La Robe brodée d'argent. M. Maryan

Читать онлайн.
Название La Robe brodée d'argent
Автор произведения M. Maryan
Жанр Языкознание
Серия
Издательство Языкознание
Год выпуска 0
isbn 4064066082529



Скачать книгу

offrent les rares passants! Tantôt c'est un paysan vêtu de bure brune, conduisant un attelage de ces petits chevaux alertes, infatigables, qui prennent leur nom de ces montagnes mêmes; tantôt c'est une femme à la coiffe monastique, qui, effrayée de voir l'auto, rassemble comme des poussins les petits sauvages aux cheveux de lin qui s'ébattent sur la route.

      »Point d'arbres, partant, point d'oiseaux, si ce n'est un vol de corbeaux s'enlevant, très noirs, sur le ciel gris perle. Un silence impressionnant, une pauvreté grandiose, une indicible mélancolie....

      »J'ai laissé mon chauffeur à Morlaix, et je jouis indiciblement. Ce n'est pas trop de ce cadre immense, de ce désert, pour la vie qui déborde en moi. Jamais, mon ami, je ne connaîtrai d'impressions plus enivrantes que celles qui m'envahissent dans cette liberté de mon être....

      »Eh! oui, je me sens libre pour la première fois. Ma pauvre mère!... Certes, elle vit de mon bonheur, de mes désirs, et me gâte comme le plus aimé des fils. Et cependant, je ne le voudrais dire qu'à toi: j'ai, en la quittant, ressenti cette impression de liberté que je me reproche comme une ingratitude. J'avais soif de solitude, soif de n'être plus étouffé par cette tendresse oppressive, cette influence que je reconnais sage et douce, que je subis volontairement, mais qui arrête l'essor de ma personnalité. Pour calmer mes remords, je me dis que je lui reviendrai plus aimant, et qu'elle jouira de constater le développement opéré dans mon être pendant ces jours où je pense seul, où j'agis seul, où je ne suis plus uniquement le fils soumis d'une mère trop tendre, mais un homme entrant vraiment dans la vie avec des espoirs, des rêves, des plans personnels, et toutes les responsabilités qu'il regarde en face, et qui ne troublent point ses secrètes énergies.

      »Le jour tombe, et mon encre est si pâle que je vois à peine ce que j'écris. Ma chambre est rustique à souhait: blanchie à la chaux, avec un lit entouré de calicot, une table boiteuse et deux chaises de paille. De la cuisine, qui sert de salle commune, montent les effluves de mon souper: lard aux pommes de terre et crêpes de blé noir. Pour loger mon auto, on a débarrassé une grange, et un groupe d'enfants déguenillés, assemblés sur la route, contemplent l'étonnante machine, qui est pour eux un peu sorcière. Je me sens perdu dans ce monde nouveau, fruste, sauvage, dont je n'entends pas même le rude dialecte. Tout semble faire de nous des races différentes, et cependant un lien sympathique me rattache à ce peuple austère, dont je pressens la grandeur, filon d'or dans le granit.

      »Mon vieux Séverin!... J'ai parfois du remords de chanter devant toi mes chansons de jeunesse, de te dire crûment tout ce que j'espère, tout ce que j'attends de cette vie qui t'a été, à toi, si inclémente....

      »Je serais prêt, cependant, à sympathiser avec ta douleur si tu voulais la dire. Je n'ose pas toucher à la blessure que tu dérobes; mais il faut que tu saches que je te plains, que je t'aime, que je suis tout prêt à partager ton fardeau, si tu y trouvais du soulagement.... Peut-être me regardes-tu encore, toi aussi, comme un enfant. C'est vrai que tu es plus âgé que moi, et plus intelligent; c'est vrai aussi que tu as été mûri par ton deuil et ta souffrance. Et cependant, notre amitié demeure, à l'étonnement des gens superficiels. C'est à toi, mon ami plus vieux, plus sage, plus triste, que je vais instinctivement chaque fois que je veux m'épancher, et tu vois que je t'écris ce soir mes enthousiasmes, à toi qui as cependant vu l'Europe entière, et épuisé toutes les impressions de voyage.

      »Bonsoir, Séverin. Un pillawer (marchand de chiffons), vêtu de bure brune, va porter ma lettre au prochain village, parmi le chargement de bols coloriés qu'il livre aux ménagères, en échange de leurs loques. Je te le redis, ton souvenir m'est très cher dans cette solitude, et il me semble que j'aime plus que jamais la jolie maman qui, à cette heure, rêve à moi dans le tiède confort de son petit salon, sous les regards graves de mes ancêtres les conseillers et les sénéchaux, et de mes grand'mères en fraises empesées ou en justins de brocart.»

