La Robe brodée d'argent. M. Maryan

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Название La Robe brodée d'argent
Автор произведения M. Maryan
Жанр Языкознание
Серия
Издательство Языкознание
Год выпуска 0
isbn 4064066082529



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lueur ardente attira son regard, elle venait d'une vaste cuisine, et remplissait un âtre immense où une marmite était suspendue. Au-dessus des fagots enflammés, une large plaque de fer, luisante de beurre, était posée, et la vieille Marianna faisait des crêpes. Avec sa robe de bure, son col de mousseline étroit, épinglé sur son cou ridé, sa petite coiffe serrée sur ses tempes, elle était singulièrement pittoresque. Et le cadre dans lequel elle était placée eût tenté un peintre flamand.

      La cuisine occupait toute la largeur de la maison; l'une de ses fenêtres à petits carreaux donnait sur la cour, l'autre sur un potager sans clôture, qui dévalait le long d'une pente, et laissait voir un horizon immense de champs, de landes, de collines. Aux poutres enfumées pendaient les objets les plus divers: lard fumé, guirlandes d'oignons, paquets de chandelles, touffes flétries d'herbes de la Saint Jean. Une table flanquée de bancs la traversait dans une partie de sa longueur, et, dans un angle, le lit clos de Marianna se dressait, noir et luisant, laissant voir, par une étroite ouverture, sa courte-pointe à fleurs rouges. Sur le manteau de l'énorme cheminée, il y avait des pots d'étain, une rangée de chandeliers de cuivre, et, à la place d'honneur, une antique Vierge en faïence coloriée, au manteau semé d'étoiles. Des dressoirs grossiers supportaient une vaisselle pittoresque, à grosses fleurs, et des cuillers de bois. Enfin, sur les murs enfumés s'étalaient des ustensiles de cuivre rouge, qui réfléchissait à l'envi les lueurs du feu et la lumière du soleil.

      Marianna était sourde, et elle ne se retourna point au bruit des pas de Landry. Mais, comme il commençait a être embarrassé de son personnage, il entendit derrière lui la même voix douce et chantante qui lui avait parlé derrière la porte.

      —Voulez-vous entrer dans la salle, Monsieur? Je vais vous servir votre déjeuner.

      —Vraiment, je ne puis consentir à vous donner cette peine! balbutia-t-il, embarrassé.

      Il avait devant lui une paysanne vêtue à peu près comme Marianna, du costume de Carhaix ou de Huelgoat: corsage ajusté, petit col de mousseline, coiffe serrée, cachant un grand chignon arrondi; seulement, la robe était de drap fin, le tablier de taffetas noir, et la coiffe laissait voir deux bandeaux de cheveux blonds, encadrant un visage sans beauté, mais agréable. Une chaîne sautoir, en or, soutenait une montre placée dans la piècette, ou bavette du tablier.

      Landry, mis en garde par la conversation de la veille avec le maire, devina qu'il avait devant lui une des jeunes filles de la maison. Son hôte avait, en effet, parlé de ses nièces.

      La jeune fille ouvrit la porte de la «salle», pièce d'apparat qui servait, pour les étrangers, de salon et de salle à manger. Une grande table carrée en occupait le milieu. Il s'y trouvait des bahuts sculptés de forme disgracieuse, mais d'un travail ancien et soigné, des sièges très divers de styles, puis le piano et l'harmonium entrevus la veille.

      Landry se sentit embarrassé lorsqu'il vit la jeune fille ouvrir un des bahuts pour y prendre une tasse. Il s'avança pour l'aider; mais, à ce moment, la voix chevrotante de Marianna se fit entendre. Bien qu'elle parlât breton, Landry comprit le sens de ses paroles en la voyant désigner d'un geste les préparatifs qu'elle aussi avait faits en vue du déjeuner du «Monsieur». Il s'aperçut alors, à travers le corridor, qu'un couvert était dressé sur la longue table de la cuisine.

      —De grâce, Mademoiselle, s'écria-t-il, ne m'infligez pas la mortification d'être servi par vous! Je vois que votre servante a eu la bonne idée de me traiter en hôte familier, et j'apprécie, croyez-le, le charme très pittoresque de cette belle cuisine.... Si vous saviez la vie rustique que j'ai menée, dans les auberges des montagnes d'Arrez!

      La jeune fille se mit à rire, et n'insista point.

      —Moi aussi, dit-elle, j'aime bien à déjeuner dans la cuisine, et nous y dînons, même, quand nous sommes seuls....

