sauta sur le bastingage.
—Mon bon Simon—dit Benoît en l'arrêtant par la jambe—jure-moi....
—Sacré mille tonnerres, mille millions, de diables, voulez-vous me lâcher?... sacré....
—Ce n'est pas comme ça que je voulais te faire jurer, mais amarre-toi, pour l'amour de Dieu... amarre-toi....
Simon ne l'entendait plus, il s'était déjà jeté à la mer, afin d'atteindre le mât et de s'y cramponner pour le débarrasser de son gréement.
Le vent se calmait, mais la houle était toujours très-forte.
—Pauvre Simon... il est cuit—dit Benoît, en voyant son second, tâchant de se tenir à cheval sur cette poutre ronde qui roulait à chaque lame et s'avançait vers le flanc du brick.
La position de Simon était horriblement dangereuse, car il risquait à tout moment d'être écrasé contre le navire.
—Encore un coup de hache, Simon—criait Benoît—et nous sommes parés. Ah... mon Dieu... Simon... Simon... défie la vague... à la mer... jette-toi à la mer... tu vas... Simon... Ah!...
Et le capitaine poussa un cri affreux en mettant la main devant ses yeux.
Simon avait eu la tête broyée entre le mât et le brick; mais aussi, grâce à son intrépide sang-froid, le navire était sauvé d'une position bien critique, je vous assure.
L'ouragan s'apaisait peu à peu comme toutes les bourrasques des mers des Tropiques qui tombent aussi rapidement qu'elles s'élèvent; le vent se régla, les nuages chassèrent rapidement vers le sud.
Quand Benoît eut accordé quelques moments à sa douleur et à ses regrets, il fit nettoyer le pont des débris de manœuvre et de charpente qui l'encombraient, amurer la misaine, et, profitant d'un vent bon frais, mit le cap au sud-est.
Comme on le pense bien, l'expression grandiose de M. Benoît sembla disparaître avec le danger et la tempête;—une fois la brise réglée, le navire en route... il redevint l'homme grossier, vulgaire, niais, mais honnête, faisant la traite des nègres avec autant de conscience et de probité qu'il est possible d'en mettre dans les affaires, et ne croyant pas agir plus mal que s'il eût vendu des bestiaux ou des denrées coloniales, ne pensant enfin qu'à s'amasser une fortune indépendante pour vivre tranquillement le reste de ses jours et assurer l'avenir de sa petite famille. Le digne père!
Il veilla toute la nuit et pensa même plus à Simon qu'à sa chère Catherine: Simon naviguait avec lui depuis si long-temps! Simon connaissait ses habitudes, lui était dévoué, s'occupait des minutieux détails de l'emménagement des nègres à bord, avec une patience, une humanité qui charmaient le capitaine; jamais les noirs ne manquaient de vivres, et, sauf le déchet, qu'on ne pouvait éviter, la cargaison arrivait toujours aux colonies, grâce à cette paternelle administration, arrivait, dis-je, toujours saine et bien portante. Simon était son factotum. À Nantes il menait promener Thomas ou allait au marché avec madame Benoît, un panier au bras;