       Table des matières

      L'auto, de sa souple et rapide allure, parcourait sans but les stériles vallées dans lesquelles le soc de la charrue heurte des fragments de roc, gravissait les pentes tapissées de thym et de maigre bruyère, sillonnait les routes tracées parmi les touffes d'ajonc.

      Landry allait à l'aventure, se dirigeant sur les villages isolés dont les clochers à jours enchâssaient des trèfles ou des losanges de ciel bleu ou gris. Parfois, il descendait vers les petites villes austères aux pignons rayés de poutres, aux murs de granit, ou dans les gros bourgs qui, une fois par semaine, les jours de marché, sortaient de leur paix engourdie. Il errait parmi les paysans, curieux de leurs mœurs et de leurs coutumes, admirant les ostensoirs brodés sur les vestes de Cast, les grands cols de mousseline et les coiffes relevées de Pleyben, les bonnets brodés des tout petits. Il s'endurcissait bravement à la pauvreté des auberges, à la rusticité des couettes de balle d'avoine. Il lui semblait que son corps et son esprit se trempaient dans cette vie primitive, tandis que son imagination s'imprégnait d'une poésie âpre et forte, enivrante comme l'odeur du thym sur la montagne balayée par le vent. Que d'heures passées sur ces pentes désertes, sur ces sommets brûlés de soleil! L'auto, comme un monstre au repos, demeurait sur la route, et Landry se grisait d'air pur et de silence. Il y a tant de voix charmantes dans les âmes jeunes!... Tantôt il contemplait au loin la mer mouvante; tantôt il cherchait ses clochers de prédilection à travers la brume légère qui, presque continuellement, flottait sur les vallées. Souvent aussi, les yeux clos, dans un rêve passionnant, il évoquait le passé de cette terre de légendes. Au crépuscule, quand les grandes ombres des nuages se reflétaient sur la bruyère, quand la brise prenait des accents plaintifs, il eût volontiers attendu l'apparition des korrigans et des poulpiquets venant danser en rond sur la colline, et transformer en un or suspect et fatal les petites grappes sèches des bruyères. Il eût été presque disposé à reconnaître, dans les vapeurs blanches montant des gorges, les lavandières de nuit tordant les linceuls des morts. Mais lorsque la première étoile perçait la voûte assombrie du ciel, et que la lumière douce de la lune prêtait à ce paysage austère une beauté nouvelle et fantastique, c'était le souvenir des vieux saints qui s'offrait à lui. Quel charme dans ces figures à la fois tendres et fortes! Il croyait les voir, abordant ces rivages dans leur auge de pierre ou sur les plis étendus de leur manteau, s'enfonçant dans les forêts ou gravissant les collines, prêchant les rudes sectateurs des druides, assouplissant à l'amour du Christ ces cœurs sauvages, dans lesquels ils savaient découvrir le filon d'incroyable tendresse qui caractérise la race bretonne.

      Jaloux de sa liberté et de sa solitude, il continuait à consigner son chauffeur à Morlaix. Il conduisait bien, manquant seulement un peu de prudence. Grisé de mouvement, il demandait à la machine souple et docile de véritables tours de force et une vitesse vertigineuse.

      Mais ce fut très beau de mener pendant quinze jours, sans accidents, ce train exagéré.

      Un charbonnier, vêtu de ce pittoresque costume de bure que Landry avait photographié à plusieurs reprises, passait au pied du mont Saint-Michel, conduisant sa voiture chargée de sacs et de fagots d'ajonc, lorsqu'il vit sur la bruyère nue et déserte une machine en détresse. Il laissa son attelage sur la route, et gravit la pente. La voiture n'était pas seule endommagée: son propriétaire gisait à quelque distance, sans mouvement.

      Le paysan, de stupeur, laissa tomber sa courte pipe de terre, et marmotta, en breton, quelques paroles peu tendres sur les autos qui commençaient à envahir le pays, à effrayer les chevaux et les vaches, à causer des dommages et des accidents; mais il s'approcha du jeune chauffeur, et le souleva avec des précautions dont on n'eût pas cru capables ses grandes mains rudes. Il n'y avait à portée de secours d'aucune espèce, pas même un filet d'eau. S'étant assuré que Landry respirait encore, le charbonnier courut à la voiture, et, ayant fouillé les coffres et les poches intérieures, trouva une petite gourde à demi pleine de cognac. Quelques frictions sur les tempes, quelques gouttes du breuvage glissées entre les lèvres firent aussitôt ouvrir les yeux au jeune homme. D'abord étourdi, un peu égaré, il reprit