Sainte-Marie-des-Fleurs: Roman. Boylesve René

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Название Sainte-Marie-des-Fleurs: Roman
Автор произведения Boylesve René
Жанр Языкознание
Серия
Издательство Языкознание
Год выпуска 0
isbn 4064066085537



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que j'avais prévu était arrivé. Il me semblait au milieu de tous mes bibelots ordinaires, que j'avais raconté mon cœur à des centaines de gens qui restaient là à me regarder, avec ma confidence dans leurs yeux. Ils me gênaient; mais je les aimais, à présent de savoir cela. Ils en étaient tout transformés; je leur trouvais des figures extraordinaires; que devait donc être la mienne?

      Mais est-ce qu'il y avait des livres qui continssent ce que je voulais lui dire? Tous les livres qui étaient là à me regarder s'étonnaient de me voir ainsi; ils ne savaient pas ce que c'était; aucun d'eux ne portait ce dont mon cœur et mon cerveau étaient remplis à cette heure-là!

      Voici le parti que je pris. Je lui porterais un ouvrage quelconque et dedans je glisserais un petit mot, insignifiant en apparence, mais très clair en réalité, et qu'elle comprendrait à merveille si elle le voulait bien.

      J'écrivis sur un feuillet arraché à un carnet les lignes suivantes:

      «Le livre que j'aurais voulu lui donner à lire, ç'aurait été celui qui eût contenu la simple causerie entre un homme assez impressionnable pour que toutes choses l'eussent frappé jusqu'à l'enthousiasme ou la blessure; assez clairvoyant pour juger, comme une peinture ou un bibelot, le rayon qui l'extasia ou le stylet qui le fit saigner; assez éloquent et évocateur pour faire revivre et palpiter cette ardeur sans emphase ni boursouflure,—et une femme qui eût été l'extrême sensibilité, l'extrême intelligence et l'extrême curiosité, c'est-à-dire apte à merveille à être ravie ou torturée, à torturer ou à ravir. Les mots de leur dialogue eussent ainsi coulé tantôt à la façon de perlettes de pluie limpide et légère dont le bruit ressemble à de petits rires enfantins, tantôt à la façon de ces larmes lourdes des métaux en fusion qui, au toucher du sol ont comme un court cri d'angoisse et répandent un peu de fumée âcre.

      «Je n'ai pas trouvé le livre. Mon désir est de tenter de le faire, malgré que je manque de presque tout ce qu'il y faudrait: les vertus que j'ai dites d'abord; et puis le collaborateur.»

      On sonna à ma porte et on me mit dans la main une lettre. Je ne pensais qu'à elle! Serait-ce quelque chose d'elle! Je chassai cette idée comme stupide et fis une grimace dérisoire. C'était une enveloppe étroite et longue, une écriture de femme que je sentis, que je vis je ne sais comment, dans mon antichambre obscure. A grands pas j'allai à la lumière. C'était d'elle! Je criai tout haut, et je tombai la tête dans mes mains, sur cette écriture, en la baisant.

      «Monsieur mon ami, vous allez tomber des nues—car je pense que vous y êtes, comme souvent,—en touchant cette preuve de ma témérité. N'exagérons rien; je mentirais, et vous le verriez bien vite, si je n'avouais tout de suite que la main me tremble un peu à écrire ces premières lignes qui sont pourtant le résultat, je vous assure, d'une bien longue délibération.

      «Quand j'eus décidé de les écrire il était convenu avec moi-même qu'elles seraient une série de petites notes prises à la lecture du livre que vous avez eu la complaisance de me prêter. Naturellement ces réflexions n'auraient pas eu d'autre résultat, sinon d'autre intention que de vous donner l'occasion de vous moquer de moi. Sans compter que ça m'est désagréable, il faut que je vous dise que je n'ai pas lu ce livre depuis huit jours qu'il est là, sur un beau pupitre en marqueterie, quelque chose comme une place d'honneur quoi! Monsieur, le temps m'a manqué. Le croiriez-vous? Oui car je l'ai passé à lire votre petite note.