      Elle allait et venait, avec une certaine grâce de mouvements, complétant les préparatifs du déjeuner, apportant la moche de beurre frais, le pain de ménage; puis, invitant Landry à s'asseoir, elle versa le café fumant, et s'assit elle-même sur le banc, de l'autre côté de la table. Il la regardait, tout en beurrant ses tartines, et s'étonnait, en face de ce type inconnu et insoupçonné.

      On ne pouvait dire que Loïzik fût distinguée; mais elle paraissait telle, en opposition avec son costume de paysanne. Ses mains brunes n'avaient pas, évidemment, l'habitude des gants. Évidemment aussi, elles accomplissaient des besognes de ménagère; cependant, ni la forme ni l'épiderme n'étaient altérés par des travaux trop rudes. Le français qu'elle parlait était pur, bien que marqué d'accent breton. Ce n'était sans doute pas à l'école du village qu'elle avait pris ces tours corrects ni ces aperçus bornés, mais justes, sur les choses en dehors de sa simple vie. Elle n'était pas positivement timide: elle donnait l'impression d'une personne habituée à dominer dans sa sphère, et elle semblait trouver naturel d'être traitée avec égard et respect par ce jeune homme élégant, dont les raffinements de politesse la troublaient toutefois secrètement.

      Landry eut bientôt appris qu'elle avait été élevée dans un couvent, puis qu'elle était revenue près de son oncle, qui lui tenait lieu de père.

      —N'ai-je pas entendu M. de Coatlanguy parler de ses nièces? Avez-vous une sœur, Mademoiselle?

      —Non, malheureusement, et Léna n'est même pas ma cousine: elle est, la propre nièce de mon oncle, une Coatlanguy, tandis que je tiens, moi, à la famille de sa femme.

      —Et elle a été élevée comme vous, au couvent?

      —Oh! oui, de même que les fils de mon oncle sont allés au collège.

      —Et cependant, ils cultivent la terre?

      Il regretta d'avoir dit ces paroles, en voyant rougir la jeune fille.

      —L'un d'eux est avec mon oncle, l'autre est notaire à Châteauneuf-du-Faou.... Pourquoi les cultivateurs ne profiteraient-ils pas des bienfaits de l'instruction, monsieur? Cela les rend plus aptes à comprendre les affaires, et aussi à servir leur pays. Et puis, c'est une jouissance, de savoir....

      —Oh! sans doute! Et il faut des vues très nobles, des motifs très désintéressés pour faire des études classiques sans le but immédiat d'une carrière déterminée....

      —Mon cousin Goulven succédera un jour à son père à la mairie, dit la jeune fille, baissant les yeux pour cacher l'éclair de plaisir qui venait d'y briller. Il mène une campagne acharnée pour éloigner d'ici les mauvais journaux, les doctrines perverses.... Il aime aussi la terre, Monsieur.... Il a déjà mis en culture des arpents de lande et de bruyère....

      Elle s'interrompit en voyant entrer son oncle, et elle se leva avec un empressement qui témoignait d'habitudes de respect très patriarcales pour le chef de la famille.

      Au grand jour, le maire était plus brun, plus ridé; noueux comme un chêne, la force éclatait dans ses membres encore bien proportionnés. Ses cheveux gris étaient lisses et soignés, et sa chemise d'un éclat irréprochable.

      —On vous a laissé dormir? C'est le meilleur remède, dit-il en souriant. Je vois que vous déjeunez de bon appétit.... Continuez, pendant que nous traiterons de vos affaires. Que désirez-vous de moi? En quoi puis-je vous être utile?

      —Je voudrais envoyer un télégramme à mon chauffeur, afin qu'il amène un mécanicien de Morlaix. On trouvera bien ici des chevaux pour conduire la machine à la prochaine gare?

      —Sans doute. Et vous? Je vous observe depuis un moment, et je crois que vous êtes plus meurtri que vous ne voulez le paraître.... Vous êtes blanc comme une demoiselle, et vous retenez une plainte quand vous faites un mouvement.

      —Ce n'est rien, puisque je peux marcher. J'ai fait mon année de service, Monsieur, et je suis endurci, dit Landry en souriant.

      —N'importe; si vous voulez suivre le conseil d'un homme qui n'est habitué ni à s'écouter, ni à trop ménager les autres, vous prendrez un ou deux jours de repos avant d'aller surveiller les