      «Je suis si peu accoutumée à être traitée, même par vous, de la façon grave et mieux que flatteuse que vous semblez prendre, en ce bout de mot charmant, qu'il n'y a pas grand mérite de votre part à m'avoir touchée. Vous voyez que je ne vous gâte pas, bien qu'au fond vous en valiez la peine pour le plaisir que vous m'avez fait. Car maintenant, il me semble être pour longtemps à l'abri de ces allusions railleuses qui vous font l'effet tout à coup d'une porte qui grince au milieu d'un agréable concert ou d'un petit trébuchement bien vulgaire au cours des plus douces rêveries. Quand ma réponse n'aurait pour but que de vous supplier de demeurer dans ces bonnes dispositions, je me féliciterais de l'avoir faite. Eh! mon Dieu! je me demande quel autre but elle peut bien avoir, sinon vous dire quel plaisir j'ai trouvé dans ce que chacun de vos mots vous ouvre d'attirant, de... ah! je ne sais comment dire, les mots qu'on nous apprend et que l'on prononce autour de nous ont si peu de rapports avec ce que vous indiquez si bien, avec ce qu'il faut être non pas «éloquent», mais «évocateur» n'est-ce pas? pour faire entendre? Je vous ai bien reconnu, tel que je vous ai vu à Venise, dans les instants où vous condescendiez à ne pas plaisanter. Mon Dieu! pourquoi faut-il que les uns se donnent tant de mal pour se faire prendre au sérieux et les autres pour donner d'eux l'illusion de bouffons taquins et méchants?

      «Où vais-je, et que vous dis-je, et qu'ai-je à vous dire? Ah! voyons! que je suis bien incapable de vous suivre en une si noble collaboration; que tout ce que j'y sens de séduisant et de beau épouvante un peu ma timidité et mon ignorance. Seigneur! je parle de timidité et je vous écris! car il n'y a pas d'illusion à se faire: ceci n'est pas des notes; je vous écris. Ah! j'ai bien peur que vous ne trouviez cela énorme; mais vous, Monsieur, qui n'êtes pas dans les affaires et n'avez même pas l'air de vous douter de ce que c'est, vous devez comprendre que l'on puisse accomplir certaines actions extraordinaires poussé par quelque chose de si totalement désintéressé, par un charme si innommable, si au-dessus de tout ce qui a coutume de vous entraîner, que vraiment il ne doit y avoir nulle vilenie à se laisser aller. Monsieur mon ami, vous m'inspirez tant de confiance avec votre dévouement à des idées si en dehors du courant de la vie, que si je garde un peu d'émotion jusqu'à ces derniers mots, je n'ai, ni n'ai eu aucun scrupule».

      Retenu à dîner avenue Henri-Martin, elle me prit à part, dans le salon:

      —Je suis sûre, dit-elle, que vous ne vous étonnez pas de ne point m'entendre m'excuser d'avoir osé vous écrire...

      —Mais! je ne le souffrirais pas!

      —A la bonne heure!... Maintenant, dites-moi, avez-vous assez d'amour-propre pour vouloir bien admettre que ce qui est vis-à-vis de vous une action dont on est plutôt fière, ne se commettrait pour rien au monde en faveur de qui que ce soit autre que vous?

      —Me voici dans un bel embarras! Cruel petit sphinx, quel que soit le sens de ma réponse je mérite d'être condamné! Oui: je me gonfle d'un orgueil qui me rend ridicule; non: je vous blesse.

      —Vous hésitez?

      —Non! non! je choisis le ridicule.

      —Voulez-vous bien ne pas rougir d'avoir de vous l'opinion que je me suis faite moi-même et qui, au fond, est bien la vôtre, allez! si vous étiez franc...

      —Allons donc! Tenez, sans y prendre garde voilà que vous vous arrangez avec une coquetterie autrement singulière que celle que je vous accorde et vous veux: vous vous mettez à part de tous les hommes en vous prétendant dénué de vanité!

      —Mais, je vous assure...

      —Alors, vous n'êtes pas l'homme que j'ai cru trouver, et vous ne valez pas la peine que je déroge pour vous aux règles de...

      —Grâce! grâce! Mademoiselle, vous êtes un adversaire terrible et je me rends. Oui, je suis orgueilleux... de vous avoir inspiré l'idée que j'avais le droit de l'être; je suis à part et au-dessus de tout Le monde, puisque c'est ainsi et puisque c'est là que vous m'avez vu; et il faut bien que cela soit, sans quoi vous seriez inexcusable d'avoir trahi les canons de la bienséance!...

      —Je vous en prie, ne quittez pas votre sérieux, il n'est pas question de jouer, ce qui, d'ailleurs, ne vous va que médiocrement, vous aurez beau faire...

      —Ah! interrompis-je, une fois pour toutes, que je m'explique à ce propos. J'ai vu, depuis que je regarde, tant de gens se grimer de sérieux et d'importance, qui ne sont en dessous que des polichinelles, que la figure du pitre m'est apparue par contre, l'image définitive du philosophe de nos jours. C'est par goût pour ces beaux clowns qui pleurent sous leur farine exhilarante que vous me verrez sourire aux instants les plus graves.

      —Eh bien! je vous dirai une autre fois